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Politique / Europe - Juillet 2016

Un Brexit pour rien... Ou pas ?

Résumé

Les adversaires de l'Europe, avec le Brexit, ont provoqué un test grandeur nature. Il va leur falloir en assumer les conséquences, à moins qu'ils souhaitent que rien ne change. Une redéfinition de la démocratie est en cours.

Le vote britannique du 23 juin 2016 pour la sortie du Royaume-Uni de l'Union européenne a apparemment surpris tout le monde. On se demande bien pourquoi ! Non que le résultat ait été assuré. Justement, il était incertain dès le départ, plus ou moins à 50/50, même si les adversaires du Brexit étaient sans doute trop confiants, comme la suite l'a montré. On avait également connu ça avec le référendum français sur le Traité constitutionnel européen de 2005 qui a donné le même résultat pour les mêmes raisons. L'opposition à l'Europe de Bruxelles, pour de multiples causes parfois opposées, est devenue un moyen de contester la classe politique en général, les décisions spécifiques de l'UE, ou simplement de manifester un mécontentement diffus ou intéressé.

La première anomalie de ce référendum britannique résidait dans le fait que le Premier ministre anglais qui l'avait proposé, David Cameron, était lui-même opposé au Brexit. On pourrait le créditer d'un respect de la démocratie. Mais tout le monde sait bien qu'il ne s'agissait que d'une promesse électorale pour attirer les voix des opposants à l'UE au moment de son élection à ce poste. Il a tenu sa promesse. Bon. Mais ce n'était pas sa politique personnelle et il n'aurait pas été élu s'il avait dit ce qu'il pensait de cette question.

La situation est d'ailleurs la même pour les opposants à l'UE. Ils ont gagné, mais il n'y a pas de « plan B », comme pour le précédent français du Traité constitutionnel. Le leader du Brexit, Boris Johnson, a jeté l'éponge pour le poste de Premier ministre, laissé à Theresa May, pourtant une adversaire du Brexit. La réalité est simplement que les politiciens font des coups pour favoriser leur carrière en disant n'importe quoi. Les électeurs croient ou font semblant de croire que le contenu importe et se plaignent ensuite que les politiques ne respectent pas leur parole. La réalité est plutôt qu'ils demandent qu'on leur mente. Le principe réel de la politique est le fameux TINA de Margareth Thatcher : « There is no alternative ! » parce que les marges de manoeuvre des politiques sont faibles et que « l'État ne peut pas tout » comme disait Lionel Jospin. Ceux qui croient le contraire se trompent.

L'affaire du Brexit a montré immédiatement l'absence d'alternative (à part évidemment celle de qui est élu à la place d'un autre). La première question n'est pas de savoir si la sortie de l'UE pour la Grande-Bretagne va être positive ou non. Elle s'est manifestée dès le lendemain du résultat. Outre les détails techniques des délais ou des modalités pratiques, avec les paradoxes que le Royaume-Uni devait immédiatement prendre la présidence tournante (à laquelle il a renoncé) ou que les députés britanniques allaient continuer à voter des lois européennes, la question s'est donc posé de devoir renégocier tous les traités définissant les rapports avec l'UE. Le but étant de provoquer le moins de chaos possible, ce qui est légitime, mais qui revient au final à ne rien changer. C'est quand même un problème.

Et c'est bien ça la position de la Grande-Bretagne depuis son entrée dans l'UE. Elle veut bénéficier des avantages sans que cela ne lui coûte rien sur le mode thatchérien : « I want my money back ! » Cela peut être légitime sur le principe qu'une participation à un ensemble suppose d'en avoir pour son argent. Mais ce sont effectivement les contraintes de la copropriété de devoir se soumettre aux règles de la majorité. Parfois les décisions correspondent à ce qu'on souhaite, parfois non. L'argument que ce sont des technocrates qui les prennent ne fait que déplacer le problème. Outre que ce sont les technocrates ou les lobbies de chaque état, la banale réalité est qu'il est difficile de mettre tout le monde d'accord. Plus on est nombreux, plus c'est difficile. Et ça crée des discussions à n'en plus finir et la bureaucratie qui va avec.

Je disais récemment que c'était justement le propre de la position anglaise sur l'UE : « Les politiciens anglais ont toujours joué à critiquer la bureaucratie européenne et à menacer de quitter l'Europe. On en est toujours là avec la question du Brexit. Le modèle français consistait plutôt à accuser l'Europe de n'importe quoi, y compris de ce dont elle n'était pas responsable, parce que les politiciens français sont beaucoup moins sérieux que les Britanniques. Leur pratique correspond plutôt à celui des agriculteurs français qui se plaignent de l'Europe qui les gave pourtant de subventions (d'où les récriminations justifiées des Britanniques). » Progressivement, les Britanniques se sont mis « à accuser l'Europe de n'importe quoi » en obtenant toujours davantage, puisque ça marchait. Mais le fond du problème est de vouloir les avantages de l'intégration à l'UE sans en avoir les inconvénients. On a vu que c'est ce qui s'était passé avec la Suisse, qui ne fait pas partie de l'Union européenne, et qui a fait un référendum contre les immigrés européens, contrairement aux traités qui autorisent la circulation réciproque. L'UE a plus ou moins laissé courir à l'époque (je ne sais pas bien où ça en est actuellement). Les partisans du Brexit veulent la même chose à propos des Polonais, par exemple, en espérant que ça va passer en douce.

C'est ici que le bât blesse. Le Brexit risque de changer les choses parce que le Royaume-Uni est un grand pays. Une solution pratique pourrait être de lui accorder rapidement le statut de la Suisse ou de la Norvège pour qu'il y ait le moins de dégâts possible. Mais justement, ça risquerait de se voir un peu trop que sortir de l'UE ne change rien. Il va bien falloir faire quelque chose, au moins pour la forme. On a vu François Hollande pousser à agir vite, soit pour cette raison, soit qu'il espère qu'il y aura des conséquences négatives et que ça lui profitera contre les souverainistes (de l'extrême droite à l'extrême gauche) pour les présidentielles de 2017.

Car le problème concret est effectivement qu'on peut en conclure que l'UE ne sert à rien. Les institutions européennes sont un lieu de discussion des règles communes entre ses membres ou avec l'extérieur. S'il y a trop d'exceptions ou de discussion au cas par cas internes ou externes, il ne s'agit que d'un local pratique mis à disposition pour des discussions et non d'une instance de décision. Ce n'est pas plus mal. Mais il faudrait le dire pour ne pas se faire d'illusion, dans un sens ou dans l'autre.

Là où la notion de Brexit est idiote, comme celle de souverainisme, c'est que ces discussions doivent donc bien avoir lieu de toute façon. Contrairement aux rengaines à propos des normes imbéciles décidées par la commission européenne, il faut bien qu'on définisse les appellations et les standards dans le cadre des échanges. J'ai déjà eu l'occasion de dire que l'idéal protectionniste de certains correspondait simplement à un impensé de la situation coloniale qui garantissait des débouchés dans un marché captif. En situation de libre échange, entre des États souverains (justement), il est nécessaire de définir des règles sur un pied d'égalité. L'idée implicite des souverainistes est que le rapport de force peut leur être favorable comme pour les anciennes colonies. Mais ce n'est plus la situation actuelle. L'UE visait à constituer, précisément, un rapport de force suffisant contre les superpuissances américaines, chinoises, russes, l'OPEP, les multinationales, etc. L'idée actuelle est que l'Europe est impuissante ou complice de ces entités. On ne voit pas comment des pays isolés pourraient leur résister grâce à leur unique « volonté populaire » : si les hyperpuissances de ce temps peuvent acheter les parlementaires ou les fonctionnaires européens, ils pourront aussi se payer les rois-nègres locaux. Il ne faudrait surtout pas oublier que ce sont les mêmes !

Je parlais l'an dernier aussi de la nouvelle tendance politique payante qui consiste à jouer les cons. Elle finit immanquablement par encourager la connerie. On le voit avec les Tea parties aux USA et avec l'extrême droite un peu partout en Europe. On sait que les partisans du Brexit ont dit n'importe quoi. Le seul argument des souverainistes qui se croient intelligents était que les partisans de l'UE jouaient sur la peur. Mais la question de la peur des conséquences n'est pas fausse : soit cela ne change rien pour les raisons précédentes puisque des accords sont nécessaires (et qu'éventuellement l'UE n'ose pas provoquer une crise), soit il y a des risques et il faut savoir qui en assumera les conséquences ? Le peuple souverain ? Quand on change les choses pour voir ce que ça fait, on risque gros si ça ne marche pas. C'est trop tard. Le vin du Brexit est tiré. Il va falloir le boire jusqu'à la lie.

La première conséquence annoncée était la promesse d'un nouveau référendum sur l'indépendance écossaise, voire sur celle de la partie catholique de l'Irlande du nord. Cette conjecture a été renforcée par une observation statistique intéressante sur les résultats électoraux. Il s'avère que les jeunes, les Londoniens ou certaines régions spécifiques donc, étaient très majoritairement opposés au Brexit. Ce genre de différences est plus ou moins toujours le cas selon les élections et les sujets et ce n'est donc pas un problème en soi. Mais s'il est question d'un référendum sur la sortie d'une union politique, cela permet donc de justifier d'autres sorties, au moins pour les entités géographiques. Le fameux « plébiscite de tous les jours » de Renan (auquel j'ai déjà fait un sort) marche dans les deux sens. Concrètement, la partie catholique de l'Ulster, l'Écosse, une partie du Pays de Galles et Londres pourraient tout aussi bien rester dans l'UE. Le vrai enseignement de ce référendum est qu'on peut remettre en question une unité politique territoriale. On peut déjà revenir sur n'importe quelle loi, n'est-ce pas ?

Certaines conséquences concrètes sont prévisibles. Les investisseurs étrangers qui comptaient implanter des entreprises au Royaume-Uni pour pénétrer le marché européen ne vont plus le faire. Ça, c'est acquis. Un certain nombre de celles déjà installées ou des entreprises britanniques vont se délocaliser pour la même raison. Le Brexit pourrait aussi poser la question de l'usage de l'anglais comme langue commune de fait. Ce qui favoriserait l'usage du français ou de l'allemand, avec quelques effets statistiquement marginaux mais réels pour les personnes ou entreprises concernées.

La question se pose pour l'emploi des immigrés (européens, pour une fois) et de leur situation sociale au Royaume-Uni ou celle des résidents britanniques dans l'UE. On peut aussi imaginer les conséquences d'une indépendance de la Catalogne (ou même de la Corse, surtout du fait qu'il y a beaucoup plus de français d'origine corse sur le continent qu'en Corse). Les anciens Européens (anglais, catalans, corses...) auront-ils un permis de travail, de séjour, toucheront-ils leur retraite dans les mêmes conditions ? L'intérêt de la situation, puisque n'importe quel pays peut donc quitter un ensemble comme l'UE, est d'inciter à définir des droits égaux ou, précisément, des accords internationaux permettant de les transférer plus facilement. Ce qui revient bien à l'appartenance à une « union » douanière ou sociale qui tardait à se réaliser. Ce point est général, car on peut supposer un peu hâtivement qu'on a certains droits, en tant que travailleur ou touriste étranger, alors que ce n'est parfois pas le cas. Et ce serait bien qu'on en soit averti ou que ça évolue une bonne fois pour toutes, au niveau mondial de préférence.

Outre qu'un changement a forcément un coût, les conséquences risquent d'être négatives comme les économistes le prévoyaient. Le départ des entreprises ou d'une partie des immigrés, à moins d'un retour des expatriés (ou de l'arrivée d'autres immigrés, ce qui n'a pas de sens relativement aux raisons du Brexit), risque de produire mécaniquement une baisse d'activité et une chute des prix de l'immobilier. Cela pourrait entraîner la faillite des promoteurs et de ceux des acheteurs qui pourraient devoir revendre leurs biens à perte. Il pourrait en résulter une spirale déflationniste. L'option libérale britannique qui refuse les amortisseurs et l'assistanat pourrait déclencher une crise sociale dramatique.

Avec le Brexit, le Royaume-Uni ne pourra pas bénéficier non plus du mutualisme offert par l'appartenance à un grand ensemble. Contrairement à ce que voulaient les souverainistes jusqu'au-boutistes, la Grèce ne souhaitait pas sortir de l'Union. Si cela avait été le cas, elle n'aurait traité qu'avec le FMI (puisque son crédit est nul auprès des banques privées). L'aide intéressée de l'UE a surtout consisté à éviter les faillites des prêteurs et la contagion. Il faut voir quelle est la situation du Royaume-Uni sur ce plan. Après le Brexit, si ça tournait vraiment mal, il pourrait être difficile de revenir simplement à la situation antérieure. Il faudrait que la Grande-Bretagne accepte une intégration plus normale dans l'UE et sans doute de participer à l'euro aux conditions de la Banque centrale. Les partisans du Brexit sont condamnés à réussir ou à bien plus grave que le ridicule initial. Il est probable que les faux-semblants réciproques habituels peuvent aussi masquer encore la réalité quelque temps.

Jacques Bolo

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