Marius et Jeannette (1997) ; Scénario : Jean-Louis Milesi et Robert Guédiguian ; Réalisateur : Robert Guédiguian ; Production : Gilles Sandoz ; Musique originale : Jacques Menichetti ; Avec : Ariane Ascaride, Gérard Meylan, Pascale Roberts, Jacques Boudet, Frédérique Bonnal, Jean-Pierre Darroussin, Laetitia Pesenti, Miloud Nacer, Pierre Banderet
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J'avais interrompu ma cinéphilie avant la sortie de ce film de Guédiguian en 1997. Son passage récent à la télé m'a donné une occasion de me rattraper. Je comprends son succès à l'époque : Meilleur film du Prix Louis-Delluc en 1997, César de la meilleure actrice pour Ariane Ascaride en 1998, etc. Il coche toutes les cases du cinéma populisme rétro à la française. Le résultat est plaisant, mais pas sublimissime pour autant.
Le petit théâtre de Guédiguian propose une série de tableaux qui donne l'occasion d'une série de numéros d'acteurs (pagnolesque, ne serait-ce qu'à cause du prénom Marius), bien que Jeannette vole la vedette à tout le monde. Autant le personnage de Jeannette (Ariane Ascaride) est lumineux, autant celui de Marius (Gérard Meylan) est un peu trop éteint, c'est le rôle qui veut ça. Le film me donne l'impression d'une sorte de conte voltairien inabouti, qui manque sans doute de dialogues plus ciselés. C'est le drôle de drame du cinéma français actuel.
Pour compenser, Marius et Jeannette ne rate aucun cliché populiste de gauche, à commencer par la gouaille roublarde de Jeannette, qui se fait renvoyer d'entrée de son emploi de caissière par son patron (Pierre Banderet) en poussant ostensiblement le bouchon de la lutte des classes déclamatoire. Cette rhétorique surjouée permanente par les participants tourne surtout à la galéjade. Ces surenchères font d'ailleurs beaucoup rire les personnages eux-mêmes. On peut accepter ce choix narratif pour rendre la mentalité locale, mais j'y vois plutôt une certaine constance de l'attitude militante qui trouve souvent son débouché dans la dérision compensatoire (actuellement professionnelle dans le stand-up et dilettante sur les réseaux sociaux). Le film donne incidemment à ce principe constitutif une évidence étonnante.
Le reste du film se passe essentiellement entre la cimenterie, où Marius est vigile, et la cour de la maison de Jeannette qu'elle partage avec ses deux enfants (Laetitia Pesenti, Miloud Nacer) et deux couples de voisins-voisines. Pour bien marquer les limites, la voisine Monique (Frédérique Bonnal) reproche sans arrêt à Dédé (Jean-Pierre Daroussin) d'avoir voté pour le Front National : « une fois », s'en défend-il. Le passé de déportation de la voisine célibataire Caroline (Pascale Roberts) est compensé par son envie de vivre qu'elle partage épisodiquement avec l'ancien instituteur Justin (Jacques Boudet).
Avec le recul, on peut aussi être étonné de ce personnage prémonitoire de Justin, prof athée tolérant qui sert un conte aux enfants pour justifier la coexistence des religions, le fils de Jeannette se revendiquant musulman comme son père décédé. Est-ce après ce film que Pierre-André Taguieff a créé l'idée d'« islamo-gauchisme » pour décrire cette compromission coupable de la gauche caviar artistique ? Sur le fond, le discours aux enfants comme les leçons des personnages indiquerait plutôt une gauche orpheline du prolétariat inculte maintenant que tout le monde a fait des études au moins secondaires (voir le tableau dans un autre article), sinon supérieures.
L'ironie tant politique que scénaristique apparaît aussi surtout dans l'apparente contradiction entre la critique du vote FN de Dédé et le prêchi-prêcha d'une des voisines, sur le mode : « achetez français » qui, il faut s'en souvenir, avait été un slogan du Parti communiste dans les années 1970, avant qu'il soit remplacé par le FN sur le sujet. Le film se permet pourtant au passage une critique de la dérive de l'URSS, malgré une défense permanente de l'idée communiste (que Georges Marchais, Secrétaire général du PCF, avait jugé « globalement positive » quelques années auparavant). Trop tard, on se rend compte que certains se sont fait des films : le cinéma soviétique était d'ailleurs de qualité.
Jacques Bolo
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