La Palme d'or 2019 du Festival de Cannes n'est pas un mauvais film. Le cinéma coréen est dynamique et possède de nombreux réalisateurs très originaux, quoique souvent un peu excessifs à mon goût. C'est aussi le cas de ce film qui en rajoute dans le gore après avoir commencé sur le mode de la comédie trash, style Affreux, sales et [très] méchants (1976) d'Ettore Scola de la grande époque italienne. Autant dire qu'il est réussi.
Le véritable problème est plutôt que de nombreux commentateurs (voire le réalisateur lui-même) y sont allés de leurs couplets sur le retour de la lutte des classes. Il peut s'agir d'une simple coquetterie critique qui fait de l'oeil aux gilets-jaunes et autres mouvements sociaux contemporains. D'aucuns pourraient y voir un plan comm pour attirer les chalands. Sur le fond, on peut aussi se demander si spectateurs et acteurs ne jouent pas à s'imiter réciproquement dans une nouvelle version d'une société du spectacle qui ne distingue plus très bien la réalité et la fiction.
La notion de lutte de classes était déjà un peu foireuse. Elle prétendait à la fois décrire et mettre en scène un antagonisme entre une classe dirigeante et une classe opprimée, comme « contradiction principale » qui supplanterait toutes les « contradictions secondaires ». Cette sorte de prédiction créatrice ratée n'a jamais été réalisée. Concrètement, il s'agissait surtout de réciter la leçon et il doit donc en rester quelque chose chez ceux qui l'ont bien apprise, qu'ils continuent à y croire ou qu'ils utilisent la rengaine parce qu'ils n'en connaissent pas d'autres. Tant que ça marche, pourquoi se gêner ! Mais là, non vraiment, c'est un peu trop plaqué !
On peut admettre que ce style de lutte des classes correspond au cinéma italien populo-trash sans rapport avec la réalité. La couche coréenne grand-guignolesque s'ajoute aux deux confusions précédentes (politiques et cinématographique). C'est de la lutte des classes de cinéma. Mais question analyse sociologique, on serait davantage dans une forme d'anomie que dans la lutte des classes bien orthodoxe. Il s'agit plutôt de lutte de tous contre tous. Admettons que c'est ce que les commentateurs voulaient dire.
On voit qu'il arrive qu'un discours en dise davantage sur les références de son auteur que sur le sujet qu'il aborde. Les staliniens d'un jour restent des stals toujours ! Chez eux, la « lutte des classes » est un tic verbal, un peu comme le fameux tic corporel du Docteur Folamour (1964) de Stanley Kubrick. Il leur a suffi de voir l'opposition entre la riche famille Park dans sa villa de luxe et de la famille Kim dans son taudis pour déclencher un signal pavlovien, ânonné comme le « spam, spam, spam » des Monty Python.
Bref, cette lutte manque de classe. Il s'agit ici pour les pauvres d'accaparer une part du gâteau en escroquant les bourgeois, mais surtout en éliminant (cruellement) la concurrence des employés de maison en poste pour prendre leur place. La bonne conscience de classe est une excuse pour masquer l'absence de solidarité de classe ! On reconnaît quelques éléments de la réalité contemporaine.
Pourquoi chercher ailleurs : le titre Parasite décrit parfaitement la stratégie de la famille Kim chez les Park. Quoiqu'il me paraisse quand même que leur statut social de sous-prolétaires soit un peu artificiel, vu les compétences réelles qu'ils manifestent. Les escrocs de cinéma de cette trempe sont généralement de plus haut vol. À la rigueur, cela peut effectivement correspondre à la situation coréenne actuelle des nombreux diplômés qui ne trouvent pas de postes à la hauteur de leurs compétences. Mais le cinéma coréen en rajoute toujours dans le trash.
Le déchaînement final et l'épilogue immoraliste me paraissent justement moins lisibles en termes de lutte des classes qu'en termes de la nouvelle tendance apocalyptique survivaliste qu'incite d'ailleurs à envisager l'existence du bunker, ignoré des riches propriétaires eux-mêmes. Chaque époque a les mythes qu'elle mérite. Le résultat idéologique dans chaque situation révèle toujours l'indigence des analyses des contemporains.
Jacques Bolo
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