Tant Emmanuel Macron que Jean-Luc Mélenchon ont des problèmes avec les mots qu'ils utilisent. J'avais eu l'occasion de commenter ce travers précédemment. Cette fois, la conjonction est amusante puisque les deux ont provoqué une indignation publique surjouée quasi simultanément pour cette rentrée politique de septembre 2017.
En voyage en Grèce, le président Macron a parlé de « fainéants » et certains se sont sentis visés. Ils ont revendiqué le qualificatif à l'occasion de la première manifestation de la rentrée, contre la réforme du Code du travail : « Les fainéants en colère », « Les fainéants sont dans la rue », « Fainéants de tous les pays, unissez-vous ! », etc. Macron s'en est expliqué en disant qu'il visait les politiciens qui n'avaient pas fait les réformes nécessaires. Le 26 septembre 2017, dans Le Monde, l'écrivain Henri Peña-Ruiz a fait semblant de comprendre que Macron traitait donc de fainéants les personnes qui refusent ses réformes. On comprend que le mot fainéant désigne celui qui ne fait pas quelque chose qu'il devrait faire. Normalement, le mot ne désigne pas quelqu'un qui n'est pas d'accord avec ce qui est fait.
Rebelote ! Le samedi 23 septembre, précisément au cours d'une « Marche contre le coup d'Etat social », Mélenchon s'est envolé lyriquement en déclarant que « c'est la rue qui a abattu les rois, c'est la rue qui a abattu les nazis, c'est la rue qui a protégé la République contre les généraux félons en 1962 », ce qui lui a valu de nombreux démentis historiquement documentés évidents. Mais aussi, ne voilà-t-il pas qu'on lui a reproché d'avoir traité le gouvernement de nazis. Le porte-parole du gouvernement, Christophe Castaner, a parlé d'une faute grave.
Bon. On sait que le jeu politique consiste à faire semblant de ne pas comprendre. Comme je le disais en décembre 2016, sous le patronage de Georges Frêche (1938-2010) : « [les politiques] jouent sur les cons qui jouent aux cons ». Mais c'est quand même un problème : est-ce que tout le monde comprend et joue au con (dont éventuellement Peña-Ruiz et Castaner) ou est-ce qu'il y en a qui ne comprennent pas (dont éventuellement Peña-Ruiz et Castaner) et que visent donc les politiciens (dont éventuellement Peña-Ruiz et Castaner) ? Je me permets didactiquement, puisqu'on parle de compréhension, de préciser les alternatives (sachant donc qu'on doit en conserver au moins un de chaque quelque part).
Le problème est une bonne illustration de ce que le conte d'Andersen, Les Habits neufs de l'empereur tente de faire le modèle théorique. On parle au moins de flagornerie envers les puissants. Du coup, de nos jours, le populisme est donc logique puisque c'est le peuple qui est souverain. Évidemment, le propos littéral du conte n'est pas crédible, puisqu'il faudrait que non seulement les habits soient invisibles, mais impalpables et sans capacité d'isolation. Mais aussi, il en résulterait que les imbéciles ne le voyant pas, celui qui porterait ces vêtements apparaîtrait bel et bien nu pour eux quand même. Bref, c'est un conte, et ce truc mobilise une forte capacité d'abstraction et de généralisation que c'en est impressionnant. D'autant que tout ça nous dit bien que les princes et les citoyens sont donc conscients d'être des imbéciles et qu'ils ne veulent pas le montrer. On s'approche de la physique quantique en termes de formalisation ! Si vous voyez où je veux en venir...
Jacques Bolo
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