Les Noirs ne sont pas racistes !
Le 5 octobre 2007, à l'INA, s'est tenu un colloque sur la question des statistiques ethniques,
à l'initiative du CRAN (Conseil Représentatif des Associations Noires [1]). La première anomalie
qu'on remarque immédiatement est qu'il y a pas mal de Blancs au CRAN. Contrairement au
nouveau lieu commun, le « racisme anti-Blanc » ne règne donc pas chez les indigènes. Car la
question peut se poser : c'est quand même un peu bizarre de s'intituler Conseil Représentatif
des Associations Noires et d'avoir autant de Blancs dans ses instances et son « Conseil
scientifique ». Je ne suis pas sûr que les associations féminines comportent autant d'hommes,
les associations juives autant de chrétiens et de musulmans ; les associations catholiques
autant de protestants, de juifs, et d'athées ; les associations gays autant d'hétéros, etc.
C'est ce genre d'analyse qu'on peut faire quand on se livre à la statistique ethnique, religieuse, culturelle. Et on voit qu'on obtient immédiatement quelques résultats non triviaux. On peut effectivement y voir un certain danger. Celui de remarquer qu'on exige des Noirs ce qu'on n'exige pas des femmes, des juifs, des gays, des chrétiens, des musulmans, des athées... Ce soupçon de racisme anti-Blancs est donc une exigence discriminatoire. On n'est pas aux États-Unis. En France, le racisme est un délit.
En fait, la polémique à la création du CRAN était d'emblée : est-ce que les Noirs ont le droit de se réunir sans être considérés comme racistes, comme le serait une « association des Blancs » ? Évidemment, la véritable question est celle des minorités. Cette question a d'ailleurs été envisagée par l'Assemblée nationale à l'occasion de la loi qui visait à la défense des majorités contre les minorités (voir « L'Assemblée nationale contre le rap »). Laissons aux historiens la mission d'établir les parallèles qui s'imposent avec la période 1920-1945.
Cette question des statistiques permet de répondre à une question importante : s'agit-il d'un
problème académique, purement statistique, ou d'un problème social. L'ambiguïté repose sur
le fait que les chercheurs ont d'autres objectifs que les populations noires concernées par le
racisme. Le problème des chercheurs n'est pas la connaissance mais la publication (quand ce
n'est pas leur seule carrière). Le rythme de publication est indépendant des effets pratiques [2].
C'est la limite de la stratégie du CRAN avec son « conseil scientifique », qui ne vise que la
légitimité. On ne parle pas tant d'un « conseil scientifique du CRIF » qui ne semble pas avoir
besoin d'une telle légitimation.
Est-ce qu'un lobby noir est légitime ? Le rapport avec la statistique ethnique est immédiat : il
s'agit évidemment pour les Noirs de compter leur force. La raison évidente et commune en est
que l'union fait la force. C'est la fonction des lobbies. Et la réponse sur sa légitimité est la
même que pour le « lobby juif » (voir ce mois-ci). Il existe un droit d'association, même pour les juifs et les Noirs.
L'objectif d'une association de Noirs n'est pas « communautariste ». L'objectif est d'être traité
également. Cela peut faire double emploi avec une association antiraciste. Le problème est
plutôt que les associations existantes sont divisées (l'une défend les juifs, l'autre les Arabes),
ou plus généralement qu'elles ne sont plus satisfaisantes. C'est aussi un phénomène normal que
des associations nouvelles se créent pour pallier les insuffisances des précédentes.
Le schéma anti-lobby, prétendument républicain, correspond effectivement à la loi Le
Chapelier pendant la Révolution française. Visant à interdire les corporations, elle a surtout
servi à interdire les syndicats. Cette conception républicaniste a été dépassée dès la fin du XIXe
siècle [3]. La loi sur les associations de 1901 a formalisé leur statut. Il existe des associations chrétiennes (catholiques, protestantes, orthodoxes), juives, musulmanes, etc. Mais il existe
aussi des associations culturelles ou ethniques : musulmanes, juives, corses, basques,
arméniennes, bretonnes, antillaises, marocaines, algériennes, tunisiennes, etc. Leur fonction
de lobby est indéniable. Et il existe aussi des associations blanches dont le racisme les fait
régulièrement interdire avant de réapparaître sous un autre nom. Une association noire dont
le but principal est la lutte contre les discriminations est donc légitime. Refuser aux Noirs le
droit d'association est du racisme. En France, le racisme est un délit (bis).
Le thermomètre ethnique est cassé
On comprend très bien la prévention à l'égard des statistiques ethniques. Mesurer une variable,
dite explicative en sociologie, signifie bien que le caractère ethnique pourrait permettre
d'expliquer causalement certains phénomènes. Avec éventuellement des conséquences
négatives pour les minorités en question. La première erreur consiste à oublier que la
mesure permet de montrer aussi que ce caractère ethnique n'explique pas le
phénomène observé. Refuser la mesure consiste précisément à postuler a priori
qu'il l'explique. S'il existe un soupçon, c'est donc plutôt celui de penser qu'on considère que
la variable ethnique explique bien certains phénomènes négatifs, mais qu'il ne faut pas le dire.
Certains antiracistes sont bien bons de ne pas montrer qu'ils ont (quand même) des préjugés
racistes.
La deuxième erreur est bien évidemment que le caractère ethnique est déjà
considéré comme explicatif de certains phénomènes négatifs. Les statistiques
ethniques existent déjà et circulent ouvertement. Certaines proviennent des États-Unis. Le
mois dernier, le prix Nobel James Watson, a récidivé, dans le Sunday Times du 14 octobre
2007, à propos de l'intelligence des Noirs (voir « Les fantasmes génétiques de James Watson »). On connaît également les statistiques de criminalité des Noirs aux USA, mais également des étrangers en prison en France. Des statistiques ethniques circulent pour les familles nombreuses immigrées, les
allocations familiales et prestations sociales, le vote, la délinquance, les résultats scolaires. Ne
pas vouloir l'admettre et les pratiquer officiellement relève de l'hypocrisie.
La troisième erreur, plus fondamentale, est que, quand on ne connaît pas les
chiffres, on raisonne précisément en termes essentialistes que les statistiques ont
précisément pour rôle de pondérer (relativiser, quantifier) [4]. Il n'y a pas
d'alternative méthodologique sur ce point. En outre, on se prive ainsi d'un élément de
comparaison internationale qui permettrait de distinguer les mérites comparés de l'intégration
des minorités dans les différents pays par rapport à la France. Ce qui permettrait de vérifier
si le modèle français est efficace. La nécessité de cette comparaison empirique est nécessaire
dans les sciences sociales parce qu'on ne peut pas faire d'expérimentations de laboratoire sur
les êtres humains. On est donc obligé de considérer les pratiques réelles comme des
expérimentations de fait. C'est la caractéristique des sciences historiques. C'est également de
cas de l'astronomie en sciences de la nature.
Une autre erreur, classique sur ces questions, se produit automatiquement quand
on oublie le comparatisme minimal, ou qu'on s'y oppose. Considérer comme
dangereux et raciste l'existence d'une variable ethnique explicative exige qu'on
justifie pourquoi on ne considère pas que la variable « sexe » est sexiste.
Apparemment, on ne déduit pas du fait que les femmes sont moins payées (en moyenne – voir
« Journée de la femme mystifiée »), ou moins bien placées dans la hiérarchie sociale, l'idée qu'elles sont moins
intelligentes, moins compétentes ou plus paresseuses, en faisant confiance à la méritocratie
républicaine. Ou alors, il faudrait que ceux qui le pensent le disent.
L'interdiction des statistiques ethniques n'est qu'une erreur classique du type
« astuce verbale ». Le véritable problème pour les statisticiens est simplement de trouver
un autre moyen de les mesurer sans employer le mot « ethnie », c'est-à-dire « race ». Les
statisticiens partisans de l'interdiction se vantent d'ailleurs de ce subterfuge méthodologique
inepte. Ils disent qu'on peut très bien mesurer l'« origine ». C'est-à-dire qu'on peut déduire la
« race » par l'« origine départementale ». Un Antillais blanc (béké ou ancien métropolitain)
est-il donc considéré comme un Antillais noir ? Ou est-ce que l'enquêteur corrige avec un
« code » maison (comme ceux qui sélectionnent à l'embauche ou à la location) ?
Et comment distingue-t-on un immigré blanc ou noir des État-Unis ? Lui demande-t-on s'il
est « caucasien » ou « africain-américain » ? Tout ceci est une plaisanterie qui revient à
remplacer Nègre par Noir, et Noir par « de couleur ».
Au besoin donc, « on demande l'origine des parents ». Un Blanc d'origine libanaise ou
maghrébine (peu typé) est-il considéré comme étranger, donc « non-blanc », alors qu'un
Antillais installé en France depuis deux générations serait considéré comme « blanc » ?
D'ailleurs, ce phénomène deviendra de plus en plus difficile à mesurer. Vu les dates connues
d'installation, il faudra bientôt demander les quatre grands-parents au lieu des deux parents,
dans vingt ans, les huit arrières-grands-parents.
Les statisticiens actuels ajoutent à l'hypocrisie et à la complication méthodologique (il faut bien justifier de sa « scientificité » [5]) en parlant « d'origine géographique des parents ». Cela revient à définir l'individu par son origine familiale. Ne parlons donc pas du cas des orphelins étrangers adoptés (ou de leurs enfants !). L'essence du racisme est d'ailleurs cette sorte de tribalisme clanique qui n'est pas vraiment extrinsèque au système républicain, jouant sur les mots « nation » – « nationalisme ». Cette stratégie ethnico-nationale est purement et simplement une régression maurrassienne. Alors que la démocratie a pour fondement le seul individu et le droit.
Une autre erreur est la crainte de la discrimination positive qui imposerait des quotas. J'ai déjà traité de cette question dans un autre article (« Racisme, Antisémitisme, Stéréotypes (R.A.S.) »). J'y inversais le problème en soulignant qu'on peut en considérer les conséquences sous un autre angle :
Quand vous êtes antiraciste et blanc et que vous voulez louer un appartement, obtenir
un emploi, d'un raciste , vous profitez donc éventuellement d'une discrimination
positive en votre faveur, sans le savoir . Comme la proportion de discrimination dans
ces secteurs doit varier entre 50% et 90%, on peut considérer que certains mérites
personnels devaient être réévalués à la baisse. Poussons un peu plus loin : comme les
compétences ne sont pas distribuées racialement (toujours selon les antiracistes), on
peut donc en conclure que la compétitivité des entreprises ou de l'université française
est handicapée par cette sélection de blancs médiocres (et qui en plus se croient
meilleurs) , qu'ils soient racistes ou antiracistes. Ce qui pourrait expliquer bien des
phénomènes économiques récents de perte de compétitivité nationale ! Signalons en
outre que traditionnellement, en France, l'école n'optimisant pas les compétences
communautaires sur le plan professionnel, l'immigration pourrait être mieux
employée dans le commerce international. C'est bien un domaine où les immigrés
pourraient être avantagés, et favoriser la France par rapport aux pays qui ont moins
d'immigrés. Ceux qui sont responsables de cette situation peuvent être considérés
comme objectivement nuisibles à l'intérêt national. Depuis longtemps.
Il existe également des quotas de femmes en politique, qui ne semblent pas faire soupçonner
qu'on promeut des incapables au détriment des hommes (peut-être est-ce dû au niveau des
hommes politiques ?). Il existe également des quotas de handicapés, qui font bien l'objet de
statistiques eux aussi. Pourtant, la Halde s'oppose aux statistiques ethniques. Alors qu'elle
s'empresse de mentionner ces autres discriminations dès qu'il est question de celles contre les
Noirs. Cette institution semble avoir des difficultés méthodologiques à traiter un seul problème
à la fois.
Cette idéologie antistatistique est caractéristique de l'ignorance d'une « méthode » pourtant propre à la tradition philosophique française (à croire que les racistes sont étrangers). La France n'est pas encore cartésienne. Elle ne l'a jamais été vraiment sur la question de la quantification (Quatrième règle de la méthode : « de faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse assuré de ne rien omettre », voir Le discours de la méthode). Le simple fait que la légitimité de la question des statistiques ethniques se pose le démontre. Même certains sociologues ou démographes (comme Hervé Le Bras) s'y opposent. Alors qu'à l'évidence, la question du racisme suppose qu'on mesure des données qui concernent ce caractère ethnique, à moins que le cartésianisme ne se réduise ici à l'introspection. J'ai bien peur, en effet, que ce soit tout ce que la tradition fraçaise a retenu de Descartes
Une dernière erreur est le catastrophisme ou le pessimisme politique (crier au
loup) qui ne sait pas voir le mouvement de l'histoire. Il ne faut pas craindre de voir
la réalité en face. Si les discriminations persistent, j'ai plutôt tendance à penser qu'elles ont
tendance à s'atténuer (en proportion), précisément parce que la question est posée
ouvertement. C'est en général quand la situation s'améliore que les persistances d'une situation
antérieure deviennent insupportables. Il faut précisément des statistiques pour le montrer et
encourager les changements en cours (comme se peser permet de contrôler la baisse de poids
au cours d'un régime), et permettre de tourner la page. Cela permettrait également de mesurer
les bonnes pratiques et de distinguer ceux qui les soutiennent et ceux qui les combattent.
Les statistiques ethniques font partie de ces bonnes pratiques, et ceux qui les combattent sont
au mieux dans l'erreur.
Jacques Bolo
Bibliographie
Pierre-Yves CUSSET, Sophie BOISSARD, Gwénaële CALVES, René PADIEU, Collectif, Statistiques "ethniques" : éléments de cadrage
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