J'ai voulu revoir ce film Les Cheyennes que j'avais vu sans doute vers 1970, pour me rendre compte du temps qui passe sur les impressions que j'avais pu en conserver et sur le style de réalisation cinématographique. Sans surprise, je ne me souvenais de presque rien.
L'impression qu'on peut en avoir aujourd'hui me paraît surtout un abus de procédés bateaux du scénario, qui donne quand même un peu trop le beau rôle aux quelques rares personnages américains bien disposés envers les Indiens. Dans Wikipédia, on peut lire que John Ford a semblé vouloir se racheter d'avoir été celui qui a tué le plus d'Indiens (dans ses films). Mais on pourrait aussi considérer comme un aveu la séquence étonnante de son film où un patron de journal, voyant que tous les autres tabloïds s'acharnent aussi contre les sauvages, décide de changer la ligne éditoriale et prendre leur défense pour faire le buzz.
Toute aussi surprenante est la longue séquence parodique, à Dodge City, d'une partie de cartes entre James Stewart, Arthur Kennedy et John Carradine, interrompue par des cowboys alertant sur un faux danger cheyenne, qui finit en mobilisation générale, tournant en bouffonnerie. J'imagine que c'était pour détendre l'atmosphère devant un sujet dramatique.
Au passage, il me semble qu'une planche BD de l'histoire de Lucky Luke, Le 20e de Cavalerie, parue aussi en 1964, et qui met également en scène des Cheyennes, s'inspire d'une bataille du film dans un canyon au milieu de rien. La BD s'y moque de l'esprit borné des militaires (et stéréotypé des cinéastes). Les autres scènes en forme de morceaux de bravoures ou de problèmes de conscience se succèdent sans arrêt surtout entre les personnages américains. En comparaison, le film Caravane vers le soleil, de Russell Rouse (1959), dont j'ai fait le résumé paraît presque plus sérieux (outre les Indiens à l'ancienne en simple figuration).
Pourtant, les scènes avec les Cheyennes, avec une prétention documentaire appuyée sur les mœurs indiennes, paraissent historiquement ou ethnologiquement plus authentiques, bien que le reste puisse insinuer le doute. Au moins sur le plan narratif, le simple fait de montrer les deux côtés offrait, à l'époque de la sortie du film, une impression de profondeur dont j'avais sans doute gardé le souvenir. On a vu d'autres films plus documentés depuis. J'ai une tendresse particulière pour Little Big Man (1970), bien qu'il joue aussi sur les deux tableaux, ethnologique et parodique. Les violences y sont plus réalistes. C'est vrai aussi surtout de Soldat bleu (1970). Les voir à l'époque marquait les esprits par contraste aux violences euphémisées des films précédents.
D'une façon générale, les westerns anciens ou récents sont bel et bien fondés de toute façon sur des éléments historiques (guerres indiennes, banditisme, construction du chemin de fer, etc.) et plus spécifiquement quelques épisodes usés jusqu'à la corde. Les premiers films de Sergio Leone, avec le retournement d'un homme de main au service d'un potentat local, correspondent à l'histoire de Billy The Kid à l'épisode de la « guerre du comté de Lincoln. » Les Cheyennes, peut faire penser à l'épisode historique de la « Piste des larmes », qui concerne en fait les Cherokees. Wikipédia indique que les Indiens sont joués par des Navajos dans le film de Ford, outre les rôles cheyennes principaux joués par des Blancs ou des Mexicains.
Le vrai problème de la fiction est de récupérer des thèmes dans l'air du temps et de broder dessus avec éléments narratifs souvent en forme de clichés. Les libertés que prennent les scénaristes peuvent provoquer alors une certaine perplexité. On peut penser au film de Tarantino qui fait assassiner Hitler dans sa parodie de 12 Salopards. Du coup, on ne sait plus si les éléments qu'on suppose vrais ne sont pas aussi de la fiction. On peut le prendre comme une sorte de test pour distinguer ceux qui repèrent les blagues. Pour les autres, c'est le principe du canular ou des fake news qui fonctionne et qui est reproduit aujourd'hui sur les réseaux sociaux.
On pourrait d'ailleurs reprocher à la veine sanguinolente parodique d'avoir trop prospéré avec les Dents de la mer et autres Massacres à la tronçonneuse. Ce dernier film ayant fortement perturbé le philosophe allemand Peter Sloterdijk, au point d'avoir provoqué chez lui une sorte de mécanisme de défense régressif (vers d'autres clichés, philosophiques évidemment), avec son Règles pour le parc humain (1999), comme je l'ai montré.
Mais la leçon des Cheyennes de Ford est plutôt que la fiction récupère et détourne à peu près tout en appliquant une grille de lecture canonique. Les spectateurs en font ensuite un usage du point de vue partiel qui les arrange, cinéphile, documentaire, moraliste, cynique. Ici, on parle quand même de génocide. On peut créditer John Ford d'avoir tenté d'en montrer un épisode, avec ses moyens hollywoodiens.
Jacques Bolo
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