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Linguistique / Femmes - Décembre 2017

Parlez-vous féministe ?

Résumé

La guéguerre politico-médiatique à propos de l'écriture inclusive escamote le vrai débat sur la féminisation en français. La confusion et l'incompétence empêchent régulièrement de traiter réellement les questions posées.

Une nouvelle polémique inutile a eu lieu à propos d'une « écriture inclusive » qui prétend manifester davantage la présence des femmes, en particulier dans les écrits officiels et surtout académiques, pour mieux éduquer les jeunes à l'égalité des sexes. De façon plus circonscrite, la polémique consiste à nier la valeur de neutre du masculin en grammaire française, ce qui est toujours possible, quoique discutable (on peut vouloir changer la pratique, mais c'est bien une des fonctions actuelles du masculin).

Comme toujours, dans ce genre de faux débat, chaque camp argumente seulement à charge, dans un jeu de rôle qui semble formaté pour les débats télévisés. Les partisans de la réforme affirment d'habitude que les rôles sexuels sont socialement « construits », alors que ce sont surtout les débats qui le sont ! Mais la vraie spécificité du débat repose sur la croyance au rôle psychologiquement et idéologiquement fondateur du langage, qui consiste à affirmer que « le langage n'est pas neutre ». Si je comprends bien, cela signifie donc qu'il devrait l'être : si le langage a un rôle déterminant, psychologique ou social, il faudrait plutôt en déduire qu'il n'est pas légitime de marquer sans arrêt les sexes, comme s'il devait y avoir une différence à souligner ! Le contresens est total.

L'idée que le langage a un rôle important sur la distinction et la perpétuation du statut inférieur des femmes est facile à démontrer comme fausse puisque les nombreuses langues qui n'ont pas de féminin grammatical ont à peu près les mêmes traditions d'inégalités sexuelles. Au contraire, en français, on pourrait envisager qu'une des explications de la réussite scolaire des filles a bien une origine linguistique puisqu'elles pratiquent davantage les accords en genre, qui sont une des principales sources de fautes d'orthographe et un des critères d'analyse grammaticale pour comprendre la phrase. Quand on analyse une situation, il faut le faire de façon correcte, contrairement à une approche inspirée de la critique « de classe » qui a abruti toute la génération stalinienne.

J'ai évité jusqu'ici soigneusement d'employer le terme à la mode de genre pour décrire cette situation d'inégalité des sexes. Elle est traduite de l'anglais gender, qui désigne le genre grammatical, alors qu'il n'existe précisément pas de féminin grammatical dans cette langue (on mentionne habituellement l'exception du mot ship/bateau qui est féminin). Il est probable que ce terme gender a été emprunté par les Américains dans le cadre de la mode de la French Theory. Ces auteurs français qui inspirent cette théorie peuvent évoquer à l'occasion le féminin grammatical à propos de la langue française. Mais les propos en question ne correspondent à rien en anglais, sauf s'ils concernent l'influence du langage sur le statut sexuel, à tort donc. Une des raisons de cette dérive du « tournant linguistique » de la philosophie, dans les années 1950-1980, était aussi l'influence de la psychanalyse qui a fini par presque se limiter à dire que « tout est langage », avec l'influence supplémentaire de la philosophie heideggérienne et ses délires étymologiques.

Sociologie et linguistique

Il faut être clair. Personne ne pense que la condition féminine américaine ou anglaise, chinoise, japonaise, arabe, indienne, etc., dépend de leur langue où il n'y a pas de féminin grammatical. Ceux qui prétendent le penser nient dogmatiquement une réalité qu'ils connaissent pourtant parfaitement (ce phénomène est un trait scolastique fréquent). Mais personne ne les croit même si leurs étudiants sont obligés de faire semblant, et les autres ne sont pas obligés de s'y soumettre puisqu'ils n'ont pas d'examens à la fin de l'année. La condition féminine est une question sociologique et le débat devrait être clos avant d'avoir commencé. Mais le débat a eu lieu, de la part d'universitaires qui prétendent donc justifier cette imbécillité par leur statut. Sokal et Bricmont avaient parlé d'Impostures intellectuelles (1987) à propos d'auteurs de la même trempe. Le véritable problème de l'université est qu'elle se discrédite régulièrement en conservant dans ses rangs des imposteurs, qui continuent à recruter leurs successeurs. Ça pourrait durer longtemps !

La méthode académique habituelle pour justifier ce débat inutile a consisté à explorer les péripéties historiques de la féminisation des noms et de leur accord grammatical. C'est parfaitement normal et on apprend toujours des choses en étudiant l'histoire. Mais cela n'a aucune valeur conclusive en grammaire contemporaine puisque les mauvaises habitudes de la linguistique historique ont été abandonnées au profit de la linguistique synchronique. Le lexicologue Alain Rey, dans Le Monde, signale un vers d'Athalie où Racine écrit « Ces trois jours et ces trois nuits entières ». Dans des cas semblables, il est d'usage de ne pas dire que c'est pour la rime. Je le dis ! Il faut d'ailleurs remarquer que si on peut accorder avec le féminin quand il y a aussi un masculin, comme on met aussi le féminin d'abord, sur le mode « Françaises, Français », les accords se feraient donc avec le masculin en ce qui concerne les personnes. Pour le reste, comme les jours et les nuits de Racine, il ne s'agit pas d'êtres humains et on ne voit pas en quoi les hommes devraient s'identifier au jour et les femmes à la nuit. On connaît d'ailleurs le cas de l'inversion de la lune et du soleil pour le féminin et le masculin en français et en allemand. Cela ne simplifie pas les traductions quand on file les métaphores et c'est sans aucun doute seulement dans cette sorte de cas qu'on trouve une justification à l'idée d'influence du genre grammatical sur les idées.

Ce que disaient Racine ou Corneille a d'autant moins d'importance en français contemporain que la normalisation orthographique ou syntaxique du français est postérieure et qu'on faisait donc un peu n'importe quoi avant le XIXe siècle. On pourrait plutôt reprocher au système français normalisé son inutile complication en référence à l'étymologie. Il est évidemment possible de changer la norme et on le fait régulièrement mais, à ce moment-là, on peut effectivement tout changer et beaucoup ne seront pas d'accord, avec des débats infinis en perspective. Le linguiste André Martinet (1908-1999) avait envisagé une écriture quasi-phonétique et il n'avait pas eu beaucoup de succès. J'ai eu l'occasion de le rencontrer (en 1987-1988) à l'occasion d'un pot des professeurs avec les étudiants pour fêter le départ à la retraite d'une de nos enseignantes qui avait été une de ses élèves. Me trouvant juste en face de lui, j'avais envisagé de lui proposer de carrément déposer son projet comme langue « privée » (on ne disait pas encore « open source ») à employer par qui le voudrait. Au dernier moment, je m'étais retenu en me disant aussi que si ça marchait, ça foutrait trop le bordel. Je le regrette un peu.

Féminisation

Une partie du débat sur cette fameuse écriture inclusive s'est centrée sur la graphie qui consiste à mettre un point médian après le masculin, suivi d'un « e » pour signifier que le mot utilisé désigne à la fois les hommes et les femmes, et suivi éventuellement d'un autre point et d'un « s » pour le pluriel : « Françaises, Français » s'écrit donc « Français·e·s ». On peut écrire simplement « Français.e.s » pour ne pas se compliquer la vie, car le point médian « · » (à ne pas confondre avec la puce « • ») est un caractère non disponible sur le clavier ! On l'obtient en maintenant enfoncée la touche Alt (à gauche de la barre d'espace) et en tapant 250. Ce qui suppose d'avoir un pavé numérique, sinon c'est encore plus compliqué.

On a critiqué cette possibilité au nom de la difficulté d'écriture ou de lecture (plutôt une nouvelle habitude à prendre) et c'est vrai que dans le cas d'une succession de graphies de ce type dans une même phrase, cela pourrait commencer à être compliqué. Sur le fond, il s'agit d'une simple abréviation. On peut plutôt remarquer, une fois de plus, que c'est un emprunt à l'anglais. L'usage français consistait usuellement à employer des parenthèses : « français(e)s » et non un point. Ces derniers temps, il semble qu'on oublie complètement les mots et les signes locaux déjà existants quand on importe un anglicisme. C'est la définition exacte du barbarisme.

Le reproche que je ferais personnellement est plutôt qu'il n'est pas vraiment nécessaire d'abréger. On peut explicitement écrire « Françaises, Français », puisque de toute façon, c'est bien ce qu'on prononce. Sinon, on ne sait plus vraiment comment lire « Français·e·s » : « Françaises, Français », « Françaises et Français », « les Françaises ou les Français », selon la phrase. Mais tout cela me paraît inutile. On peut évidemment ajouter des féminisations de temps en temps pour ne pas donner l'impression qu'il n'y a que des hommes. Sur ce point, on peut remarquer que certains mots sont neutres comme élève et d'autres non comme étudiant(e). Est-ce que les étudiantes se sentent lésées de ne pas être incluses quand on parle « des étudiants » ? J'ai plutôt tendance à penser qu'elles considèrent que le masculin « étudiant » a bien une valeur de neutre. Certaines féministes sceptiques pourraient même penser que le fameux « Françaises, Français » est plutôt de la démagogie politique.

Bref, la vraie question linguistique concrète me paraît être la féminisation des noms de métier ou titres officiels, que certains linguistes normatifs mesquins s'obstinent à refuser. Dans ce débat, comme très souvent, la justification des revendications politiques réside dans l'opposition à la bêtise archaïque, mais les revendications en question n'arrivent pas à se concentrer sur les véritables sujets. C'est souvent pour cela qu'elles échouent. La bonne méthode est de circonscrire précisément les solutions à des éléments parfaitement définis, comme la féminisation de la terminologie professionnelle dans ce cas. Les fausses généralisations philosophico-politiques relèvent de la pathologie holiste classique des intellectuels.

Malheureusement, une complication fâcheuse porte aussi sur cette question précise. Un certain nombre de femmes concernées refusent elles-mêmes d'être nommées par un titre féminisé ou avec un article féminin devant un titre masculin ou neutre (« Mme la ministre »). On se demande s'il s'agit de l'influence de la mesquinerie normative qui n'est donc pas exclusivement masculine, mais simplement issue de la norme grammaticale classique, ou de l'image masculine traditionnelle associée à ces fonctions, dont ces femmes seraient victimes et qu'elles contribueraient à perpétuer. Une possibilité de ce type consiste par exemple à porter des pantalons plutôt que des robes, hors motifs pratiques, en les considérant comme faisant partie de l'uniforme du poste. On pouvait admettre le poids de l'habitude dans le passé, mais en général, cette question est réglée de nos jours. On constate ici qu'il faut savoir se libérer du poids des symboles, souvent uniquement visuels.

Est-ce pour la même raison graphique que certaines ou certains s'opposent à la féminisation ou est-ce parce que la langue a un poids spécifique encore plus fort ? Dans les deux cas, mon principe général est qu'il ne faut rien faire de symbolique, contrairement à ce qu'on entend sur ces sujets de la part des féministes. Je considère que c'est une erreur pour cette raison que le symbolique est conservateur du fait qu'il est inconscient. La position classique est qu'on s'en libère par la rationalité.

Articles et désinences du « parler féministe »

Sur cette question spécifique du refus de la féminisation, un argument rationnel, et non symbolique donc, est qu'il existe effectivement des cas qui peuvent présenter un problème. On entend que le terme « préfète » était utilisé classiquement pour désigner la femme du préfet (« Mme la préfète »), qui n'avait évidemment aucune fonction officielle. On conçoit que ce soit offensant pour une préfète en titre, d'autant que cela serait donc réciproquement applicable à son mari qui serait qualifié de « préfet » sans l'être et cela pourrait donc occasionner des confusions dans des comptes-rendus journalistiques. Mais cette situation sociale me paraît un peu dépassée. D'ailleurs, dire « Mme le préfet » ne change pas la question de son mari qui pourrait donc être appelé « M. le préfet ». Il ne serait évidemment pas appelé « M. la préfète », même si on pourrait l'envisager comme solution, pourquoi pas. À tenter une réforme, il vaut mieux supprimer le titre associé au conjoint. Cela me paraît faire partie de pratiques sociales provinciales périmées qui doivent être sanctionnées linguistiquement et non considérer qu'elles sont déterminées par la linguistique. On voit ici que traiter rationnellement la question spécifique permet de la résoudre théoriquement.

Le cas de « Mme la maire », qui subit l'homophonie avec « Mme la mère » seulement à l'oral ne me paraît pas être une raison sérieuse de refuser le rejet de la féminisation de l'article dans tous les autres cas. Ici s'appliquerait plutôt le principe grammatical de l'exception. D'ailleurs, il existe bien des hommes sages-femmes et ça ne pose pas trop de problèmes de confusion. Au mieux, ou au pire, ça permet de faire des blagues qui sont une possibilité linguistique générale et qui peuvent être seulement lassantes à la longue. Mais le manque de renouvellement imaginatif est un trait individuel qui ne concerne pas la grammaire.

La véritable question linguistique de la féminisation concerne le problème de déterminer la féminisation correcte. En linguistique, c'est l'usage qui fait loi, mais la question est bien de savoir quel est l'usage qui prévaut. La norme qui consiste à ajouter la désinence « -e » au terme masculin correspond plutôt à un « parler féministe » qu'à une féminisation grammaticale. Dans de nombreux cas évoqués, il existait déjà des termes féminins qui sont modifiés inutilement, on se demande bien pourquoi. L'intérêt pourrait être la régularité, mais cela équivaut à une réforme de la langue qui modifie donc tous les textes anciens ou officiels. Il faudrait logiquement les rééditer, ce qui pourrait coûter cher et occasionner des incompréhensions intergénérationnelles, outre les débats infinis habituels.

Dire que la diffusion actuelle de ces termes est irréversible n'est pas évident. On a vu régresser l'usage du terme de « falsification », mauvaise traduction issue du vocabulaire épistémologique de Karl Popper. Il a bel et bien été remplacé par le terme plus correct intuitivement de « réfutation ». Qu'on ait pu considérer que la possibilité de « falsification » pouvait être un terme utilisé pour définir une garantie de scientificité est quand même une vraie démonstration de l'inconséquence académique ! L'inconvénient de cette phase imbécile est qu'on trouve donc encore les deux termes actuellement, du fait des bons élèves qui reproduisent trop docilement le vocabulaire de cette période.

On pourrait considérer que cette problématique du « parler féministe » correspond à une mode équivalente à celle de la French Theory et se limite au monde universitaire dont la société civile se moque complètement. Mais, outre que la question féminine concerne tout le monde, directement ou indirectement, l'ennui des modes professorales est qu'elles affectent le système éducatif et contribuent à sa crise permanente depuis une cinquantaine d'années. Ce qui est plus grave est surtout que ces modes déterminent bel et bien la sélection des élèves qui doivent se plier aux lubies du moment, sans pouvoir bénéficier de l'aide des parents qui ont donc subi la mode précédente.

Concrètement, ce simple ajout du « e », aux noms de métiers en particulier, est devenu courant dans certains cas comme « écrivaine », mais on observe aussi des « chercheures, directeures, docteures, etc. », tout spécialement dans le milieu éducatif donc, alors qu'il existait déjà les féminins « chercheuse, directrice, doctoresse ». C'est un peu ridicule et l'on peut constater ici que les professeurs oscillent parfois entre le grotesque et l'inepte.

Dans les milieux autorisés, on connaissait jadis ce ridicule professoral (j'ai signalé ailleurs que le fameux film de Pagnol, La Gloire de mon père, se moque bien de la vanité de son professeur de père et de toute la profession). On veut faire semblant de croire au discours corporatiste laudateur des enseignants, mais personne n'est dupe au fond, parce qu'aujourd'hui tout le monde a fait des études et que chacun a été forcément confronté plusieurs fois au cours de sa scolarité à des bidonnages intellos. La réalité sociologique est plutôt qu'il ne faut pas le dire en face : le monde éducatif n'est pas ce qu'il dit qu'il est, qu'il finit par croire de lui-même et qu'il faut donc faire semblant de croire si on espère en faire partie. La prétention la plus risible du monde académique est son ambition claironnée à « former le sens critique », compétence dont tout le monde sait qu'il est incapable au point que cela en devient une sorte d'oxymore.

Il y a quelques décennies, tout le monde disait sans problème chercheuse, directrice ou doctoresse. En ce qui concerne le féminin de professeur, il me semble qu'il serait plus exact de dire professeuse. Cela demande de définir des règles correctes de féminisation qui soient connues de tous et de toutes. C'est particulièrement nécessaire pour les enfants pendant la période d'apprentissage de l'écriture. Le fait d'ajouter systématiquement un « e » au féminin a l'avantage de la facilité, mais cela fait perdre les anciennes féminisations ou cela les double inutilement pour certaines professions qui se démarqueraient donc de la règle commune, du fait de leur noblesse supposée ! On ne va pas revenir sur tous les féminins habituels (« agricultrice, coiffeuse, institutrice, masseuse, traductrice, etc. ») pour les régulariser irrégulièrement en « -eure » ! D'où mon analyse en termes de « parler féministe », comme nouvelle norme imposée par intimidation, mi-académique, mi-politique.

Perceptibilité du féminin ?

Quand on prétend imposer la féminisation dans les mots se terminant par certaines consonnes, comme pour le « r » des mots cités, on ne remarque généralement pas que cela a l'inconvénient, au moins à l'oral, de contrevenir à l'intention. En effet, la norme linguistique standard considère que le « e » final est muet. Concrètement, pour ceux qui l'ignorent, cela se manifeste par le fait qu'on est obligé de le forcer quand il y a une ambiguïté. Dans les années 1980, j'avais relevé dans les médias que les journalistes étaient obligés de dire « Michel et Michèleu Rocard » pour parler de son épouse à l'époque où il était Premier ministre.

Ainsi, la notation phonétique canonique de « chercheure, directeure, professeure, docteure » est exactement la même que celle de « chercheur, directeur, professeur, docteur » : en l'occurrence [ʃɛʁʃœʁ, diʁɛktœʁ, pʁofesœʁ, doktœʁ], puisque les linguistes considèrent que le « e » final ne se prononce pas (NB : le [ʁ] en phonétique est le « r » français normal dit « r parisien », on note [r] le « r » roulé, et [ʀ] le « r » dit grasseyé). Cela peut donc apparaître comme une façon hypocrite de conserver le masculin à l'oral en prétendant féminiser à l'écrit.

Il n'est donc pas question de ma part de refuser la féminisation ! Je note au contraire que la fausse féminisation proposée n'existe pas à l'oral dans le français standard selon les linguistes. Une réserve est que quand on parle de français standard, on parle du français du nord de la France, puisque les « e » dits muets se prononcent au sud de la France. En notation phonétique, le e-muet se nomme schwa et s'écrit [ə]. Du coup, dans le Sud, les mots « chercheure, directeure, professeure, docteure » se prononcent donc bien [ʃɛʁʃœʁə, diʁɛktœʁə,pʁofesœʁə, doktœʁə]. Les partisans de ce « parler féministe » sont-ils tous des sudistes ? Ça m'étonnerait.

On peut noter le paradoxe que je suis personnellement opposé à la norme linguistique sur ce point. Il se trouve qu'en 1987-1988, j'avais fait un exposé au sujet du e-muet, en maîtrise de FLE (Français Langue Étrangère), à la Sorbonne, dans le cours de Mme Rita Chademony, une autre ancienne élève de Martinet. J'y disais que la véritable norme française me paraissait être la prononciation du e-muet, comme dans le sud de la France et que l'absence de prononciation du schwa était ce qu'on appelle (à tort) un accent, c'est-à-dire une variante régionale, celle du Nord. Je plaidais pour ma paroisse puisque je suis du Sud où la variante régionale est plutôt la nasalisation appuyée (visualisée en « putaing, cong »). Ma démonstration était que ne pas transcrire le e-muet dans les dictionnaires signifiait donc qu'on pouvait théoriquement prononcer un schwa n'importe où, spécialement entre les doubles consonnes.
J'avais également trouvé un cas de paire minimale [pʁØ/pəʁØ] qui donnait deux mots « preux/peureux » avec des sens contraires. Cela démontrait aussi que la définition habituelle du schwa par les linguistes, « un relâchement de la consonne précédente », est simplement une erreur due à leur régionalisme du Nord. De fait, la caractéristique de ce faux standard dialectal est effectivement de prononcer souvent un « e » traînant après les consonnes finales, sans relation avec l'écrit (« public » prononcé « publique »). La véritable norme devrait donc être qu'on transcrit [ə] dans un mot quand la prononciation du « e » est facultative (pour la variante nordique), mais qu'on est obligé de le transcrire dans les dictionnaires qui indiquent la prononciation.

Il semble donc que la féminisation traditionnelle « -euse, -trice, -esse » des très nombreux masculins en « -eur » de la langue française (440 dans la liste suivante) a justement pour objet de bien marquer la différence. Il y a quelques années, j'avais trouvé sur Internet un dictionnaire de presque tous les mots français avec leurs flexions (genre, nombre, personne, temps). La liste montre qu'il existe vraiment beaucoup de féminins en « -euse, -trice, -esse » des noms ou adjectifs masculins finissant par « eur » ; il existe aussi un féminin en « ante » pour « serviteur/servante » et peut-être d'autres cas. (NB : il existe aussi des féminins en « -euse » des mots masculins en « -eux », comme «  heureux/heureuse », que je n'ai évidemment pas inclus) :

« Accompagnateur/accompagnatrice, accoucheur/accoucheuse, accusateur/accusatrice, acheteur/acheteuse, acteur/actrice, acuponcteur/acuponctrice, acupuncteur/acupunctrice, adaptateur/adaptatrice, administrateur/administratrice, admirateur/admiratrice, adorateur/adoratrice, agriculteur/agricultrice, amplificateur/amplificatrice, animateur/animatrice, annonceur/annonceuse, annonciateur/annonciatrice, apiculteur/apicultrice, approbateur/approbatrice, arboriculteur/arboricultrice, arroseur/arroseuse, auditeur/auditrice, auto-stoppeur/auto-stoppeuse, autodestructeur/autodestructrice, aviateur/aviatrice, aviculteur/avicultrice, bafouilleur/bafouilleuse, bagarreur/bagarreuse, baigneur/baigneuse, bailleur/bailleresse, balayeur/balayeuse, barreur/barreuse, basketteur/basketteuse, batailleur/batailleuse, batteur/batteuse, bienfaiteur/bienfaitrice, blagueur/blagueuse, blanchisseur/blanchisseuse, blasphémateur/blasphématrice, bluffeur/bluffeuse, boudeur/boudeuse, brailleur/brailleuse, bredouilleur/bredouilleuse, bricoleur/bricoleuse, bridgeur/bridgeuse, briseur/briseuse, brocanteur/brocanteuse, brocheur/brocheuse, brodeur/brodeuse, broyeur/broyeuse, bûcheur/bûcheuse, buveur/buveuse, calculateur/calculatrice, calomniateur/calomniatrice, campeur/campeuse, cascadeur/cascadeuse, castrateur/castratrice, catcheur/catcheuse, centralisateur/centralisatrice, chahuteur/chahuteuse, chanteur/chanteuse, charmeur/charmeuse, chasseur/chasseuse, chauffeur/chauffeuse, chercheur/chercheuse, chineur/chineuse, chômeur/chômeuse, chroniqueur/chroniqueuse, cireur/cireuse, civilisateur/civilisatrice, classificateur/classificatrice, coadministrateur/coadministratrice, codébiteur/codébitrice, codétenteur/codétentrice, codirecteur/codirectrice, coiffeur/coiffeuse, collaborateur/collaboratrice, collectionneur/collectionneuse, colleur/colleuse, colonisateur/colonisatrice, commentateur/commentatrice, compensateur/compensatrice, compétiteur/compétitrice, compilateur/compilatrice, compositeur/compositrice, concepteur/conceptrice, conciliateur/conciliatrice, conducteur/conductrice, confectionneur/confectionneuse, confiseur/confiseuse, connaisseur/connaisseuse, conservateur/conservatrice, consommateur/consommatrice, conspirateur/conspiratrice, constructeur/constructrice, contempteur/contemptrice, conteur/conteuse, continuateur/continuatrice, contrôleur/contrôleuse, coopérateur/coopératrice, coordinateur/coordinatrice, coordonnateur/coordonnatrice, copieur/copieuse, correcteur/correctrice, corrupteur/corruptrice, coureur/coureuse, crâneur/crâneuse, créateur/créatrice, créditeur/créditrice, crieur/crieuse, cultivateur/cultivatrice, curateur/curatrice, danseur/danseuse, débiteur/débitrice, décentralisateur/décentralisatrice, décideur/décideuse, décorateur/décoratrice, défendeur/défenderesse, délateur/délatrice, demandeur/demandeuse, démarcheur/démarcheuse, démobilisateur/démobilisatrice, démonstrateur/démonstratrice, démoralisateur/démoralisatrice, démystificateur/démystificatrice, dénonciateur/dénonciatrice, dépanneur/dépanneuse, déprédateur/déprédatrice, désapprobateur/désapprobatrice, dessinateur/dessinatrice, déstabilisateur/déstabilisatrice, destructeur/destructrice, détenteur/détentrice, détracteur/détractrice, dévastateur/dévastatrice, dévoreur/dévoreuse, diffamateur/diffamatrice, directeur/directrice, discoureur/discoureuse, diseur/diseuse, dispensateur/dispensatrice, dissimulateur/dissimulatrice, dissipateur/dissipatrice, distributeur/distributrice, docteur/doctoresse, dominateur/dominatrice, dompteur/dompteuse, donateur/donatrice, donneur/donneuse, dragueur/dragueuse, dresseur/dresseuse, dupeur/dupeuse, éclaireur/éclaireuse, écumeur/écumeuse, éditeur/éditrice, éducateur/éducatrice, électeur/électrice, élévateur/élévatrice, éleveur/éleveuse, émancipateur/émancipatrice, emballeur/emballeuse, émetteur/émettrice, empailleur/empailleuse, empêcheur/empêcheuse, empereur/impératrice, emprunteur/emprunteuse, enchanteur/enchanteresse, enjôleur/enjôleuse, enquêteur/enquêteuse, enregistreur/enregistreuse, enrouleur/enrouleuse, ensorceleur/ensorceleuse, entraîneur/entraîneuse, entremetteur/entremetteuse, ergoteur/ergoteuse, escrimeur/escrimeuse, essayeur/essayeuse, étiqueteur/étiqueteuse, évacuateur/évacuatrice, évangélisateur/évangélisatrice, évocateur/évocatrice, examinateur/examinatrice, excavateur/excavatrice, exécuteur/exécutrice, expéditeur/expéditrice, expérimentateur/expérimentatrice, exploiteur/exploiteuse, explorateur/exploratrice, exportateur/exportatrice, exterminateur/exterminatrice, fabulateur/fabulatrice, faiseur/faiseuse, falsificateur/falsificatrice, farceur/farceuse, fédérateur/fédératrice, flâneur/flâneuse, flatteur/flatteuse, fondateur/fondatrice, formateur/formatrice, fouineur/fouineuse, fraiseur/fraiseuse, fraudeur/fraudeuse, frondeur/frondeuse, fumeur/fumeuse, fureteur/fureteuse, gâcheur/gâcheuse, gaffeur/gaffeuse, gagneur/gagneuse, gaspilleur/gaspilleuse, 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liquidateur/liquidatrice, livreur/livreuse, locomoteur/locomotrice, locuteur/locutrice, logeur/logeuse, loueur/loueuse, lutteur/lutteuse, magnétiseur/magnétiseuse, mangeur/mangeuse, manieur/manieuse, manipulateur/manipulatrice, maquilleur/maquilleuse, maraudeur/maraudeuse, marcheur/marcheuse, marémoteur/marémotrice, mareyeur/mareyeuse, marqueur/marqueuse, masseur/masseuse, médiateur/médiatrice, meneur/meneuse, menteur/menteuse, migrateur/migratrice, mitrailleur/mitrailleuse, mobilisateur/mobilisatrice, modeleur/modeleuse, modérateur/modératrice, modificateur/modificatrice, moissonneur/moissonneuse, moniteur/monitrice, monteur/monteuse, montreur/montreuse, moqueur/moqueuse, moralisateur/moralisatrice, mystificateur/mystificatrice, nageur/nageuse, narrateur/narratrice, négociateur/négociatrice, noceur/noceuse, non-fumeur/non-fumeuse, novateur/novatrice, observateur/observatrice, oléiculteur/oléicultrice, opérateur/opératrice, orateur/oratrice, ordonnateur/ordonnatrice, organisateur/organisatrice, orienteur/orientrice, ostréiculteur/ostréicultrice, ouvreur/ouvreuse, pacificateur/pacificatrice, parfumeur/parfumeuse, parieur/parieuse, parleur/parleuse, patineur/patineuse, payeur/payeuse, pécheur/pécheresse, perforateur/perforatrice, persécuteur/persécutrice, persifleur/persifleuse, perturbateur/perturbatrice, photocopieur/photocopieuse, pilleur/pilleuse, planificateur/planificatrice, pleureur/pleureuse, pleurnicheur/pleurnicheuse, plongeur/plongeuse, pollueur/pollueuse, poseur/poseuse, précepteur/préceptrice, prêcheur/prêcheuse, prédateur/prédatrice, prédicateur/prédicatrice, préparateur/préparatrice, présentateur/présentatrice, prêteur/prêteuse, prévaricateur/prévaricatrice, procréateur/procréatrice, producteur/productrice, profanateur/profanatrice, profiteur/profiteuse, programmeur/programmeuse, promeneur/promeneuse, prometteur/prometteuse, promoteur/promotrice, propagateur/propagatrice, prospecteur/prospectrice, protecteur/protectrice, provocateur/provocatrice, psychomoteur/psychomotrice, pupitreur/pupitreuse, purificateur/purificatrice, querelleur/querelleuse, quêteur/quêteuse, rabâcheur/rabâcheuse, raboteur/raboteuse, racoleur/racoleuse, radoteur/radoteuse, rageur/rageuse, raisonneur/raisonneuse, râleur/râleuse, rameur/rameuse, rapporteur/rapporteuse, raseur/raseuse, ravageur/ravageuse, réalisateur/réalisatrice, récepteur/réceptrice, receveur/receveuse, récriminateur/récriminatrice, récupérateur/récupératrice, rédacteur/rédactrice, rédempteur/rédemptrice, réducteur/réductrice, réformateur/réformatrice, régleur/régleuse, régulateur/régulatrice, relayeur/relayeuse, relieur/relieuse, remorqueur/remorqueuse, rémunérateur/rémunératrice, rénovateur/rénovatrice, réparateur/réparatrice, repasseur/repasseuse, répétiteur/répétitrice, répondeur/répondeuse, réprobateur/réprobatrice, reproducteur/reproductrice, resquilleur/resquilleuse, retardateur/retardatrice, révélateur/révélatrice, rêveur/rêveuse, rieur/rieuse, ronfleur/ronfleuse, rongeur/rongeuse, rouspéteur/rouspéteuse, scrutateur/scrutatrice, séducteur/séductrice, semeur/semeuse, sertisseur/sertisseuse, serveur/serveuse, serviteur/servante, simplificateur/simplificatrice, simulateur/simulatrice, skieur/skieuse, slalomeur/slalomeuse, soigneur/soigneuse, solliciteur/solliciteuse, sous-directeur/sous-directrice, spectateur/spectatrice, spéculateur/spéculatrice, spoliateur/spoliatrice, stabilisateur/stabilisatrice, suborneur/suborneuse, survireur/survireuse, tabulateur/tabulatrice, tapageur/tapageuse, tapeur/tapeuse, téléspectateur/téléspectatrice, temporisateur/temporisatrice, tentateur/tentatrice, testateur/testatrice, thésauriseur/thésauriseuse, tireur/tireuse, tisseur/tisseuse, tondeur/tondeuse, traducteur/traductrice, transporteur/transporteuse, travailleur/travailleuse, tricheur/tricheuse, triomphateur/triomphatrice, trompeur/trompeuse, trotteur/trotteuse, tueur/tueuse, tuteur/tutrice, unificateur/unificatrice, usurpateur/usurpatrice, utilisateur/utilisatrice, valseur/valseuse, vasoconstricteur/vasoconstrictrice, vasodilatateur/vasodilatatrice, vendangeur/vendangeuse, vendeur/vendeuse, vengeur/vengeresse, vérificateur/vérificatrice, violateur/violatrice, visiteur/visiteuse, vociférateur/vocifératrice, voleur/voleuse, volleyeur/volleyeuse, voyageur/voyageuse, vulgarisateur/vulgarisatrice. »

On peut constater, si on cherche bien, qu'il n'existe pas beaucoup de féminins en « -esse » pour les masculins en « -eur » : « bailleresse, défenderesse, doctoresse, enchanteresse, pécheresse, vengeresse ». Il en existe cependant pour d'autres terminaisons du masculin : « comte/comtesse, contremaître/contremaîtresse, dieu/déesse, devin/devineresse, diable/diablesse, duc/duchesse, hôte/hôtesse, maître/maîtresse, mulâtre/mulâtresse, nègre/négresse, ogre/ogresse, poète/poétesse, prêtre/prêtresse, prince/princesse, Suisse/Suissesse, tigre/tigresse, traître/traîtresse, vicomte/vicomtesse. »

Au passage, si on considère le contenu sémantique, on peut voir que la langue ne fait pas de discrimination sexuelle. On féminise simplement, à mesure, ce qu'on a besoin de féminiser. Comme le dictionnaire était un peu ancien, il n'y avait pas boxeuse, mais il y avait déjà catcheuse. Et la féminité n'avait pas attendu pour être bagarreuse ou chahuteuse. Il ne faut pas non plus surjouer le machisme linguistique puisqu'il est notoire qu'il existait des aviatrices et des dompteuses, ce qui n'est pas à la portée de tous les hommes. La langue indique les usages sociaux et ne les détermine pas, contrairement à la mode issue de la théorie performative mal comprise dans les sciences humaines.

Le dictionnaire initial contient donc déjà beaucoup de noms de métiers ou d'activités féminisés, même si certains métiers masculins peuvent être seulement des noms ou des adjectifs se rapportant plutôt à des objets (« fraiseur/fraiseuse, exterminateur/exterminatrice, mitrailleur/mitrailleuse, etc. »). Mais rien n'interdit de les utiliser comme noms de métiers au féminin au lieu d'inventer un féminin irrégulier (« fraisseure, exterminateure, mitrailleure »). Cependant, il existe beaucoup de métiers ou activités, dans le même dictionnaire, qui n'avaient pas de féminin déjà indiqué :

« Accordeur, affréteur, agioteur, aiguilleur, ajusteur, ambassadeur, amuseur, apiculteur, appariteur, armateur, arpenteur, artilleur, asservisseur, assesseur, assureur, auteur, barbouilleur, bateleur, bâtisseur, bouilleur, boursicoteur, boxeur, brasseur, bruiteur, câbleur, cambrioleur, camionneur, carreleur, casseur, censeur, changeur, chargeur, chiropracteur, chronométreur, ciseleur, coauteur, coéditeur, commissaire-priseur, confesseur, contrefacteur, convoyeur, couvreur, covendeur, débardeur, découvreur, défenseur, défricheur, dégustateur, déménageur, démineur, démolisseur, dictateur, diffuseur, discounteur, distillateur, doreur, dynamiteur, éboueur, écorcheur, égorgeur, embaumeur, émondeur, employeur, encadreur, enchérisseur, enlumineur, entrepreneur, équarrisseur, escamoteur, estampeur, étameur, faucheur, faux-monnayeur, ferrailleur, féticheur, filateur, fondeur, footballeur, fossoyeur, fournisseur, franc-tireur, gladiateur, gouverneur, graveur, greffeur, gribouilleur, guetteur, hacheur, handballeur, hockeyeur, horticulteur, hypnotiseur, imprimeur, ingénieur, installateur, instructeur, laboureur, lamineur, littérateur, lotisseur, métreur, mineur, naufrageur, navigateur, objecteur, passeur, pasteur, patrouilleur, paveur, penseur, percepteur, pisciculteur, pisteur, placeur, plaideur, porteur, prieur, professeur, programmateur, pronostiqueur, prosateur, proviseur, rabatteur, racketteur, radioamateur, raffineur, ramasseur, ramoneur, randonneur, ravitailleur, receleur, recruteur, recteur, régisseur, rémouleur, rempailleur, renchérisseur, répartiteur, restaurateur, retoucheur, réviseur, rhéteur, rimailleur, rimeur, rôtisseur, saboteur, sapeur, sauveteur, scieur, sculpteur, seigneur, sélectionneur, sénateur, sériciculteur, serviteur, soldeur, sondeur, soudeur, souffleur, souscripteur, souteneur, stoppeur, superviseur, sylviculteur, tailleur, tanneur, tatoueur, testeur, tirailleur, torpilleur, torréfacteur, tour-opérateur, tourneur, traiteur, trappeur, trimardeur, veilleur, veneur, versificateur, vidangeur, videur, viticulteur, volailleur, voltigeur, voyageur, zingueur. »

Un certain nombre de féminins notoirement existants ont pu être simplement oubliés pour « apiculteur, restaurateur, ronchonneur, sénateur, viticulteur, etc. », mais contrairement au principe du « parler féministe », on ne voit pas pourquoi on devrait abandonner les féminins qui existent au nom de féminins qui n'existent pas. La plupart des féminisations peuvent être créées sur le modèle de celles qui existent déjà. Normalement, la compétence linguistique sur le modèle chomskyen est ce qui permet de créer spontanément de nouvelles flexions. Dans ce cadre, la surgénéralisation fautive est le propre des enfants ou des étrangers qui n'ont pas encore acquis la compétence en question et produisent des solécismes. Il est vrai que le monde académique a aussi la mauvaise habitude de créer une infinité de barbarismes dans les différents jargons de chaque discipline ou les mauvaises traductions de termes étrangers, l'anglais surtout pour la technique ou l'allemand pour la philosophie.

Une excuse du « parler féministe » est donc qu'il existe effectivement des sortes de « faux amis » comme ingénieuse qui renvoie simplement à ingénieux et non à ingénieur, mais on pourrait l'utiliser quand même. Outre les féminins qui correspondent à des adjectifs et qui ne qualifient habituellement pas les personnes, comme indiqué un peu plus haut, la vraie difficulté est le choix entre les différentes terminaisons qu'on constate dans les quelques incertitudes pour des emplois particuliers : « demandeur/demandeuse/demanderesse, patron/patronne/patronnesse ».

Dans la liste des féminins de métiers absents ci-dessus, les possibilités de féminisations régulières en « -euse, -trice, -esse », sont nombreuses. Dans le dictionnaire du correcteur informatique Antidote que j'utilise, on trouve bien : « accordeuse, affréteuse, agioteuse, aiguilleuse, ajusteuse, ambassadrice, amuseuse, apicultrice, apparitrice, armatrice, arpenteuse, artilleuse, assureuse, autrice, barbouilleuse, bateleuse, bâtisseuse, bouilleuse, boursicoteuse, boxeuse, brasseuse, bruiteuse, câbleuse, cambrioleuse, camionneuse, carreleuse, casseuse, chargeuse, chronométreuse, ciseleuse, coautrice, coéditrice, etc. » Par contre, selon les usages actuels du « parler féministe », on y rencontre précisément l'existence de : « assesseure , assureure*, auteure*, bouilleure*, censeure, [...] gouverneure, ingénieure, mineure, pasteure, professeure, proviseure, sculpteure* » (ceux avec un astérisque ont aussi une formation régulière). Quelques féminins n'y sont pas du tout pour : « asservisseur, chargeur, chiropracteur (qui est changé en chiropracticien/chiropracticienne), etc. »

Au final, il me semble que le choix d'un féminin en « -eure » est une mauvaise idée. Il relève du barbarisme universitaire jargonnant. En fait, il n'existe presque pas de mots féminins en « -eure » en français. Dans le dictionnaire utilisé, on trouve seulement : « antérieure, demeure, extérieure, heure, inférieure, intérieure, majeure, meilleure, mineure, postérieure, prieure, supérieure, ultérieure », où seules mineure, prieure et supérieure pourraient être des féminins de noms de métiers. En outre, comme dans la liste précédente d'Antidote des féminins d'« assesseur, auteur, censeur, gouverneur, ingénieur, mineur, pasteur, prieur, professeur, proviseur, sculpteur », on remarque qu'il s'agit de professions prestigieuses, exceptée « mineure » qui me semble formée sur l'adjectif opposé à « majeur » plutôt que sur le nom de l'ouvrier de mine. Il peut aussi s'agir d'une connotation religieuse (« ordres mineurs ») idée renforcée par « pasteure, prieure, supérieure ».

Pour féminiser, il me semble qu'il serait tout à fait possible d'utiliser « assesseuse, censeuse, gouverneuse, ingénieuse, mineuse, professeuse, proviseuse, etc. » et on aurait peut-être pu envisager aussi des formes comme « autoresse, pastoresse » voire « censoresse ». Il ne resterait que « prieure », avéré depuis longtemps et qui peut être la vraie origine du modèle du « parler féministe » ! Faut-il voir dans sa généralisation un complot ourdi dans le secret des couvents ? Dans le cas d'Antidote, le travail lexicographique important de l'origine canadienne du dictionnaire pourrait aussi accentuer le féminisme sur le mode américain et le poids de la religion, fréquent dans cette province du Canada. Tabernacle, mais c'est bien sûr !

Pour le cas spécifique des mots « censeure, chercheure, directeure, docteure, professeure, proviseure », on peut noter que le statut de clerc concerne aussi le monde enseignant. Mais précisément, dans ce cadre, certain(e)s devraient faire leur travail en essayant de comprendre les mécanismes du féminin en français pour bien l'enseigner. J'ai montré que ce n'est pas très compliqué et il existe des dictionnaires plus complets et mieux structurés que celui que j'ai utilisé, qui n'est qu'une liste de mots, sans catégorie grammaticale, genre, définition, etc. On parle un peu trop d'intelligence artificielle en ce moment, sans faire le travail minimum qu'on est censé faire statutairement dans le monde académique. En ce qui concerne les médias qui choisissent au final les intervenants qui s'adressent au public, ils pourraient aussi essayer d'éviter de monter en épingle ceux qui ajoutent à la confusion. On en vient à douter de l'intelligence naturelle.

Jacques Bolo

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