Filoche n'est pas antisémite, mais il est un peu con (il n'est pas le seul).
Gérard Filoche, figure de la gauche du Parti socialiste, ancien inspecteur du travail, a été exclu du bureau national du Parti socialiste à l'unanimité le 21 novembre 2018. Il avait diffusé sur Tweeter une image représentant Emmanuel Macron avec un brassard nazi, le signe dollar remplaçant la croix gammée avec, en arrière-plan, Patrick Drahi, Jacob Rothschild et Jacques Attali sur un fond d'images floues des drapeaux américains et israéliens. Un slogan sur la photo : « En Marche vers le chaos mondial » et un commentaire de Filoche dans le texte du tweet : « Un sale type, les Français vont le savoir tous ensemble bientôt ».
Gérard Filoche a retiré son tweet rapidement. Il s'est défendu sur Tweeter que ce genre d'attaque contre Macron est banal sur les réseaux sociaux et que ce n'était pas lui qui avait diffusé cette image, mais qu'il en assumait la responsabilité. Il a aussi dit qu'il ne s'était pas aperçu qu'il y avait des drapeaux américains et israéliens en fond. Certains ne l'ont pas cru, mais c'est pourtant probable, parce que je ne l'avais pas vu moi-même quand cette image a été répercutée partout du fait de la polémique. Je m'étais aussi demandé qui était le type du milieu, car je ne connaissais pas le visage de Jacob Rothschild. Mais je me doutais bien, de par le contexte et le jeu sur le symbole nazi et les autres personnalités, qu'il pouvait s'agir d'un Rothschild puisque Macron avait travaillé pour la banque de cette famille. Il me paraissait évident que le tweet était de nature antisémite. C'est ce qu'aurait dû se dire Filoche avant publication. Le niveau baisse !
L'image s'est révélée être une reprise d'une publication de la bande à Alain Soral qui, sur son site Égalité et Réconciliation, propage ce genre de propagande antisémite, dont il faut noter la particularité qu'elle associe les juifs aux nazis ! La contradiction n'est pas celle qu'on imagine immédiatement. Le nazisme est devenu une insulte généralisable : il est connu que les députés israéliens se traitent mutuellement de nazis. La contradiction est plutôt que l'antisionisme de ce genre utilise la stigmatisation du nazisme tout en soutenant des idées négationnistes. Puisqu'on se préoccupe, avec les réseaux sociaux, de savoir lire l'image et les médias, il faut rappeler que l'inconvénient de l'image est de permettre d'opérer encore plus de rapprochements aberrants que le discours verbal ou écrit. C'est dire !
Le tweet était antisémite, mais il est absurde de faire semblant de croire immédiatement que Gérard Filoche l'est forcément. La réalité est plutôt qu'il publie sur son compte Tweeter une sorte de propagande systématique contre Emmanuel Macron, les patrons, ses adversaires politiques et d'autres, en ne reculant devant aucune image de ce genre qui relève exactement de ce pour quoi on a créé le « point Godwin » qui consiste à se traiter mutuellement de nazi en cas de désaccord. Sur le sujet, j'ai cependant fait la réserve que les nazis parlent eux-mêmes de point Godwin quand on est en désaccord avec eux. Ce qui démontre simplement leur propre inanité déjà mentionnée au paragraphe précédent.
Pourtant, que l'on profite de la puérilité militante de Gérard Filoche pour le considérer comme un antisémite relève plutôt du plus traditionnel « quand on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage ». Le PS ne savait sans doute pas comment se débarrasser d'un emmerdeur notoire. On aimerait croire qu'il ne s'agit que de faire un peu plus sérieux pour ce qui reste du Parti socialiste, complètement réduit à la portion congrue depuis les défections des mélenchoniens et des macronistes. Il est plus probable qu'il s'agit simplement d'une tentative d'élimination d'une tendance interne au PS, sport préféré des militants entre eux. Le paradoxe est ici que ces magouilles internes auraient plutôt l'inconvénient de confirmer l'idée implicite du tweet : éliminer les pro-Palestiniens, en les considérant comme des antisémites, au profit des pro-Israéliens. Quand on décode les images, il faut les décoder jusqu'au bout.
Le vrai problème de Filoche et de la gauche de la gauche n'est pas de céder aux « codes de l'antisémitisme des années 30 », comme la déclaration d'exclusion le lui a signifié. L'image les reproduit sans aucun doute, encore que le problème réel serait plutôt l'imagerie infantile qui discrédite un parti qui se voudrait sérieux.
Mais il faut aussi analyser sérieusement cette frivolité même. Le propos réel des gauchistes est précisément de considérer le libéralisme détesté de Macron comme un agent ou un précurseur du nazisme (bien que le gouvernement Macron soit plutôt d'un interventionnisme étatiste agaçant). Plutôt que l'antisémitisme, on est donc ici dans le discours classique du Komintern durant les mêmes années 30. L'ancien trotskiste Filoche et beaucoup d'autres militants socialistes et communistes n'ont pas rénové leurs analyses politiques sur le sujet. Ils devraient mieux prendre en compte l'histoire de cette période qu'ils connaissent pourtant très bien. À l'époque, après avoir classiquement accusé les socialistes de collusion avec la bourgeoisie, les communistes/staliniens avaient été contraints à une alliance au sein des divers Fronts populaires pour lutter contre la montée des fascismes. Mais il était trop tard.
Il faut toujours bien analyser le discours contenu dans les images. La rationalité prend la peine d'articuler les éléments discursifs présents (nazisme, libéralisme, communisme) en tenant compte des connaissances disponibles. C'est ce qui permet d'éviter la confusion mentale produite par la simultanéité visuelle des raccourcis et par symboles, dont abusent les politiciens en jouant avec le feu.
Jacques Bolo
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