La nouvelle affaire McKinsey joue le rôle de boule puante de fin de campagne présidentielle contre le président Macron. Apparemment, elle rencontre un certain succès et semble affecter les sondages à la défaveur de l'ancien président. C'est évidemment un coup fourré du type de celui de Canard enchaîné contre Giscard à propos des diamants de Bokassa (empereur de Centre-Afrique). Ça peut donc marcher pour faire élire de peu son challenger, voire éliminer Emmanuel Macron du second tour. Mais c'est aussi foireux, voire encore plus dans le cas présent.
Il peut exister des abus de recours au cabinet McKinsey de la part du président et de son gouvernement. Plus généralement, le recours fréquent à des cabinets de conseil est discutable, et cela concerne toutes les administrations. Mais la discussion n'est justement pas tranchée.
Ce qui s'est passé ces quarante dernières années est effectivement un vaste mouvement de privatisation (la gauche parle donc de néolibéralisme) un peu partout dans le monde et spécialement en France qui avait l'habitude de porter au pinacle ses services publics. Concrètement, d'ailleurs, ces privatisations ont surtout servi à réduire l'augmentation du déficit, qui aurait donc été encore plus importante sans cela, avec les conséquences afférentes. On parlait de vente des bijoux de famille. Il semble que ça a surtout servi à couvrir les dépenses courantes et les divers cadeaux salariaux et fiscaux plutôt qu'à faire des investissements productifs. Une raison légitime à ces privatisations était que la mondialisation des entreprises anciennement publiques (France Télécom, EDF, etc.) exigeait leur transformation en entreprises privées pour pouvoir s'internationaliser. Un pays ne pouvait pas raisonnablement ou légalement posséder les services publics d'un autre. L'inconvénient est que l'actionnariat a souvent été trusté par les fonds de pension étrangers qui ponctionnent les profits de ces anciens fleurons nationaux. Remarquons qu'il aurait été intelligent de constituer un fonds souverain pour les détenir et garantir ainsi des retraites par capitalisation. On imagine que le principe de la retraite par répartition a constitué un frein à cette éventualité.
Si le mouvement de privatisation s'est donc étendu à de nombreux services, ce n'est quand même pas le cas général. Au contraire, les services publics ou territoriaux se sont énormément développés pendant la même période. Des services privés avaient toujours existé, en particulier les formations professionnelles, dont l'Éducation nationale n'avait jamais été très friande et dévalorisait notoirement tout ce qui n'était pas l'enseignement général ! C'étaient les entreprises privées (informatique, banque, secrétariat, industrie, commerce, etc.) qui réalisaient elles-mêmes le plus souvent en interne les formations dont elles avaient besoin. Une grande partie de ces formations est intégrée aujourd'hui à l'Éducation nationale ou sous-traitée à des structures diverses dans le cadre de la formation continue. La cotisation patronale qui lui correspond a créé un gigantesque fromage de plus de 15 milliards annuels contre le milliard dont on parle aujourd'hui à propos de l'ensemble des cabinets de conseil. McKinsey n'en reçoit que 1 %, semble-t-il.
L'arrivée des cabinets de conseil en France est relativement récente. Ce qui s'est passé est plutôt la sous-traitance progressive des anciennes missions de l'État à une multitude d'associations. La décentralisation a généré une foire aux subventions et au clientélisme du fait de la tendance à l'extension de compétences à chaque niveau administratif. Les politiques ont compris le truc en créant des partis personnels et des bureaux d'études. De nombreuses affaires de corruption ont fait la une de la presse.
Le véritable problème des cabinets de conseil est la pertinence de leur contribution, pas le fait qu'ils soient privés ou étrangers. Il est certain qu'on peut toujours posséder un service interne pour traiter une question, même si toute entreprise publique ou privée peut forcément toujours avoir recours à des prestataires externes. On peut aussi admettre l'argument de l'opportunité d'un point de vue extérieur, encore que cela soit discutable du fait que les formations sont normalisées et souvent communes.
Certains commentateurs ont souligné que le recours à des cabinets de conseil prestigieux permettait aux décideurs de justifier la qualité de leur décision. Cela peut relever seulement d'un artifice ou d'un truquage pour une décision déjà prise, ce qui est un mode de fonctionnement fréquent en politique. On peut y voir un détournement de fonds public, surtout dans la mesure où cela fausse le débat. On évoque aussi souvent les divers lobbies qui produisent des rapports pour défendre leurs intérêts. Mais cela signifie que les opposants éventuels se laissent tromper. Ils devraient donc également avoir recours à leurs propres experts ou cabinet de conseil pour présenter des alternatives. Il n'est pas question de débat à bâtons rompus dès qu'il s'agit d'un sujet technique. Parler de démocratie ne sert à rien. Une préparation est nécessaire.
Ce que certains reprochent aux cabinets de conseil est surtout que leurs intervenants sont beaucoup mieux payés. C'est relatif. On constate en effet que les récriminations ne tiennent pas compte du fait que le prix des prestations comprend les charges (il faut en général diviser par deux pour un salaire net) ni du fait qu'il s'agit de missions limitées dans le temps. On peut considérer les consultants comme des employés ubérisés bien payés. Engager un fonctionnaire titulaire coûterait beaucoup plus cher et un détachement devrait prendre en compte les frais de déplacement. Les partisans du public ne s'intéressent guère à la condition des travailleurs indépendants et ne semblent pas concevoir que leur propre statut à un coût. D'ailleurs, comme cette syndicaliste à propos de l'emploi de consultants pour traiter la question des retraites, certains militants du public ne trouvent rien de mieux à dire que réclamer une augmentation à la place des rémunérations en question. On comprend qu'on puisse préférer employer des consultants pour essayer de traiter la question posée.
Mais surtout, la conception implicite contre l'usage des cabinets de conseil aboutit au final à intégrer ceux qui appartiennent à ces cabinets dans les entreprises publiques ou à ce que toutes les entreprises soient publiques pour la version de gauche classique sur le mode « nationalisation des moyens de production ». Outre les avantages éventuels de l'externalisation actuelle, il en résulterait forcément qu'on aurait donc affaire aux mêmes personnes, puisqu'elles ont été les condisciples académiques de ceux qui ont choisi le public. On peut imaginer que pour la partie technique ils pourraient prendre les mêmes décisions.
Si la question est la seule opposition entre la privatisation et la nationalisation, on peut admettre que le modèle d'économie mixte permet une certaine souplesse. Si la question est l'efficacité proprement dite, on peut admettre que le modèle socialiste intégré n'a pas produit les résultats attendus malgré la bonne volonté supposée et militante de ses agents dans les pays qui ont généralisé le public. Le risque connu est la bureaucratie et au moins autant de népotisme et de coups fourrés que dans le capitalisme le plus sauvage. L'idée correctrice courante de la forme sociale-démocrate empirique plus ou moins générale est le rôle des contre-pouvoirs. Apparemment, le véritable problème constaté est que le risque de corruption personnelle ou systémique persiste dans tous les systèmes.
Jacques Bolo
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