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Économie - septembre 2020

Est-ce la fin du tourisme ?

Résumé

L'organisation de l'économie autour du tourisme a-t-elle fait pschitt avec la crise du coronavirus ?

Il y a quelques années déjà, je me demandais si la fin du tourisme n'était pas en cours... À Barcelone, Venise, Amsterdam et dans de nombreuses destinations du tourisme de masse, les habitants commençaient à s'en plaindre et demandaient sa limitation. Le 2 septembre 2016, le journal Le Monde parlait de « Barcelone débordée par la foule des touristes » qui s'élevait à « 29 millions de visiteurs... pour 1,6 million d'habitants ». Le 7 août 2017, Libération titrait « En Espagne, des touristes malmenés et un ras-le-bol généralisé. » On sait que la Mairie de Paris est en guerre contre la location de courts séjours chez les particuliers par Airbnb.

Outre les nuisances sonores et autres de l'affluence, on reproche surtout au tourisme de faire monter les prix, surtout des appartements en réduisant l'offre pour les locaux. À Paris, dans les années 1985-1986, j'ai séjourné pendant un an dans des hôtels à 70 francs par nuit, petit-déjeuner compris, les prix minimums actuels sont plutôt de 70 € (souvent sans le petit-déjeuner selon la mode anglaise), mais c'est vrai que les chambres ont été bien rénovées. Cela correspond à une multiplication du prix par 2,5 si on tient compte de l'augmentation du salaire nominal. C'est un ancien problème. Dans les années 1970, les Péruviens se plaignaient déjà de cette influence sur les prix courants, qui pouvaient doubler ou davantage. On connaît aussi la situation dans l'arrière-pays méditerranéen français : les Parisiens, les Hollandais, Anglais et autres ne sont pas toujours les bienvenus pour tout le monde, sauf ceux qui font de bonnes affaires en leur cédant leur propriété, évidemment (les premiers vendeurs n'en ont pas profité : ça ne valait rien à l'époque).

Comme l'Europe profitait de l'affluence récente des Chinois ou autres pays émergents, le secteur du tourisme ne s'inquiétait pas trop. Il suffisait de hausser le niveau de l'offre, c'est-à-dire les prix. On pouvait en principe résoudre le problème posé par le tourisme de masse en proposant des prestations de qualité : de bungalows haut de gamme plutôt que des campings populaires. Malgré une augmentation du pouvoir d'achat, les vacanciers partiraient moins longtemps, ce qui diminuait opportunément la surpopulation.

Surtout pour les destinations favorites comme la France, l'Italie et l'Espagne, je pensais aussi que le vrai risque était celui d'une perte d'intérêt. Le truc du romantisme de Venise ou de Paris est un peu périmé. La culture actuelle porte sur d'autres mythes. Les vacanciers veulent partir plus loin. La nouveauté est aussi qu'ils choisissent des séjours locaux dans des parcs de loisir qui fleurissent un peu partout dans le monde. C'est un espace sécurisé et encadré qui plaît aux familles : c'est souvent compliqué de distraire les enfants à la plage. Ailleurs, des capitaux bien plus importants s'investissent dans les Émirats ou en Chine. L'explosion du trafic aérien avait aussi déprécié la Méditerranée pour les Européens. Les petites tours Eiffel fabriquées en Chine font moins rêver et les selfies d'un peu partout atteignent la saturation. Un des buts du tourisme était de raconter des vacances originales de retour au bureau et de ramener des sacs Vuitton, qu'on trouve aujourd'hui un peu partout.

Patatras !

En plus de ces critiques par les habitants de destinations touristiques, la stigmatisation des avions par les écologistes s'était ajoutée au tableau pour cause de production de gaz à effet de serre. Je ne pensais pas que ce serait très efficace dans un contexte d'explosion du trafic aérien (mode de transport le plus polluant), mais le coronavirus a changé immédiatement la donne.

Les professionnels du tourisme, qui avaient tendance à prolonger les courbes, ont été totalement dévastés par l'épidémie de COVID-19. Même s'il n'y a pas de confinement strict, les déplacements internationaux sont extrêmement réduits. On pouvait espérer en mai que le virus régresserait pendant l'été, mais le nombre de morts a continué de progresser en Amérique du nord et du sud, et la contamination semble reprendre en Europe, précisément du fait du relâchement estival. En France, les vacanciers ont voulu profiter de leurs vacances en partant moins loin, ce qui a permis de sauver la saison de certains professionnels, mais on peut craindre qu'il faille plus de restrictions de nouveau. L'apport important du tourisme international est quand même absent. Surtout, ce que signifie cette crise est bien qu'il peut de nouveau y avoir des épidémies. On s'en doutait un peu avec les maladies émergentes et précisément les deux crises des deux coronavirus SRAS et MERS (2002-2003 et 2012-2014) ou de la grippe H1N1 (2009-2010). Mais ces épisodes avaient fait flop. On en avait gardé l'impression que les services de santé étaient prêts à faire face.

Ce que montre, par contre, le relatif relâchement estival, c'est un désir de continuer à ne pas tenir compte du risque épidémique. Une bonne partie des gens veulent retourner au statu quo ante. Outre les complotistes qui vont jusqu'à dire que l'épidémie n'existe pas, ou ceux qui contestent l'efficacité du masque et autres mesures de précaution, les jeunes ont la conviction qu'ils ne sont pas concernés du fait de la faible mortalité des moins de soixante ans. Il règne aussi, y compris chez certains médecins, une atmosphère darwinienne ou fataliste semblant dire que ceux qui doivent mourir vont mourir et que ça ne concerne pas les autres. C'est un tournant dans l'histoire récente de la médecine qui avait plutôt tendance à faire tout pour prolonger la vie des malades. C'est sûr que ça peut permettre des économies...

Reste que les voyages risquent de ne plus être valorisés dans l'esprit du public. Des frontières peuvent se fermer et les quarantaines vont supprimer le tourisme des particuliers et vont faire remplacer les voyages professionnels par les visioconférences ou des agents sur place. On a même vu, avec le rejet de la migration de certains Parisiens par les provinciaux au moment du confinement, que l'ostracisme ne concernait pas seulement les étrangers. Il n'était brusquement plus question des bénéfices que l'économie locale ou nationale retire des touristes. Sur ce point, j'ai toujours pensé qu'on sous-estimait l'importance des retombées directes ou indirectes du tourisme en France. Dans la perspective de la décroissance touristique dont je parlais au début, je pensais que le gouvernement et les professionnels français auraient dû essayer de bien s'organiser pour en profiter avant que ça s'arrête (ce qui n'était pas envisagé par eux). L'actualité a précipité les choses.

Les conséquences de la pandémie risquent de mettre fin brutalement aux rentes de situation des pays et du secteur touristiques (France, Italie, Espagne...). Si l'épidémie reprend en fin d'année, surtout si elle provoque encore autant de morts, le gouvernement ne pourra pas continuer de soutenir éternellement les secteurs du tourisme et des loisirs ni l'industrie aéronautique. Des régions entières vont en subir le contrecoup. Au niveau mondial, la crise de 2008 va sans doute paraître bien douce. Pour le moment, il semble que la gravité des nouveaux cas soit moins importante en Europe. Mais même si l'épidémie se calme comme les précédentes, certains peuvent toujours garder à l'idée qu'une nouvelle pourrait désormais arriver. Je ne crois pas vraiment que les gens oublieront vite, comme on le dit à relativement long terme pour les tremblements de terre ou les éruptions volcaniques. Concrètement, les investisseurs prendront moins de risques dans ces secteurs et cela impliquera des reconversions drastiques. Il vaut mieux essayer de les anticiper, tout comme l'aspect hospitalier et sanitaire.

Jacques Bolo

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