Le magazine L'Express n° 3698 du 19 au 25 mai 2022 a consacré son dossier de la semaine au nouveau marronnier du boomer-bashing, pour relancer les ventes après le creux de la présidentielle. Les législatives du 12 et 19 juin auraient dû normalement servir de sujet. Mais les médias semblent décidément ne traiter la politique que sous l'angle du scandale. L'express titre donc à la une un délirant : « Retraites, écologie, dépenses publiques : Les boomers ont-ils ruiné la France ? » L'occasion est offerte par le nouveau livre de François de Closets, 88 ans, qui semble en vouloir à la génération suivant la sienne. Notons qu'elle a pourtant été celle qui a soutenu sa carrière de journaliste essayiste. Cherche-t-il de nouveaux lecteurs parce que ses ventes baissent ? S'il veut embobiner les plus jeunes avec des fake news, ça risque surtout de décrédibiliser ses enquêtes antérieures.
J'ai déjà parlé, dans « Génération X contre Baby-boomers », de cette nouvelle légende urbaine sur le mode « place aux jeunes » qui me paraît bidon et malsaine. Dans le temps, on parlait de « secouer le cocotier », en référence à la pratique supposée des Mélanésiens pour éliminer les vieux qui n'étaient plus capables de s'accrocher au tronc. Ce n'est donc pas nouveau (sinon que c'est un plus âgé qui secoue l'arbre ici). On vient aussi de constater la récurrence de cette idée à propos du Covid. Certains, jeunes ou non, s'en sont foutus ostensiblement parce que la pandémie touchait presque exclusivement des seniors supposés mourir dans les six mois de toute façon. Je viens de rectifier la même erreur du professeur Raoult sur l'espérance de vie dans un article précédent.
La sottise du mythe des boomers profiteurs concerne déjà l'idée selon laquelle les Trente glorieuses auraient été bénies des dieux. Ma réfutation précédente consistait à rappeler que c'est donc, par définition, plutôt la génération de François de Closets qui aurait profité des trente glorieuses que les nouveau-nés. Mais la situation n'était bonne pour personne, entre restrictions d'après-guerre, guerres coloniales d'Indochine et d'Algérie de 1954 à 1962, insatisfactions sociales qui ont abouti à Mai 68, le tout finissant par la crise du pétrole en 1974. On n'est pas vraiment dans la série Happy days, tournée en 1974, qui idéalise les années 1950 américaines. Cette idée anti-boomers est un mythe télévisuel américain qui sert de mème médiatique.
Notons aussi que le baby-boom américain a duré de 1946 à 1964, alors que le baby-boom français correspond à 1946-1974 (reprise des naissances après la Deuxième Guerre mondiale et la baisse de la natalité de l'Entre-deux-guerres). Même certains supposés spécialistes appliquent à tort les dates américaines pour la France. C'est une erreur méthodologique fondamentale.
Baby-boom américain (en bleu) |
Baby-boom français (en vert) |
1935 |
2.377.000 |
1935 |
643.870 |
1936 |
2.355.000 |
1936 |
634.344 |
1937 |
2.413.000 |
1937 |
621.453 |
1938 |
2.496.000 |
1938 |
615.582 |
1939 |
2.466.000 |
1939 |
615.599 |
1940 |
2.559.000 |
1940 |
561.281 |
1941 |
2.703.000 |
1941 |
522.261 |
1942 |
2.989.000 |
1942 |
575.261 |
1943 |
3.104.000 |
1943 |
615.780 |
1944 |
2.939.000 |
1944 |
629.878 |
1945 |
2.858.000 |
1945 |
645.899 |
1946 |
3.411.000 |
1946 |
843.904 |
1947 |
3.817.000 |
1947 |
870.472 |
1948 |
3.637.000 |
1948 |
870.836 |
1949 |
3.649.000 |
1949 |
872.661 |
1950 |
3.632.000 |
1950 |
862.310 |
1951 |
3.823.000 |
1951 |
826.722 |
1952 |
3.913.000 |
1952 |
822.204 |
1953 |
3.965.000 |
1953 |
804.696 |
1954 |
4.078.000 |
1954 |
810.754 |
1955 |
4.097.000 |
1955 |
805.917 |
1956 |
4.218.000 |
1956 |
806.916 |
1957 |
4.308.000 |
1957 |
816.467 |
1958 |
4.255.000 |
1958 |
812.215 |
1959 |
4.244.796 |
1959 |
829.429 |
1960 |
4.257.850 |
1960 |
819.819 |
1961 |
4.268.326 |
1961 |
838.633 |
1962 |
4.167362 |
1962 |
832.353 |
1963 |
4.098.020 |
1963 |
868.876 |
1964 |
4.027.490 |
1964 |
877.804 |
1965 |
3.760.358 |
1965 |
865.688 |
1966 |
3.606.274 |
1966 |
863.527 |
1967 |
3.520.959 |
1967 |
840.568 |
1968 |
3.501.564 |
1968 |
835.796 |
1969 |
3.600.206 |
1969 |
842.245 |
1970 |
3.731.386 |
1970 |
850.381 |
1971 |
3.555.970 |
1971 |
881.284 |
1972 |
3.258.411 |
1972 |
877.506 |
1973 |
3.136.965 |
1973 |
857.186 |
1974 |
3.159.958 |
1974 |
801.218 |
1975 |
3.144.198 |
1975 |
745.065 |
1976 |
3.167.788 |
1976 |
720.395 |
1977 |
3.326.632 |
1977 |
744.744 |
1978 |
3.333.279 |
1978 |
737.062 |
1979 |
3.494.398 |
1979 |
757.354 |
Source Wikipédia - Baby-boom américain, Baby-boom français |
Qui a profité ?
Concrètement, outre les radotages éternels sur le bon vieux temps, on peut admettre que les bons souvenirs des Trente glorieuses concernent la modernisation de la France. Dans cette période, la France en était une pâle copie de cet idéal de consommation américain. On disait à l'époque que la France avait vingt ans de retard sur les États-Unis. J'ai rappelé dans l'article précédent, dont je reproduis ci-dessous le tableau, que l'équipement des ménages français était très lacunaire avant les années 1990 :
On peut donc dire que c'est la génération X et les millénials (français) qui ont profité de la généralisation consumériste. Mais déjà, c'est un peu idiot de dire qu'une génération en profite. Elles sont toutes présentes en même temps. Celles qui ont travaillé pour obtenir ce résultat n'ont pas profité, mais l'ont produit, que ce soit la génération de François de Closets ou les boomers à mesure qu'ils entraient dans la vie active. On travaillait plus à l'époque.
Ce qui semble avoir changé aujourd'hui est que le mythe prolétarien, qui parlait d'exploiteurs capitalistes, a été remplacé depuis quelque temps par cette idée de boomers qui profiteraient solidairement, en tant que génération. Sur la base idéologique marxiste précédente, on pourrait quand même dire que certains en profitent plus que d'autres. Comme pour les gadgets domotiques du cadre snob du film Mon oncle de Tati, c'étaient seulement les classes aisées qui en bénéficiaient alors que le personnage joué par Tati habitait dans un taudis pittoresque. Ces équipements domestiques faisaient surtout rêver les autres, qui ont progressivement pu les acquérir (on parle de l'eau courante, de la salle de bains, de l'équipement ménager et audio, de l'automobile, etc.). Cette légende des boomers hédonistes est une invention bébête de la droite en manque d'idées dans les années 2000, avec Sarkozy en particulier, pour dire que tout est de la faute des soixante-huitards. Ils n'étaient pourtant qu'une minorité à l'époque.
Déjà, en ce qui concerne la responsabilité politique pour les décisions prises, on se souviendra que la majorité électorale était de 21 ans. Les boomers politiquement responsables seraient ceux nés entre 1946 et 1953 (1974-21), soit seulement sept ans avant 1974, et la droite était au pouvoir jusqu'en 1981. Rappelons que les élections législatives, après la dissolution de l'Assemblée nationale par De Gaulle en 1968, ont donné une majorité de 367 députés de droite sur 487.
L'adoption de cette idiotie anti-boomers-soixante-huitards par les médias relève de la fake news complotiste (thématique actuelle). On peut admettre que l'idée de péril rouge reprend du poil de la bête avec le succès de La France Insoumise de Mélenchon (ce n'était pas le cas au début des années 2000). Mais le danger n'est plus à nos portes. Plus personne ne croit que la Russie soit communiste ni même la Chine, malgré la direction du Parti communiste chinois. Et la gauche est minoritaire actuellement en France et un peu partout dans le monde.
Écologie
On peut admettre que la période correspondant aux boomers constitue les débuts de la société de consommation en France, déjà réalisée depuis longtemps avec le fordisme en Amérique. Mais les boomers étaient des enfants et des jeunes adultes qui n'avaient certainement pas le pouvoir de décision, même comme simples consommateurs, du fait de la faiblesse du pouvoir d'achat des jeunes à l'époque. Le crédit n'existait pas au début de la période et le nouvel accès à la consommation correspondait surtout au changement vis-à-vis des pénuries antérieures constatées dans le tableau précédent. On pourra aussi lire Les Trente glorieuses (1979) de Jean Fourastié pour visualiser un peu mieux la situation.
Il faut souligner aussi que l'apologie du consumérisme ne concerne pas la minorité soixante-huitarde qui était, au moins idéologiquement, contre la société de consommation. On se souvient des « babas cool » comme José Bové retournant garder des chèvres dans les Cévennes et Pierre Rabhi pour l'agroécologie. Ils sont à l'origine de la mode bio. On se souvient aussi du rapport Meadows du Club de Rome sur les limites de la croissance en 1972 et de la candidature écologique de René Dumont en 1974.
Contrairement à l'accusation falsifiée contre les boomers/soixante-huitards, le consumérisme idéologique concerne la droite gaulliste qui valorisait la croissance, avec la complicité du syndicalisme pour l'augmentation du pouvoir d'achat. Le propre de cette période a bien consisté dans l'égalisation des conditions de vie par opposition aux gros écarts de consommation et d'équipement antérieur. Auparavant les biens de consommation étaient considérés comme des privilèges statutaires. Outre le téléphone mentionné sous le tableau, on peut l'illustrer par le fait que le fameux immeuble Le Corbusier, « L'Unité d'habitation de grandeur conforme » ou « Cité radieuse » de Marseille, n'avait pas prévu la place pour les équipements ménagers. Ils étaient considérés comme inaccessibles au populo. L'erreur actuelle est plutôt de maintenir un discours périmé sur « les inégalités », surtout pour l'équipement des ménages. Et cette égalité revendiquée est aussi forcément contradictoire avec la critique de la surconsommation.
Le problème écologique actuel correspond justement à la généralisation progressive de meilleures conditions de vie, qui était l'idéal des générations antérieures et qui le reste dans de nombreux pays. On reconnaît ici le problème de la comparaison de consommation des pays riches avec les pays pauvres dont parlent les écologistes. La réalité est qu'il existe des riches dans les pays pauvres et qu'il n'existe presque plus de pauvres (15-20 %) dans les pays riches (ailleurs, c'est 80 %). Ceux qui se plaignent qu'il en reste encore veulent bien une augmentation de leur consommation. Les militants s'en sortent en prétendant réduire la consommation des riches et se sont rabattus sur la stigmatisation risible des milliardaires. On constate que les politiciens racontent tout et le contraire de tout. L'écologie est juste un nouveau gimmick.
Il existe donc effectivement un problème écologique aujourd'hui parce que les pays pauvres sont en train de rattraper les pays riches. Et surtout, il ne faut pas oublier que la population mondiale est le double de celle des années 1950. Le problème n'est certainement pas dû aux boomers en tant que tels, mais plutôt à l'existence de leurs enfants et de l'éradication progressive de la pauvreté dans le monde en pourcentage. Tout ça consomme des ressources. Notons que François de Closets signale que sa mère avait huit enfants. Cela a bien changé depuis dans les pays développés et cela persiste malheureusement dans les autres, d'où leur situation du fait de la difficulté à résorber la pauvreté, contrairement à l'argument écolo bizarre justifiant que les pays pauvres consomment moins, ce qui signifierait donc qu'ils doivent rester pauvres.
Déficit et Retraites
Devant ces réalités que François de Closets connaît pourtant, il veut s'en sortir en parlant du déficit, comme si tout le monde n'en avait pas également profité : les boomers supposés à la retraite aujourd'hui ont donc forcément fait profiter leurs enfants du déficit correspondant aux investissements publics - dont ceux concernant la transition écologique, qui sert à justifier et augmenter les déficits ces derniers temps.
Notons ici encore que les boomers ne sont pas tous à la retraite. Comme ils sont nés entre 1946 et 1974 (et non 1964, comme aux États-Unis), ils ont donc actuellement entre 48 et 76 ans. Cette idée de retraité profiteur est déjà un peu absurde en général : on serait actif, puis on deviendrait brusquement un profiteur. Les boomers (pour la moitié) auraient donc déjà tourné profiteurs, en attendant que les millénials deviennent profiteurs à leur tour.
On comprend cependant ce que veut dire cette façon malsaine de tourner les choses : le problème est que la retraite par répartition fait porter la charge des pensions sur les actifs, sachant que les retraités sont plus nombreux que dans les années 1950 par exemple. On cite toujours le chancelier Bismarck (1815-1898) décidant de la retraite à 60 ans parce que c'était l'espérance de vie à l'époque - comme si ça voulait dire que personne ne pouvait en profiter (voir ma rectification sur Raoult et l'espérance de vie). La mortalité infantile, qui était énorme à l'époque, allongeait d'autant la durée de vie réelle.
Mais les millénials seront dans la même situation puisque l'espérance de vie continue d'augmenter pour le moment. S'il existe un problème du système de retraites par répartition relatif au nombre de retraités, la question se pose effectivement de la prolongation de la vie active. Il est possible que l'idée de gauche de retraite à 60 ans ait la conséquence perverse d'une idéologie anti-vieux, sous le prétexte qu'ils seraient devenus socialement inutiles. C'est ce qui fait débat en ce moment, puisque l'alternative de l'augmentation des cotisations accroît la charge sur les actifs. Mais diminuer les cotisations obligerait à épargner, ce qui reviendrait bien au même en termes de réduction du pouvoir d'achat des actifs.
En tout état de cause, pour tout le monde, les retraites correspondent justement à la contrepartie de trimestres de cotisations. Ce n'est pas un privilège ou une spoliation, c'est le principe de l'assurance. Contester le montant des retraites correspond au principe que les assureurs ne veuillent pas indemniser les sinistres, avec l'inconvénient intellectuel qu'on considère l'augmentation de la durée de vie comme une catastrophe !
Un autre effet pervers de l'anticapitalisme est la récrimination des millénials contre les retraités considérés indûment plus riches que les actifs. La situation est le résultat des cotisations capitalisées pour les futures retraites ou celui d'une épargne pour les plus économes, le plus souvent sous forme de patrimoine immobilier. En fait, les retraités ont simplement fini de payer leur crédit. L'évaluation des inégalités jeunes/vieux est ici surtout faussée par l'augmentation des prix de l'immobilier. Cet argument égalitariste est aussi un truc pour justifier des augmentations d'impôts sur ce patrimoine, toujours en oubliant qu'on sera aussi concerné plus tard. Le patrimoine en question sert d'ailleurs à financer les maisons de retraite et les soins de fin de vie.
Dans tous les cas, la retraite n'est pas une génération qui paie pour une autre, mais un système d'épargne obligatoire pour éviter de devoir s'occuper d'indigents qui n'auraient pas épargné pour leurs vieux jours. C'est la solution institutionnelle à la fable de La Cigale et La Fourmi. Un problème est plutôt qu'on semble toujours assimiler la retraite à une sorte d'assistance aux pauvres (surtout du fait du discours de gauche). Si elle l'est en partie, c'est surtout par démagogie politique du fait que cela signifie donc que les cotisations sont insuffisantes (ou les salaires trop bas).
Notons aussi que les propositions de François de Closets, essentiellement réduire les retraites (jugées trop élevées) ou augmenter la durée d'activité à 67 ans, correspondent déjà plus ou moins à la réalité. Soit il faut effectivement travailler plus longtemps pour toucher sa retraite à taux plein, surtout avec l'allongement des études, soit les retraites seront moins importantes. Son autre idée de supprimer le principe de l'ancienneté signifie surtout que les salaires des actifs vont stagner. Le tout visant à augmenter contradictoirement le pouvoir d'achat (point qui annule aussi l'argument écologique). Le pamphlet de François de Closets est une embrouille qui vise à embobiner les jeunes pour accepter une réduction de salaire et celle de leur future retraite en accusant les vieux.
Angoisse écologique
L'article qui suit dans le dossier de L'Express : « Génération de fin du monde » devrait plutôt s'interroger sur le rôle des médias dans le catastrophisme écologique qui déprime les millénials. Outre que les générations précédentes étaient déprimées par d'autres sujets, guerres et dictatures (Vietnam, Chili, Afrique du Sud, Cuba, URSS, etc.), famines (Éthiopie, Sahel, etc.), épidémie de Sida (les boomers avaient entre 6 et 36 ans au début), problèmes de société (racisme, sexisme, surpopulation), l'écologie était déjà présente (marées noires du Torrey Canyon en 1967, de l'Amoco Cadiz en 1978, du Tonio en 1980, de l'Exxon Valdez en 1989, accidents nucléaires de Three Mile Island en 1979 et Tchernobyl en 1986, pollution au mercure de Minamata en 1956, etc.).
L'idée que les boomers n'ont rien fait est fausse. En fait, ceux qui ont fait quelque chose sont précisément les militants post-soixante-huitards qu'accusent ceux qui n'ont rien fait (dont la génération de François de Closets en leur temps). La plupart des thèmes actuels étaient présents dans les années 1970 et le fait que tout le monde en parle aujourd'hui est d'abord dû à l'acharnement de ces militants écologiques d'origine. C'était loin d'être évident pour tout le monde à l'époque. Ce qui avait bonne presse était plutôt seulement la cause animale. La différence est plutôt dans le fait que ceux qui parlent d'écologie aujourd'hui sont payés pour le faire ou envisagent de l'être alors que l'action était souvent bénévole auparavant.
Le sentiment d'urgence est cependant une dramatisation médiatique souvent factice, sur le mode des films catastrophes ou par des documentaires biaisés). La conséquence en est d'ailleurs une écoanxiété morbide pour les jeunes qui croient bêtement avoir trouvé la solution en accusant les vieux. Des scientifiques du Giec se sont même sentis obligés de préciser, dans un article du monde du 27 avril 2022, qu'« Il n'est jamais trop tard pour agir en faveur du climat », contre le slogan écolo-médiatique bidon selon lequel « il ne reste que trois ans pour agir ». L'idée marketing selon laquelle il faut des « symboles forts » pour déclencher la conscience peut au contraire avoir des effets contre-productifs (c'est trop tard) ou négatifs (dépression, terrorisme écologique). D'où la rectification du Giec.
La rationalité d'une analyse correcte est toujours le seul moyen de ne pas se monter la tête. La sentence de l'empereur romain Marc Aurèle reste valide : il faut avoir la force de supporter ce qui ne peut être changé, le courage de changer ce qui peut l'être, et surtout la sagesse de distinguer l'un de l'autre. De plus, le sens critique doit s'appliquer à tout le monde.
Marketing médiatique
Un autre article du numéro de L'Express, « S'il n'y avait pas eu les boomers », veut jouer les modérateurs, mais ne trouve rien d'autre à dire que parler de Kennedy qui promet la Lune et du dépôt de nombreux brevets par les boomers entre 1975 et 2005, sur le mode productiviste des Trente glorieuses. Outre le fait plus basique que si les boomers n'avaient pas été là les millénials ne seraient pas là non plus, c'est un peu court. La réalité est simplement que chaque génération doit gérer l'héritage de la précédente en faisant ce qu'elle peut, les boomers comme les millénials. Le point positif, depuis le début du XXIe siècle, est que les moyens techniques et l'information offrent des ressources qui n'existaient pas auparavant (mais qui n'existent encore pas forcément partout dans le monde).
Le gimmick journalistique de l'opposition boomers/millénials est biaisé par le fait que les générations successives existent simultanément. Il semble que ce nouveau cliché des boomers transpose l'idée de lutte des classes à une sorte de lutte entre les générations de façon plaquée. C'est une stratégie médiatique factuellement mensongère et psychologiquement malsaine. Ceux qui l'utilisent sont simplement des politiciens, des journalistes ou des intellectuels sans scrupule qui montent les gens les uns contre les autres pour leurs intérêts personnels. On sait bien que c'est appliqué mécaniquement à beaucoup de domaines (sexes, professions, immigration, nations, etc.).
Ça marche parce que des imbéciles reprennent sans réfléchir ne serait-ce qu'un instant ce qu'ils lisent dans les journaux ou entendent à la télévision. J'ai eu l'occasion de dire (« La grande illusion des gilets jaunes ») que les réseaux sociaux n'ont une influence que dans la mesure où leurs idées sont reprises par les médias mainstream. Cette répétition fonctionne sur le principe des rumeurs. Le problème est plutôt que les médias actuels, pour faire du remplissage (du fait des chaînes en continu), font plus de commentaires que d'informations, surtout parce que les reportages internationaux coûtent plus cher. Le nec plus ultra du journalisme de terrain actuel semble être d'interroger les Français sur leurs lieux de vacances ou au moment des départs.
Notons cependant que les universitaires (et leurs imitateurs) ont tort de critiquer le contenu de ces sortes de cafés du Commerce permanents. Ce n'est pas ça le problème. Ce phénomène montre simplement que tout le monde est plus ou moins capable de commenter les informations dont il prend connaissance. C'est le principe de la citoyenneté. Il faut juste se rendre compte que cela indique le niveau commun. Si le niveau est bas, c'est que les institutions académiques et politiques ont mal fait leur travail. J'ai eu récemment l'occasion de citer sur Twitter l'échec de quarante années du prétendu « devoir de mémoire » de Pierre Nora qui n'ont pas empêché quelqu'un comme Zemmour d'affirmer que Pétain avait sauvé les juifs français. Ne parlons même pas des sujets comme l'IA, ni de Finkielkraut, la laïcité, Brassens récemment traité sur le mode cancel culture par Antoine Perraud de Médiapart, autant de sujets pour lesquels j'ai publié des analyses sur ces errements intellectuels. L'étude des conneries est devenue ma spécialité.
Jacques Bolo
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