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Médecine / Politique - Avril 2020

Coronavirus : Changement d'ère ?

Résumé

Plutôt que prétendre que rien ne sera comme avant après la crise du coronavirus, il faut bien analyser la situation actuelle,... pour qu'il y ait une chance que certaines choses changent !

Avec cette pandémie du COVID-19, on peut se demander si les collapsologues n'ont pas raison. Forcément, une catastrophe quelconque est toujours possible. Ceux qui y sont préparés devraient en principe mieux s'en sortir. Reste évidemment à avoir la préparation qui correspond le mieux à ce qui arrive. On suppose que certains se sont rapidement confinés. La crise n'est pas encore finie. Il faudra en tirer les leçons pour la suite.

Les théories de gauche ne se revendiquent pas de la collapsologie. Les analyses universitaires parlent plutôt de mythes apocalyptiques. C'est évidemment la même chose : la nouvelle mode des « communs » signifie matériellement que c'est le collectif qui fait les stocks. Les militants voient dans cette crise une nécessité de changement de mode de production. C'est un peu faux cul : ils pensaient déjà ça avant. Ça permet surtout le recyclage du discours sans trop de changement. La vérité est plutôt que beaucoup de personnes auraient aimé que les choses soient restées comme avant.

Même après les premières alertes, au début de l'épidémie en Chine, fin janvier 2020, certains pays ont mis du temps à ne pas réagir. Qu'on se souvienne que la grande affaire politique de février 2020, en France, était la vidéo de la branlette de Benjamin Griveaux, candidat LREM à la mairie de Paris. Il a été remplacé en catastrophe par la candidature d'Agnès Buzyn, elle-même ministre de la Santé, qui a prétendu par la suite avoir pourtant été davantage préoccupée par l'épidémie. On a plutôt affaire à un retour au principe de réalité : les épidémies ne sont pas réservées seulement à l'Afrique.

Fin 2019, le grand débat était l'urgence climatique, qui n'est pas vraiment urgente, puisqu'elle va sans doute s'étaler sur une centaine d'années. Comme on dit, c'est rapide d'un point de vue géologique. Notre espèce humaine, et pas seulement les espèces protégées, aura probablement du mal à s'adapter. Les écolos radicaux et les jeunes mobilisés par Greta Thunberg voyaient la crise à vingt ans, dix ans ou cinq ans. Autre collapsologie. C'était la surenchère à qui sera le plus catastrophiste. Un lien réel avec l'épidémiologie africaine était la remontée progressive des moustiques porteurs de dengue, paludisme et autre chikungunya, sans parler des fièvres hémorragiques. Mais en matière de catastrophe, on ne peut pas vraiment prévoir et il ne sert à rien de vouloir être celui qui l'avait dit avant tout le monde. De ce point de vue, on pourrait se résoudre à être survivaliste.

La crise épidémique actuelle concerne plutôt la préparation des services médicaux. Après les espoirs du début du vingtième siècle, il avait déjà fallu déchanter avec la résistance et la mutation des bactéries et virus. La tendance était aussi à oublier les enseignements de Semmelweis sur l'hygiène et la désinfection avec le développement des maladies nosocomiales dans les hôpitaux, où règne parfois un certain laxisme. J'ai aussi montré dans un précédent article que c'était une illusion de vouloir stocker trop de masques (méthode survivaliste s'il en est), essentiellement parce qu'on ne peut pas se préparer à absolument tout.

Notons que pour ce qui est de la négligence de l'hôpital public, comme dit la gauche, et des héros sur le front de la santé dont il faudrait reconnaître davantage le travail, comme dit un peu tout le monde, la réalité est plutôt que les dépenses de santé et les assurances sociales sont déjà très élevées. On peut dépenser plus ou mieux, mais il faudra rationner ailleurs, surtout si on veut faire des stocks de tout et n'importe quoi au cas où. L'État me paraît se saisir du prétexte de cette pandémie pour distribuer de l'argent (« un pognon de dingue », comme disait Macron) qu'il n'a pas et que les économistes comiques associés prévoient déjà qu'on ne le remboursera pas.

Il faut bien comprendre le problème. Outre la question des belles promesses sur les augmentations salariales du personnel qu'on ne tiendra sans doute pas, pour les besoins matériels, on doit distinguer entre une marge de précaution et une crise générale. Déjà, on semble supposer que l'épidémie de coronavirus sera provisoire et relativement bénigne, comme une mauvaise grippe, puisqu'on disait qu'il y avait jusqu'à 10 000 morts par an en France et 650 000 dans le monde. Je me suis demandé d'ailleurs si c'était aussi encore le cas cette année ou si on ne mélangeait pas le compte des victimes (voire si les morts de la grippe n'avaient pas toujours été déjà en partie des morts des autres coronavirus réputés bénins). Mais si un vaccin n'est pas trouvé ou si le COVID-19 devient une épidémie saisonnière, il faudra surdimensionner les équipements et le nombre des personnels de santé de façon durable, avec les mêmes pénuries éventuelles qu'actuellement.

Il faut bien être conscient que si on devait retourner à une situation où les épidémies ravageaient régulièrement la planète, les coûts seraient faramineux. On peut en avoir un avant-goût aujourd'hui. Un article évaluait le traitement à 73 000 $ par patient aux États-Unis. Peut-être que les tarifs américains sont trop élevés. Même si les traitements de réanimation sont très lourds, ils pourraient être par exemple de 20 000 € en Europe. Si 50 % de la population devait être infectée, avec 10 % de cas graves, soit 5 % de la population, les coûts s'élèveraient en France à 67 M x 0,05 x 20 000 €, soit 67 milliards d'euros pour une seule pathologie, sans oublier les infrastructures nécessaires à l'augmentation des capacités d'accueil. Il vaudrait mieux que ce ne soit pas des dépenses annuelles ou que ne se présentent pas d'autres problèmes (comme ceux qu'on attend avec le changement climatique).

En France spécialement, s'il est question de changer de système de santé, on peut noter que le manque de personnel n'est pas dû au libéralisme, mais plutôt au numerus clausus mis en place en 1971. Un contingentement n'est pas une mesure libérale, mais une mesure d'autorité étatique. Les complotistes parlent souvent des lobbies pharmaceutiques, mais la réalité a plutôt été la tentative permanente de limiter les dépenses et le nombre de médecins et d'infirmières, en partie pour leur garantir un revenu plus élevé. La responsabilité est partagée. Ces dernières décennies, on parlait des étudiants qui allaient faire des études à l'étranger pour contourner le numerus clausus en profitant de la liberté de circulation européenne. C'est eux et l'Europe qu'on devrait remercier.

On avait abouti à la pratique hospitalière qui consiste à travailler plus pour gagner plus, avec des gardes de 70 heures qui font prendre des risques aux malades. Ce n'est pas très héroïque. Cela signifie simplement qu'on aurait pu financer deux postes aux 35 heures (payées 35). On aurait donc eu deux fois plus de médecins et d'infirmières dans les hôpitaux français, pour à peu près le même prix. Car si une épidémie frappe presque toute la population, la réserve médicale habituelle (retraités, étudiants en médecine et autres) risque d'être insuffisante. J'avais parlé ailleurs de ne pas supprimer des services, comme on l'a fait ces dernières années, mais de les conserver vides pour des cas d'épidémie ou de catastrophes et d'en profiter pour faire tourner leur utilisation pour mieux les désinfecter.

Parler de changer de système revient souvent à espérer un grand soir généralisé. La « généralisation » est un procédé de dissertation qui a contaminé le public du fait de l'extension de l'éducation secondaire. Mais ce n'est pas très efficace matériellement. C'est de la comm. La bonne pratique consisterait à savoir se limiter au secteur médical et à ce qu'on sait devoir faire. On le savait avant et on n'a pas voulu. Plutôt que parler de révolution (sans employer le mot), il vaudrait mieux savoir s'en tenir à ce qu'on a appris de l'épidémie : se laver les mains plus souvent et ne pas aller travailler quand on a la grippe ni envoyer ses enfants à l'école dans leur cas. Et on pourrait surtout mettre en place un appareil statistique généralisé des décès en temps réel pour prendre conscience des morts de différentes causes et pour que l'État s'occupe mieux des vraies priorités avant de prétendre s'occuper de tout.

Jacques Bolo

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