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Culture / Sciences / Écologie - Janvier 2022

Don't Look Up! (2021)

Résumé

La lecture courante du film Netflix Don't Look Up! est discutable. Le mode catastrophiste hollywoodien a contaminé la rhétorique militante qui n'en a pourtant pas besoin.

Le film Netflix Don't look up! a suscité une vague d'engouement pour sa critique de l'aveuglement volontaire des médias face à un risque planétaire majeur, quoique poussé à une caricature peu crédible. L'annonce d'une météorite devant frapper la terre dans six mois considérée comme une info secondaire ou seulement hypothétique a été vue par beaucoup comme une allégorie du comportement face à la prévision du changement climatique. On se demande un peu pourquoi : on ne parle que du climat depuis déjà quelques années et cela devient une sorte de rengaine quotidienne dans les médias, les publicités et le marketing ou la politique.

Concrètement, le film présente deux scientifiques qui ne sont pas pris au sérieux ou qui sont utilisés avec la contrainte du formatage télévisuel d'un flot continu de divertissement. Une faiblesse du scénario est qu'il est absurde de supposer qu'un accord entre spécialistes comme celui à propos d'une météorite ne serait pas repris par tout le monde et au moins par une partie des médias et du public sur les réseaux sociaux, comme c'est exactement le cas aujourd'hui pour la plupart des polémiques.

Sur le fond, le film vise bien sûr la chaîne télé Fox News et les politiciens de type Trump ou les intérêts financiers et industriels sur le modèle ancien des cigarettiers niant le risque du cancer ou des constructeurs automobiles quand ils refusaient la ceinture de sécurité. Au mieux, il s'agit d'une référence périmée pour se donner le beau rôle. Les milléniaux s'autopersuadent de la légende urbaine selon laquelle les boomers seraient responsables de la situation présente alors que c'est évidemment la génération précédente des boomers engagés dans l'écologie qui a connu cette incompréhension et ce genre de dénigrement, à l'époque du rapport du Club de Rome (1972) en particulier. Le point important concernant le rôle de l'homme sur le climat est plutôt que la population mondiale a doublé depuis.

Urgence

La concession rationnelle qu'on peut faire au film est que la critique porte sur l'urgence (climatique ou non). Mais l'exagération et la mauvaise foi relèvent aussi du modèle catastrophiste hollywoodien qui abuse des comptes à rebours (en particulier pour désamorcer des bombes). On en est tous conscients au point que certains films se moquent de ce cliché en proposant des variations plus ou moins parodiques (Sherlock Holmes). L'idée d'urgence vise aussi l'inaction des gouvernements malgré les engagements pris dans les conférences internationales sur le climat. On en était à la COP26 en 2021. Ce point aussi est douteux et biaisé. L'urgence est très relative (c'est toujours le cas). D'ailleurs, trop dire qu'il y a urgence est contre-productif : vu l'inertie atmosphérique en matière de climat, si c'est urgent, c'est déjà trop tard (comme pour Don't look up!).

Il ne faut pas croire non plus qu'on peut changer les choses si rapidement. Et quel que soit le risque, les autres problèmes sont aussi présents et souvent encore plus urgents. On voit avec la polarisation sur le Covid-19 que la prise en compte d'autres pathologies laisse à désirer. Concrètement, pour des cas comme la montée des océans, en tant que boomer concerné, quand j'en avais parlé à ma copine de l'époque - comme une urgence donc, il y a quarante ans -, elle m'avait ri au nez. Le fait est que le niveau augmente de quelques millimètres par an et qu'on doit donc avoir eu une douzaine de centimètres de hausse depuis. Même avec une accélération, ça devrait augmenter d'une vingtaine de centimètres dans quarante ans (sauf envolée du phénomène). C'est bien relatif, malgré la présentation généralement catastrophiste par des reportages plus ou moins scientifiques sur le grignotage des falaises ou des plages et les réfugiés climatiques des îles du Pacifique. D'autres risques, climatiques ou non, sont plus urgents.

Série B

Dire que les médias ne parlent pas de tous ces phénomènes est non seulement une fake news, mais une conception rhétorique catastrophiste précisément issue de la pratique médiatique racoleuse actuelle. Elle présente comme urgence des phénomènes récurrents ou de long terme, essentiellement dans une stratégie politicienne des diverses oppositions prétendant faire mieux que les gouvernements en place et tout changer tout de suite. D'où les déceptions répétées quand le poids des réalités frustre les illusions et les croyances aux promesses. Le principe même du film correspond bien au dénigrement des adversaires politiques caricaturés par des blagues systématiques avec un arrière-plan complotiste de dénonciation de scandales. Ça aussi a toujours été le fonds de commerce de la presse.

Le défaut de la situation cinématographique actuelle est de prospérer sur une réputation usurpée. Depuis les années 1980-1990, la qualité des films s'est essentiellement améliorée sur le plan technique, en production comme en réception (spécialement avec les grands écrans plats par opposition aux anciennes télévisions cathodiques). Ainsi, les films de science-fiction ont surtout bénéficié de la qualité des effets spéciaux, mais les scénarios pâtissent de rester presque toujours d'un niveau de séries B. L'exploitation hollywoodienne systématique des séquelles et préquelles a dégradé le cinéma en usant les filons jusqu'à la corde. Même si la qualité des séries télé s'est améliorée, on observe la persistance parallèle (ce n'était pas mieux avant) de merdes totales dues à l'existence d'une myriade de chaînes en manque de programmes. Les chaînes d'infos masquent aussi le remplissage par la polémique.

Plus généralement, la situation médiatique actuelle est une sorte d'orgie de surinformation dont on accuse souvent exclusivement les réseaux sociaux qui en sont plutôt seulement le verbatim : on peut voir en temps réel ce que l'ensemble des humains de la planète a dans la tête et ce qu'elle est capable de produire. La différence avec la période précédente est qu'on présentait médiatiquement surtout les comportements et les œuvres remarquables (ou condamnables) ou plus simplement qu'on sélectionnait les plus notables.

Satires

Le cas Don't look up! appartient au degré zéro du film militant. Il est plutôt du niveau du film Mars Attacks (1996). La parodie du gourou capitaliste des technologies de l'information qui connaît l'avenir aurait donc dû prévoir l'échec de son projet. C'est l'inconvénient des spectacles comiques et autres stand up. On reconnaît la fiction à ses incohérences. C'est gênant quand on prétend faire la morale au nom de la science. Dans le film, la réaction inefficace des autres pays sert aussi uniquement de faire-valoir de la technologie américaine.

On abuse de la satire actuellement. L'inconvénient de son application à la stratégie politicienne est de ne prêcher qu'à des convaincus et d'exiger de « choisir son camp » sans nuance en falsifiant les idées des adversaires. Cette polarisation dont on accuse les algorithmes des réseaux sociaux a toujours été la pratique militante. Elle ne favorise pas l'analyse rationnelle des problèmes.

On connaît actuellement l'effet pervers d'une épidémie d'écoanxiété qui frappe spécialement certains enfants devant le désastre écologique annoncé. Les films catastrophes sont un bon business. C'est plus surprenant de voir certains scientifiques considérer que ce genre de caricature sert leur cause parce que des personnages qui les représentent en sont les héros. Les scientifiques ne brillent pas par leur compétence en communication. Le fait est que les héros principaux du film sont cinématographiquement plus crédibles que les autres personnages, politiciens et journalistes. L'excuse que certains du monde réel sont aussi nuls ne compense quand même pas le déséquilibre. Bon, on peut admettre que plus de réalisme dans leur cas aurait été plus déprimant.

Mais comme le problème réel est précisément l'absence de sérieux, la surenchère parodique n'est pas forcément la solution, même si la tentation est forte. On constate effectivement que ce comportement explose sur les réseaux sociaux comme stratégie populaire d'intervention qui se veut militante. Je pense que c'est une erreur. Déjà, parce qu'être noyé sous les mèmes distrait du fact-checking. Je suis presque admiratif des trésors d'inventivité de la profusion de blagues sur les réseaux sociaux, dont le premier inconvénient est sans doute de faire concurrence aux humoristes professionnels. Le second est la perte de temps. Ce n'est pas plus utile que la profusion de photos de chats ou de bêtisiers (qui incite d'ailleurs à en produire des factices). Sur le plan scientifique, cette diversion correspond à celle des cigarettiers prétendant qu'il y a débat (agnotologie). Il serait beaucoup plus utile de mobiliser les internautes pour produire des observations scientifiques (y compris sur le comportement des chats donc).

Si on regarde bien, le cas décrit dans Don't look up! pourrait correspondre à une découverte faite par un astronome amateur : un étudiant profite simplement de la disponibilité de données offerte par l'accès à des appareils sophistiqués. On devrait considérer les amateurs comme des capteurs et les scientifiques pourraient les encadrer au lieu de les dénigrer. C'est le paradoxe du film qui inverse ce dénigrement en le présentant comme le traitement médiatique des deux scientifiques du film. On peut admettre que cela existe aux États-Unis. Mais il faut réévaluer le comportement citoyen. Une version optimiste du complotisme (11 septembre, antivax...) peut se lire comme une demande d'informations fiables et de participation à leur diffusion. La meilleure chose produite sur ce plan est Wikipédia que les chercheurs (français) ont souvent déprécié. Une stratégie d'intégration à la démarche scientifique pourrait justement amplifier les actions nécessaires sur le climat ou autre plutôt que les attendre des gouvernements. On devrait s'y mettre rapidement. Un des propos explicites valides de Don't look up! est qu'on a toujours moins de temps qu'on le pense.

Jacques Bolo

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