L'intérêt principal de la littérature semble être de pouvoir dire tranquillement des vacheries en les plaçant dans la bouche de ses personnages. D'où l'inflation éditoriale. Ce petit roman d'Umberto Eco met en scène un écrivain raté que notre professeur de Bologne d'auteur peut appeler autodidacte puisque son héros n'est pas devenu universitaire. Bonne excuse pour commencer par dénigrer les moeurs académiques avant de s'attaquer à celles de la presse où travaille donc Colonna, touche à tout surqualifié, qui tacle même D'Annunzio comme « mauvais écrivain » (p. 22), dans lequel il reconnaît son propre style médiocre de faux-vrai érudit.
Ce « Numéro zéro » est celui d'un projet de quotidien qui recrute une équipe d'autres rédacteurs précaires pour une magouille destinée aux combinazione d'un industriel véreux. Vision d'une Italie où tout est factice : Eco est aussi l'auteur de La Guerre du faux. Tout cet angle professionnel du livre consistera à exposer les procédés minables de la mauvaise presse ou de la presse tout court pour les mauvais esprits : clichés journalistiques, scandales, astuces des journalistes pour maquiller les opinions en faits ou pour dézinguer les démentis, les insinuations et chantages, les enquêtes bidon... Un véritable manuel de bonnes pratiques qui ne manquera pas d'inspirer tous ceux qui veulent réussir dans cette noble profession. Ce qui nous donne à lire quelques morceaux de bravoure, nous incitant à nous reporter à notre quotidien habituel pour comparaison.
Le paradoxe, qui n'en est pas un, se mesure dans la lucidité et le cynisme de la rédaction dont la culture fait écho [sic] à l'érudition baroque de l'auteur. On sait, depuis Le Nom de la rose qu'Eco abuse volontairement du gongorisme encyclopédique à la grande jubilation du lecteur. La confiture culturelle s'étale pour les cochons qui en redemandent. Ce Numéro zéro nous montre la préparation de la sauce dans l'arrière cuisine. « Les journaux disent aux gens ce qu'ils doivent penser » (p. 109).
L'autre versant du livre confirme qu'Umberto Eco est quand même un peu obsédé par les théories du complot. Cette mise en abîme des errements de l'excès d'érudition est un sésame introspectif. La déformation sémiologique conduit, dans le flot de signes qui submerge l'homme éduqué de la société de l'information, à faire des liens cohérents : « Il suffit de chercher dans les archives » (p. 194). Le Pendule de Foucault exposait déjà cette étrange conséquence intellectualiste.
Cette fois-ci, le complotisme repose sur l'histoire réelle et documentée de l'Italie barbouzarde de la fin de la Guerre froide, hanté par le fantôme d'un Mussolini bien vivant. Chapeau l'artiste ! Fallait oser ! Mais la véritable critique ultime des médias est bien la conclusion désabusée que ça n'intéresse décidément personne. Ça fait juste une bonne histoire, Coco !
Voire ! Le décès concomitant de l'auteur serait-il lié à ces révélations imprudentes ? Ou serait-il toujours vivant, exfiltré discrètement pour échapper aux rétorsions ou... à une célébrité médiatique pesante ?
Jacques Bolo
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