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Politique - Septembre 2016

Macron trop gauche

Résumé

Macron va-t-il faire une OPA médiatique hostile sur les élections présidentielles ?

Emmanuel Macron, ministre de l'Économie, de l'Industrie et du Numérique depuis août 2014, a créé la surprise en démissionnant de son poste le 30 août 2016. Demi-surprise qui permet d'envisager son projet de candidature à la présidentielle de 2017. Il avait lancé son mouvement « En marche » au début de l'année 2016 et prenait ses marques pour la suite. C'est culotté. Il n'a jamais été élu et pense pouvoir créer ex nihilo un parti qu'on a du mal à situer. Au mieux, il peut seulement tabler sur la notoriété acquise durant son court passage au gouvernement et sur le simple, mais profond, désir de renouvellement. Sale coup pour François Hollande à qui il coupe l'herbe sous le pied avant que le président ait pris la décision de se représenter.

Les snipers du Parti socialiste ont dénoncé le jeu perso du futur candidat. Ils n'ont pas tort s'ils considèrent que Macron tente une OPA sur un électorat captif. La hiérarchie socialiste craindrait-elle la volatilité de ses sympathisants ? Elle est surtout inquiète devant la simple arithmétique qui enregistre la dispersion des voix si les candidatures ont lieu hors des primaires de la gauche : Macron, en plus d'un écolo, d'un gauchiste, d'un Front de gauche, et du vainqueur des primaires d'une gauche essentiellement réduite au PS, sans parler d'un ou plusieurs autres candidats éventuels. L'affaire est entendue : ce n'est plus la peine de présenter un candidat de gauche aux présidentielles. Le PS risque même de ne pas obtenir les voix nécessaires au remboursement des frais de campagne. Il faudrait vite engager les négociations pour un nouveau « programme commun de gouvernement de la gauche plurielle », sinon le seul suspense sera celui de savoir qui arrive en tête parmi les éliminés du second tour.

Macron part quand même de très loin. Il semble penser que son jeune âge lui donne un avantage naturel en termes de renouvellement de la classe politique. Le jeunisme est une tendance récurrente qui commence un peu à dater. Dans les années 1990, les yuppies (Young Urban Professional) aux dents longues postulaient dans les entreprises en visant d'entrée les places de direction. La plupart ont enchaîné les stages à répétition. Mais la mode a pris. Elle a déclenché la mise au rancart de plus en plus précoce des salariés, passé la quarantaine, à l'origine sous le prétexte de n'être pas formé à l'informatique, réputée « un truc de jeune qui avait grandi avec ». Le problème pour eux est que la génération en question a dépassé la quarantaine. Sarkozy avait profité de cette pratique en mettant les chiraquiens à la retraite anticipée. Macron pourrait effectivement récupérer les restes de cette mode managériale très douteuse. Car il ne faut pas oublier que les politiques ont tendance à s'incruster. Si on élit un jeune, on risque d'en prendre pour quarante ans.

Le problème politique de Macron est plutôt que son positionnement à gauche est extrêmement compromis par son passé de banquier, à la banque Rothschild en plus ! Le gros défaut de la gauche est de fonctionner par symboles, y compris en négligeant la réalité que les Rothschild étaient plutôt traditionnellement de gauche, comme une minorité de riches notoires, dont Engels au premier chef de la généalogie marxiste. Sans doute reste-t-il aussi des relents d'antisémitisme mal digérés dans la culture populaire avec laquelle la complaisance des élites joue un peu trop sur les mots.

Mais Macron lui-même a carrément foiré son coup à deux reprises. Quand il était ministre, en 2014, il s'est laissé aller à traiter d'illettrées les employées de l'entreprise Gad, en doutant de leur possibilité de reconversion parce qu'elles n'auraient même pas de permis de conduire. Les ouvrières ont évidemment démenti dans une interview télé au volant de leur voiture. D'où Macron tirait-il cette info ? Il est probable que cela avait dû être mentionné dans une conversation avec ses conseillers ou des élus locaux. Macron aurait dû vérifier avant de généraliser. D'autant que ce genre de discours a précisément l'effet de compromettre la réinsertion. Ça casse le coup et le moral.

Macron a récidivé en 2016, à Lunel dans l'Hérault, sur le terrain quand il a été pris à partie par des grévistes qui lui reprochait son costume. Le ministre a eu une réponse de patron en répliquant : « La meilleure façon de se payer un costard, c'est de travailler. » Sembler traiter des salariés de fainéants est inacceptable et Macron aurait dû être viré immédiatement. Le laxisme règne, par solidarité de corps entre les énarques. Par contre, Macron aurait évidemment dû répondre au connard qu'il portait simplement son costume de ministre, outre le fait qu'il n'avait pas à se justifier sur sa garde-robe et qu'il n'était pas là pour parler chiffons. La gauche popu s'égare décidément trop dans les images d'Épinal ringardes et ce genre de conneries commence à bien faire.

Le véritable problème actuel de la politique est de croire que l'État, le président ou les ministres peuvent tout. D'où les déceptions. Macron y croit lui aussi qui a démissionné parce qu'il trouvait que le gouvernement auquel il participait avait fait « beaucoup de choses à moitié ». Ce sentiment est général. Des reproches ont été adressés par Sarkozy personnellement à Macron d'avoir laissé tomber Alstom (dont l'État est le premier actionnaire) quand il était ministre et ses anciens amis du gouvernement ont gentiment confirmé. Sur ce principe illusoire, les salariés de l'entreprise en liquidation Ecopla (premier producteur européen de barquettes aluminium) se sont invités à une réunion du mouvement de Macron le 12 septembre 2016, même après sa démission du gouvernement ! Original comme méthode.

Une partie des électeurs, de gauche et de droite, voit seulement dans Macron un technocrate carriériste. Il doit sans doute compter sur l'autre partie des électeurs qui avoue vouloir faire carrière dans la vie. Ces derniers ont une vision plus exacte de la réalité (des premiers aussi). D'ailleurs, la politique est bien une carrière et elle prétend superviser au niveau global le bon déroulement de la carrière des autres. Le problème actuel serait plutôt que ça marche plus comme on le voudrait. Reste pour chacun la contrainte de sortir du lot pour les places à prendre au sommet. C'est vrai partout. C'est sur ce principe que Macron avait été choisi par Hollande, qui le lui a rappelé, mais Macron a considéré qu'il n'est pas son obligé ! Il n'a pas tort non plus, quoiqu'il ne faille pas se faire d'illusions sur le jeu des dépendances. C'est vrai aussi qu'en politique (comme ailleurs), il faut savoir prendre sa chance. Le tort de Hollande est sans doute d'avoir laissé passer un tour, en 2007, qu'avait saisi Ségolène Royal. Bon, ça restait dans la famille. Mais Hollande avait sans doute été perturbé par les primaires qui avaient cassé la tradition de candidature automatique du premier secrétaire du Parti.

La candidature annoncée de Macron résulte probablement du mythe présidentialiste qui règne actuellement. Avec la rengaine gaullienne de la rencontre d'un homme et du pays, les élections présidentielles sont devenues un grand oral de Sciences-po sous la houlette des journalistes. Les médias orchestrent la politique spectacle à coup de petites phrases pour dégommer les adversaires (ou les alliés) et faire le buzz. Ça dure depuis un moment à la télé, Internet ne fait que prendre la suite en amplifiant à peine le phénomène. La vraie nouveauté est que le public peut participer directement avec une audience globale. C'est sur ce plan que les médias audiovisuels ont du mal à suivre avec des questions de téléspectateurs qui sonnent un peu trop arrangées.

Emmanuel Macron arrivera-t-il à capter le buzz pour monopoliser l'espace médiatique et remplacer les prétendants attitrés des partis politiques, comme Trump l'a fait aux USA. C'est assez bien parti pour lui. Outre les vacheries de ses anciens petits camarades de gauche, il a déjà reçu l'aval des attaques de Sarkozy, Juppé ou Bayrou, qui trouvent qu'il marche trop sur leurs plates-bandes. Macron n'est pas aussi lisse que le dit la gauche tradi. Il s'est déjà opposé au président et au Premier ministre sur la déchéance de la nationalité et sur la laïcité agressive. Son libéralisme pragmatique pourrait bousculer les habitudes. Contre leur polarisation habituelle écartelée entre la gauche et la droite, Macron pourrait réconcilier le monde du travail du privé et du public sur des solutions pratiques. Il faudra qu'il s'y prenne un peu mieux que dans les deux épisodes précédents.

Macron dénonce déjà la politique du pire de tous ceux qui jouent la carte du FN pour bénéficier du ralliement républicain. Mais c'est quand même la configuration qui se profile. On va vers plusieurs candidatures à gauche, avec Mélenchon qui rêve du modèle grec de Tsipras. Le seul problème est d'être au second tour, et l'opposition de la gauche de la gauche au PS officiel exclut l'union des gauches pour le moment. Macron pourrait être le troisième homme s'il trouve des soutiens qui abandonnent le navire de la gauche en train de couler. Mais c'est un peu tard pour démarrer.

Jacques Bolo

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