C'est vrai que voir brûler Notre-Dame n'est pas aussi réjouissant que l'athéisme le voudrait. Mais le concert de lamentations, quoique parfaitement compréhensible, a fini par paraître surjoué. Forcément, on a eu droit au direct du feu qui dévore progressivement la toiture, et la flèche qui s'effondre, sur toutes les chaînes d'infos en attendant les reprises dans les journaux réguliers. C'est le propre de la saturation médiatique, style Guerre du Golfe, sur fond de commentaires de remplissage, comme les journalistes sportifs qui sont obligés de ponctuer les matchs de statistiques et de gloses redondantes.
Au passage, on a surtout pu constater la totale inefficacité des pompiers, forcément héroïques, mais dont le jet de la lance à incendie arrosait la plupart du temps le vide de l'autre côté au lieu de la charpente. Ne pouvaient-ils pas régler le débit en pluie ? Les complotistes auraient tort de se déchaîner, il est plus probable que les mecs avaient bu ou que la formation laisse à désirer.
Même si, pour une fois, Libé a
fait un bon jeu de mots : « Notre Drame », la mobilisation mondiale qui a suivi, l'engagement des grands patrons des entreprises de luxe pour des contributions colossales (coup marketing ?) et les récupérations politiciennes consensuelles ont presque sonné faux, ou juste, selon
comme on le prend. Le carillon lancinant des racines chrétiennes résonnant un peu partout a fait tomber le masque de la laïcité hypocrite qui inonde l'espace public. Quand un mot se galvaude, il n'a plus de sens.
En l'occurrence, le patrimoine universel qu'incarne Notre-Dame est essentiellement touristique, au grand bénéfice (qui me paraît sous-évalué) de la balance commerciale française. Il faut en profiter tant que des répliques n'ont pas envahi le monde, comme c'est le cas en Chine et Las Vegas, ou que les vols internationaux n'ont pas été bannis pour cause de bilan carbone. Ce n'est que justice immanente que les grandes marques du luxe contribuent à la reconstruction : les touristes viennent voir Notre-Dame et repartent avec des sacs Vuitton et des parfums Chanel. Paris by night vaut bien une messe...
La déchristianisation est d'autant plus évidente que les commentaires éplorés concernent surtout le patrimoine architectural. L'amour des vieilles pierres a été relancé récemment par Stéphan Bern. Le fétichisme des boules à neige comble la foi du charbonnier en s'appuyant sur le moindre des symboles, alors que la doctrine chrétienne devrait correspondre plutôt à l'idée que tout n'est que poussière et retournera à la poussière. On voit qu'on en est loin quand chacun en rajoute pour promouvoir la reconstruction au détriment du culte de l'authentique pourtant claironné. Cet acte de foi massif vise la carte postale plus que l'usage traditionnel de dévotion, quoique la tradition marchande des pèlerinages soit bien respectée. Faut pas prendre les enfants du bon Dieu pour des bénis Oui-Oui.
Les travaux sur la toiture qui ont vraisemblablement déclenché l'incendie rappellent les contraintes de la vile matière. Comme je le disais l'an dernier, à propos de l'habitat insalubre : « il devrait être évident que les vieux immeubles ne sont pas éternels et qu'il faut forcément envisager de les démolir un jour ou un autre. » Pour les monuments, on sait que les restaurations finissent par relever de la reconstitution en décors de carton-pâte. L'ajout de la flèche de Notre-Dame par Viollet-Le-Duc, qui n'aura donc pas tenu aussi longtemps que le gros oeuvre, avait l'avantage de s'affranchir des limites qu'on s'impose aujourd'hui. Mais l'incendie rappelle qu'il faut envisager à tout moment une destruction partielle ou totale de toute oeuvre qu'on considère à tort comme éternelle.
D'ailleurs, la catastrophe a tout de suite déclenché un appel à projets qui montre bien l'insertion du monument dans la vie de la cité, comme on le dit en termes choisis. Rien ne se perd, tout se transforme. Une débauche de propositions a tout de suite fleuri sur Internet, des plus sérieuses aux plus blasphématoires : on est Charlie ou on ne l'est pas. Bien avant le sinistre, dans les années 1980, j'avais moi-même proposé qu'on remplace Notre-Dame par un parking et j'avais précisé l'an dernier qu'on pourrait y adjoindre un musée du parking, pour la culture. Certains impies en ont réalisé la maquette.
© Car-Park-Notre-Dame-Outrageous-Designs_Dezeen_2364
Jacques Bolo
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