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Politique - Octobre 2017

Macron contestation

Résumé

La méthode volontariste de Macron risque de faire lever la contestation. Le volontarisme a des limites dans le domaine administratif, d'autant qu'on n'est plus à l'époque de la centralisation. Le problème serait plutôt la confusion des rôles.

Macron commence mal la rentrée parlementaire 2017 avec ses discours à l'emporte-pièce qui jettent de l'huile sur le feu. Comme je le disais en juin, l'inconvénient d'un parlement à sa botte est que cela ne va pas tempérer les choses. Les opposants à ses réformes font semblant de ne pas comprendre ce qu'il dit en jouant sur les vieux mythes et le gouvernement leur renvoie la politesse. J'en ai parlé le mois dernier, je n'y reviens pas. Après avoir éliminé la prétendue « gauche de gouvernement », la gauche protestataire reprend des couleurs, mais le logo « plus à gauche que moi tu meurs » permet surtout de faire des blagues sur Internet et d'organiser des manifs. Au moins, le FN est sur la touche pour le moment : les médias vont devoir trouver d'autres « bons clients », ça va nous faire des vacances de ce côté-là. Heureusement, les faits divers ne manquent pas et Trump gigote à plein tube.

Vitesse et Précipitation

Vouloir tout changer rapidement, comme le veut Emmanuel Macron, est toujours risqué. C'est vrai que la situation sociale actuelle paraît bloquée, et qu'il faut parfois secouer le cocotier, mais vouloir passer en force est une mauvaise idée. Quand on veut casser l'opposition classique droite/gauche en la considérant comme contre-productive, il est préférable de rechercher le fameux consensus dont on crédite habituellement le modèle social allemand. Mais les Français ne savent pas faire. Dans un sens, c'est parce qu'ils ont une vision positive de la nature humaine. Ils considèrent que le consensus humaniste est déjà réalisé. Du coup, ils ne vont pas perdre du temps à parler de ce qu'on sait déjà. Ils cherchent donc tout de suite les problèmes qui subsistent et les sujets qui fâchent pour améliorer encore cette situation idyllique.

Mais c'est une erreur car l'intendance ne suit pas. Ce n'est pas seulement parce que le diable est dans les détails, mais plutôt parce que les grandes idées doivent être assimilées avant d'être mises en oeuvre. Le sociologue Michel Crozier a montré que les technocrates ne se rendent pas compte que leurs décisions se perdent dans le dédale de l'exécution, même si on finit par faire les choses quand même. Une approche plus pragmatique à l'anglo-saxonne ou sur le mode entrepreneurial permet en principe de progresser par essai et erreurs, mais les mauvaises habitudes de l'administration bonapartiste consistent à croire que les choses fonctionnent sur le mode militaire. En outre, le bon vieux temps de l'Empire français qui réduisait les vassaux des colonies à un marché captif est terminé dans un monde concurrentiel. Pas complètement, mais les prés carrés se marchandent à coups d'interventions militaires coûteuses. C'est pas du business, ça !

L'inconvénient de vouloir tout changer est aussi de risquer de casser ce qui marche ou qui pourrait mieux marcher si on améliorait simplement le suivi. Que sont devenus les « cercles de qualité » qui étaient censés s'atteler à la question dans les années 1980 ? Les industriels préfèrent-ils considérer que les normes les emmerdent et vivre de subventions ou de commandes publiques (selon le modèle colonial susmentionné) avec la complicité des syndicats et des élus ? En situation de concurrence, c'est plutôt une qualité supérieure qui permet de conquérir ou de conserver des marchés quand on n'est pas le plus fort ou le moins cher. J'ai déjà souligné le risque de se griller complètement à l'international quand on minimise les scandales comme la viande de cheval dans le boeuf ou les prothèses mammaires défectueuses !

Les réformes Macron du Code du travail, la suppression des contrats-aidés, la suppression partielle de l'ISF, de la taxe d'habitation, les coupes budgétaires diverses, risquent surtout de foutre le bordel. Comme elles paraissent reprendre exclusivement les exigences des patrons, c'est au moins maladroit. Dans leur style, ces mesures ont effectivement l'inconvénient de céder un peu trop à la doxa ressassée du « libéralisme journalistique » par opposition à la doxa alternative de la « défense des travailleurs ». Les restrictions peuvent surtout désorganiser les services administratifs qui vont devoir licencier les vacataires ou ne pas embaucher. Ce n'est pas ça qui va améliorer la qualité du service. Bon, si ça peut supprimer les emplois de complaisance, ça sera toujours ça.

Flexisécurité

Sur le fond, on comprend que l'idée du gouvernement est une rupture avec la stratégie, qui prévalait depuis plus de trente ans, d'assurer la sécurité de ceux qui sont en poste au détriment des nouveaux entrants et des sortants. Depuis le temps que dure le retard à l'entrée sur le marché du travail et la sortie prématurée par les préretraites, les conséquences étaient forcément désastreuses. Le vrai drame de la situation actuelle correspond au fait que ceux qui sortent accidentellement du système sont définitivement exclus. Mais la flexisécurité risque de ne pas être appliquée immédiatement et l'on peut donc comprendre que certains ne veuillent pas lâcher la proie pour l'ombre. L'idée d'une plus grande souplesse d'embauche n'est pas immédiatement perçue comme crédible parce que ce n'est pas l'habitude, hors saisonniers. Concrètement, la flexisécurité revient à donner à tout le monde le statut d'intermittent du spectacle. Mais il faudrait l'assumer avec son coût et ses arrangements plus ou moins frauduleux pour atteindre le nombre d'heures permettant d'obtenir l'indemnisation.

Il n'est pas évident non plus que le projet d'accords syndicaux par entreprise soit moins lourd que les accords par branche. On ne voit pas comment des milliers d'accords donneraient un Code du travail moins démesuré, puisqu'il faudra bien que les textes des accords soient inscrits quelque part. La décentralisation a eu aussi ce genre d'effets pervers. Un avantage théorique serait de permettre les expérimentations et plus d'adaptation à chaque situation réelle, à condition d'avoir une approche vraiment nouvelle et non le ripolinage administratif habituel pour plaire au souverain en place. En France, on a tendance à changer les mots plutôt que les choses.

Volontarisme

Sur la stratégie générale volontariste, gérer l'État comme une entreprise correspond plutôt à l'époque gaulliste et pompidolienne. Entre-temps, une bonne partie des entreprises nationalisées a été privatisée. Le secteur public lui-même a généralisé le recours aux vacataires et à la sous-traitance. Si on veut faire des économies, il faudrait plutôt réorganiser les services sur leur fonction plutôt que céder à la mode des objectifs purement comptables. Encore que sur ce dernier point, comme je l'ai dit ailleurs, si un bilan est déficitaire, le plus simple serait de diminuer directement tous les salaires d'un ou deux pour cent. Si les employés préfèrent qu'on vire leurs collègues à la place, comme dans le film des frères Dardenne, Deux jours, une nuit (2014), qu'ils ne s'étonnent pas si ça leur tombe sur la gueule. J'ai démontré que tout est toujours une question de partage du travail. La production s'organise toujours par un équilibre entre chômage partiel et heures supplémentaires. C'est cette disponibilité du personnel que doit savoir gérer un chef d'entreprise.

J'avais aussi montré que la gauche s'est enferrée dans ses mythes de réduction du temps de travail au lieu d'en organiser le partage équitable. La raison en était évidemment qu'il aurait fallu partager les salaires. Les 35 heures ont donc été l'occasion de la mise en place d'un système dirigiste compliqué et horriblement coûteux contre des accords de modération salariale. Au final, ces dispositifs ont été équivalents au partage des salaires sans les bénéfices du partage du travail puisqu'on a augmenté les cadences. Une explication est que ces accords ont été mis en place d'abord dans le privé au lieu d'en montrer l'efficacité en commençant par les entreprises publiques, qui s'en sont hypocritement exonérées pendant un temps. Une autre approche aurait été de commencer par un partage seulement dans le cadre du renouvellement naturel annuel et du volontariat. Mais c'est vrai que le Code du travail ne le permettait sans doute pas. D'où... Encore faut-il modifier ce qui ne marche pas plutôt que chercher à gratter quelques sous (de part et d'autre).

Toutefois, la méthode technocratique de Macron qui consiste à passer en force le plus vite possible risque de provoquer seulement de la contestation. On est en France. Les rapports sociaux sont tendus. Il faudrait plutôt essayer d'augmenter les pratiques de dialogue. En fait, il semble que c'était maladroitement en cours auparavant, d'où une certaine insatisfaction devant la faiblesse de l'État, par manque d'habitude. Les extrêmes, encouragés par les médias pour faire le spectacle, n'avaient pas intérêt à la concertation. On leur fait un cadeau en discréditant ceux qui acceptent le dialogue. Si on veut tout réformer d'en haut, malgré les risques prévisibles, il faudrait aussi que ceux qui mettent en oeuvre ces réformes soient capables de convaincre. Concrètement, il faudrait surtout que les politiciens arrêtent de se tirer systématiquement dans les pattes en se décrédibilisant les uns les autres. D'où la nécessité d'instaurer des pratiques de dialogue. Pour ça, il faudrait aussi supprimer la langue de bois qui ne marche plus avec un public qui a reçu une éducation secondaire ou supérieure, ce qui n'était pas le cas (15 % de bacheliers maximum) dans la période gaulliste.

Austérité ou relance ?

En fait, Macron commence par appliquer le programme d'austérité de Fillon, qui considérait quelques années auparavant que l'État était en faillite. Il n'avait pas entièrement tort. Depuis plus de trente ans, la politique économique a consisté à faire relance sur relance avec de l'argent emprunté sur le modèle grec. La décentralisation a généralisé la corruption qui va avec la multiplication des donneurs d'ordre. La stratégie de gauche accentue le problème en se prenant pour Chavez sans avoir le pétrole du Venezuela. Or, du fait que les vrais pauvres sont beaucoup moins nombreux en France, il faut donc faire avec la coalition des intérêts particuliers qui est l'équivalent d'une opposition vénézuélienne beaucoup plus nombreuse (elle-même existe précisément du fait des programmes sociaux qui ont élevé le niveau de vie). Mais même avec le pétrole, au Venezuela, on constate que la distribution tous azimuts ne marche pas non plus quand on vend l'essence quelques centimes au nom du social. On en est réduit à rationner en catastrophe quand le cours du baril baisse, car on avait fini par oublier la situation économique de l'ancienne URSS avec les queues dans les magasins d'État. Ce n'est pourtant pas si loin.

Le vrai problème actuel de la gestion des affaires publiques est qu'on a un peu trop tendance à raisonner à court terme, sur le modèle concurrentiel du privé qui ne correspond pas aux investissements publics par définition. On voit le résultat dans la dégradation des équipements ferroviaires par exemple. Au lieu du saupoudrage de contrats aidés dans le privé, l'État et les collectivités territoriales feraient mieux de garantir la crédibilité de leurs interventions dans les limites de leur domaine de compétence au lieu de vouloir augmenter leur emprise. Mais savoir se limiter n'est pas l'habitude des politiciens.

Jacques Bolo

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