Puisqu'on parle d'identités culturelles ces temps-ci, je suis tombé par hasard sur une vraie curiosité avec ce film, Caravane vers le soleil, qui raconte la traversée vers la Californie d'une caravane d'immigrants basques. Après les guerres napoléoniennes, quelques chariots de Français du Pays basque se retrouvent bloqués dans l'Ouest américain, avant la traversée des zones indiennes, parce qu'ils ont fait l'erreur de payer d'avance leur guide, Bennet, qui cuve au saloon après avoir fait la fête avec toutes les filles.
L'originalité du film consiste dans la présentation didactique appuyée des particularismes basques, le béret, boire à la régalade, l'irrintzina (cris des bergers basques entre les vallées) que le guide prendra plus tard pour des cris d'Indiens. Dans un chariot, les immigrants transportent des plants de vigne pour s'installer en Californie, dans une vallée propice que le chef du convoi, André, avait repérée au cours d'un voyage de prospection précédent. Tout le long du film, entrecoupé d'échanges en français et en basque dans la version originale, on nous montrera les progrès en langue anglaise des immigrants basques, les enfants y réussissant mieux que le vieux du groupe.
Le chef de la petite troupe va relancer le guide au Saloon qui se plaint que sept chariots seulement ne constituent pas un convoi suffisant et qu'il en faudrait plutôt une trentaine. Mais il se laisse conduire au campement où il assiste à une danse folklorique (sorte de flamenco et castagnettes avec les seuls doigts) entre Pépé, le frère du chef (joué par Jacques Bergerac, lui-même du Pays basque), et la vedette féminine, Gabrielle. À la vue de la fille, Bennet commence à être beaucoup plus intéressé par le voyage.
Le film ne perd pas de temps. Des cowboys locaux venus voir les étrangers tripotent les plants de vigne et en jettent au sol en les considérant comme des mauvaises herbes. Le fougueux frère du chef du convoi s'interpose et se bat avec les deux hommes. Un des deux sort son revolver et le guide lui tire dessus et le blesse. Comme l'homme tente à nouveau de tirer avant de partir, Bennet le tue. Les Basques qui avaient assisté à la scène se dispersent. Bennet seul avec Gabrielle la complimente sur sa façon de danser et lui fait des avances, mais comme elle lui répond qu'elle est mariée avec le chef du convoi, Bennet ricane et s'en va.
Le départ est pour le lendemain et la suite du film alternera méthodiquement les scènes de progression de la caravane et celles des diverses péripéties, tantôt pour montrer les coutumes basques, tantôt pour l'action proprement dite. Le guide remarque que les caravanes comportent toutes un chaudron contenant du feu et demande de l'éteindre, pour ne pas attirer les Indiens. Mais les Basques refusent, car ce feu maintient l'esprit de leurs ancêtres depuis des générations. Bennet s'y résigne et fraternise quand même un peu plus tard en buvant du vin à la régalade, tandis qu'un des Basques s'entiche du whisky, et le répétera un peu plus tard dans le film. Rien de mieux que les échanges culturels pour favoriser l'intégration réciproque.
Dans une autre séquence, le guide demande ce que fête un des groupes, et il est choqué d'apprendre que ce sont les fiançailles de deux enfants d'une dizaine d'années, même s'ils ne se mariaient que quand la fille aura dix-huit ans. Il apprend que cette règle est valable pour tous et le frère du chef lui dit qu'il est célibataire parce que sa promise est morte encore enfant, tandis que Gabrielle a été donnée à son frère, plus âgé qu'elle, quand elle avait sept ans. Ces Français sont vraiment de sauvages !
Une autre scène montre Gabrielle qui s'éloigne et Bennet qui la suit. Il la voit se baigner nue et tente de l'embrasser quand elle s'était rhabillée (pudeur hollywoodienne oblige). Elle lui fille un coup de genou dans les couilles pour s'échapper. À l'arrivée au campement, la vieille du groupe repère le manège et rapporte ses soupçons au mari qui se résigne parce que sa femme est bien plus jeune que lui. Devant cette philosophie, la vieille lui dit très justement : « Tu es plus vieux que je le pensais ! » Mes félicitations au scénariste.
Après une autre séquence de piste, la nuit, à l'écart du bivouac, Bennet tente encore le coup avec Gabrielle. Lourd, le mec ! À propos de coutumes locales, on peut remarquer qu'à l'époque, à Hollywood, on ne demandait pas la permission avant d'embrasser une fille, comme c'est devenu la norme. Au loin, André les voit et se précipite, mais un des Basques chargé du guet tire sur lui et le tue. Le guide avait dit de tirer pour tuer sur tout ce qui bouge. Radical. L'affaire du mari est réglée pour la suite du film. La vieille reproche même à Gabrielle d'avoir encouragé Bennet. Mais l'heure est grave, sans leur chef, certains veulent rebrousser chemin. Le frère du chef prend les choses en mains en les galvanisant... et en prévoyant de se marier avec Gabrielle après son veuvage, comme le veut la coutume. Non, mais qu'est-ce que c'est que ces moeurs archaïques ? Pas question que Bennet accepte de boire à leur futur bonheur. Civilisation oblige ! D'ailleurs, il tentera encore son coup avant de repartir, mais Pépé les surprend, et menace le guide de son fusil. Mais à Gabrielle, il dira qu'il comprend Bennet, car il connaît la soif du désir lui aussi. Le Basque est philosophe !
Plus loin, une source asséchée juste avant de traverser le désert oblige à rationner l'eau, mais les Basques en réservent pour les vignes. Cela provoquera la mort du beau cheval de Gabrielle, comme Bennet le lui reprochera. Devant les difficultés, le guide demande d'alléger les chariots en jetant les meubles, mais les Basques refusent et Pépé se bat avec Bennet qui gagne difficilement. L'honneur est sauf de part et d'autre. Ils sont obligés de quitter le désert et de pénétrer dans le territoire indien, où ils trouvent de l'eau, mais les Indiens les ont repérés. Malencontreusement, une des marmites des feux traditionnels met le feu aux broussailles. Épisode de cavalcade devant l'incendie de savane. Du coup, ils se résignent à rompre la tradition en se débarrassant du feu millénaire : « C'est mieux d'abandonner les coutumes quand on arrive dans un nouveau pays ».
Néanmoins, les traditions sont bien utiles, comme nous l'allons voir. La caravane doit traverser des cañons entre les montagnes, et le guide les prévient que les Indiens les attendent. Si peu nombreux pour se défendre, ils vont tous y passer bien qu'ils sachent tirer, comme ils l'avaient répondu à Bennet au début de leur parcours, ajoutant qu'un d'entre eux avait fait la guerre avec Napoléon (vêtu d'ailleurs en costume militaire pour mieux le souligner). Rebondissement extraordinaire, les Basques proposent au guide, qui n'en croit pas ses oreilles, d'attaquer les Indiens dans les gorges pendant que les femmes font passer les chariots. La montagne est leur terrain de prédilection et leurs ancêtres avaient attaqué Roland au col de Roncevaux [en 778] ! Ah, les scénaristes ont des lettres et quelques Basques doivent squatter les studios ! Les cartes tirées par la vieille annoncent même le succès.
Bennet, peu confiant, dit à Gabrielle de guider la caravane vers le soleil sans les attendre et elle l'embrasse. Elle lui dit qu'il avait raison et qu'elle lui appartient. Il suffisait d'insister. Pépé les voit de loin et ne dit rien. Ça, c'est réglé ! Pour compliquer un peu la sauce, une des femmes va accoucher au moment de partir. Là, c'est un peu trop. Les scénaristes devraient se retenir de temps en temps. L'attaque des Indiens au moment ou la caravane passe est assez cocasse, avec les Basques bondissants de rochers en rocher en espadrilles comme les super-héros dans les dessins animés japonais. Ils utilisent aussi des chisteras (gants en osier de pelote basque) pour neutraliser les gardes indiens (pas très efficaces). Au lieu de profiter de leur avantage en restant sagement à couvert, les colons basques friment en s'exposant sur les rochers et certains se font dégommer bêtement. C'était sans doute les tactiques à l'époque napoléonienne, faut pas s'étonner du résultat. Mais les colons arrivent quand même à décimer les Indiens, avec quelques pertes, dont le soldat de Napoléon, et celui qui avait accidentellement tué André auparavant. Autant solder les comptes pour repartir du bon pied.
Face aux pertes, bien que faibles, Gabrielle doute et veut tout envoyer balader, la vigne et le reste, mais Bennet la sermonne sur le besoin de réaliser ses rêves et pour ne pas que ses amis soient morts en vain. D'ailleurs, il veut lui montrer quelque chose : après cette cavalcade jusqu'au bord des montagnes, ils sont juste en vue de la vallée promise. Pour clore l'histoire sans s'éterniser, Pépé donne sa bénédiction à Bennet, en lui disant qu'il a découvert que dans ce pays, « love comes first », et que c'est une meilleure coutume. Assimilation réussie, en forme d'apologie du coup de foudre (un peu macho), de l'époque où les histoires édifiantes de Hollywood nous enseignaient le roman national du rêve américain et les variétés ethnologiques tout en nous distrayant.
Jacques Bolo
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