L'affaire de la ferme de Saint-Aubin-en-Bray, dans l'Oise, constitue un bon exemple des conséquences de la nouvelle doxa médiatique. D'aucuns parlent de « politiquement correct » dans d'autres domaines. La propagande ruraliste de Jean-Pierre Pernaut, présentateur du journal télévisé de TF1 récemment décédé, si elle dénonce utilement la désertification commerciale et médicale des campagnes et tente même d'y remédier, s'est accompagnée d'un passéisme et d'une idéologie anticitadine malsaine.
La construction d'une extension d'un élevage à 260 bovins, avec la construction d'une étable à moins de 50 m des habitations, a provoqué des protestations des six voisins concernés qui ont intenté un procès à l'éleveur. Il vient d'être condamné à 100 000 € et à reconstruire l'étable ailleurs. Ce qui a déclenché une indignation de ceux qui se posent en défenseur de la paysannerie. L'éleveur a reçu le soutien de la FNSEA et d'une large partie de la presse qui répercute favorablement les arguments de la profession. Même Le Monde, réputé parisien, semble touché par la détresse du délinquant. En particulier, les photos qui illustrent l'article relèvent d'une imagerie étonnamment kitsch et Le Monde titre sur « le désarroi du monde agricole face à l''agribashing' » dans un autre article, tandis que l'interview des plaignants est étrangement dénigrante.
Dans la presse et à la télé, on a eu évidemment droit à la rengaine selon laquelle les « parisiens » ou les bobos se trompent sur la ruralité qu'ils imaginent « écologique » alors qu'il s'agit d'un espace professionnel. Ce n'est pas entièrement faux, encore qu'un bon nombre de citadins ait des attaches rurales et qu'ils pratiquent la campagne de loin en loin. Il faudrait ajouter que les autres, installés progressivement depuis une quarantaine d'années dans les nouvelles zones pavillonnaires rurales, sont bien là parce que les ruraux leur ont vendu le terrain (parfois en zone inondable). Ceux qui maintiennent une activité agricole ont pu d'ailleurs en profiter pour dégager des fonds et investir dans leur exploitation.
Nuisances
Il n'en demeure pas moins qu'une nuisance est une nuisance, qu'il s'agisse des pesticides, du bruit ou des odeurs. Une ferme qui passe à 260 bêtes n'est pas bucolique. C'est une industrie. Le paysan se défend même en prétendant se démarquer de la fameuse « ferme des 1000 vaches », comme un vulgaire bobo. Ce n'est pas sérieux. Si en ville on construisait une usine (qui pue) à moins de 50 m de leurs pavillons, les propriétaires ne seraient pas contents non plus. Ce n'est pas une question de ruralité, qui « ne ment pas », comme le veut le revival pétainiste.
L'affaire est très simple : le bâtiment a été construit à moins de 50 m des habitations. Pour s'en rendre compte et pour informer correctement, il suffisait de prendre la peine de consulter la photo satellite sur Google Maps® pour le constater. Le journaliste est bien allé sur place, mais n'a pas pris la hauteur nécessaire.
L'article du Monde admet que le paysan n'aurait pas dû avoir les permis de construire : « le tribunal administratif d'Amiens les a annulés en 2013, mais sans imposer la destruction des bâtiments » et l'exploitant argumente : « on a tous des dérogations de distance ici », ce qui est sans doute le vrai problème. La limite légale est de 100 m. En Corse, on parlerait de comportement mafieux, mais c'est bien le cas général des pratiques municipales rurales.
Récemment, les partisans de la ruralité ont inventé la notion de « patrimoine sensoriel », introduit dans le code de l'environnement par la loi du 29 janvier 2021, pour se faire les avocats des bouses de vaches, du chant du coq et des cloches des églises. Mort de rire ! On vient de voir que les vaches vont par 260. On s'approche des grands troupeaux des ranches du Far West, mais sans les grandes plaines ni les cowboys. Cela correspond davantage à l'élevage de poulets en batterie, pour lesquels le chant du coq ne sert plus qu'à la pub. Quant aux églises, outre la déchristianisation, on n'a évidemment pas besoin d'entendre sonner les heures, les demis et les quarts, comme j'avais pu le constater dans le village de Mouriès où j'ai séjourné il y a quelques années. Tout le monde a l'heure sur soi aujourd'hui.
L'article du monde en rajoute dans les pleurnicheries syndicales et politiciennes et « le président des Hauts-de-France, Xavier Bertrand, a assuré que 'la région répondra présent' en cas de 'problèmes de trésorerie'. Une cagnotte en ligne a, en outre, déjà collecté quelque 10 000 euros au profit de la famille Verschuere. » Rappelons que l'article 40 de la loi du 29 juillet 1881, confirmée en 2017, interdit les collectes pour payer le montant des condamnations, sous peine de six mois d'emprisonnement et/ou de 45 000 euros d'amende.
Jacques Bolo
|