Le clash entre l'essayiste Caroline Fourest et Aymeric Caron, à l'émission « On n'est pas couché ! » (ONPC), expose au grand jour le tour que prend le débat politique en France et dans le monde. Tout se passe à la télé sur le mode de la télé-réalité. C'est la « chose publique ».
Le principe est de chercher l'affrontement plutôt que la résolution de problème. On ne va pas dire que c'est pire qu'avant. D'abord, ça fait un moment que ça dure, mais surtout, par le passé et encore dans beaucoup d'endroits, la situation politico-sociale était et reste plus tendue et les conflits se terminent beaucoup plus mal. Mais poser clairement les bases réelles permet de relativiser. Ceux qui n'aiment pas le relativisme oublient que son contraire est le dogmatisme. Les conséquences qui en découlent sont exactement le sujet.
Au fond, l'affaire est assez simple et banale. Invitée à l'émission animée par Laurent Ruquier pour son livre Eloge du blasphème, à propos de l'attentat contre Charlie hebdo et ses suites, Caroline Fourest n'a pas supporté qu'on commence par la critiquer, comme c'est pourtant l'usage dans cette émission. J'avais déjà parlé de cette pratique à l'époque des précédents flingueurs, Zemmour et Naulleau. Ça changeait de la promo habituelle. Et Caroline Fourest a sans doute un peu trop l'habitude qu'on l'invite pour l'encenser, comme ça s'est d'ailleurs produit immédiatement après sur une autre chaîne, comme pour compenser. Elle devrait se demander pourquoi...
Sur le fond, Fourest n'avait pas complètement tort non plus. Elle vient pour parler de son dernier livre, et Caron lui a ressorti un conflit juridique qui l'a opposée à une jeune musulmane dont elle avait contesté l'agression. Ça avait quand même un lien. Fourest avait été condamnée. Caron le lui a rappelé. Elle n'a pas du tout apprécié, s'est mise en colère en disant qu'elle venait parler de son livre, et a traité Caron de con, ce qu'il n'a pas apprécié non plus. Chacun restant sur ses positions, Ruquier a tranché en demandant à Fourest si elle avait été condamné. Elle a dit qu'elle avait gagné son procès. Et l'assistance a hué Caron.
Après vérification, il s'est avéré que c'était faux. Ruquier a fait une déclaration solennelle disant qu'il n'inviterait plus jamais Caroline Fourest. Un problème annexe résidait dans le fait que l'émission était enregistrée et que le mensonge était donc connu au moment de la diffusion. Mais la polémique avait déjà fuité. Il était raisonnable de diffuser l'émission : outre qu'il aurait fallu en refaire une autre, la pub de la polémique a incontestablement attiré du monde. Moi le premier, puisque je ne regardais plus cette émission depuis assez longtemps.
Caroline Fourest s'est défendue ensuite en disant qu'elle n'avait pas été condamné, puisque après l'appel, la partie adverse a laissé passer un acte de procédure et la condamnation n'a pas été confirmée. Il est quand même faux d'affirmer qu'elle avait gagné comme le fait Fourest, même si elle s'en est excusée en déclarant qu'elle n'était pas juriste. Mais elle a aussi l'habitude d'être attaquée et a des avocats très compétents, comme on le voit.
L'affaire dans l'affaire est ici l'agression la jeune fille. La contester parce que c'est une musulmane traditionaliste n'est pas correct. L'ironie réside dans le fait que Fourest avait publié un billet du 25 septembre 2014 : « Amina enfin honnête » qui parlait de la fausse agression alléguée par une femen à qui Fourest avait envoyé « un message de soutien comme féministe » avant « d'attendre d'en savoir plus avant d'écrire sur cette affaire comme journaliste ». Schizophrénie bien utile. L'argument de Caron était bien que Fourest n'avait pas attendu pour contester l'agression de la musulmane traditionaliste, en considérant qu'elle était manipulée par son père. Savoir si c'est la journaliste ou la féministe qui parlait n'est pas facile...
La solution est simple, et on la connaît. Fourest est avant tout une militante. Le problème que soulignait l'autre intervenante de l'émission de Ruquier, Léa Salamé, était que les antiracistes sont divisés sur la question de l'islam. Et Fourest représente la tendance républicaine-laïque dont j'ai démontré qu'il s'agit plutôt d'une affiliation « jacobine » dans la lignée de la révocation de l'Édit de Nantes.
« La République a toujours eu tendance à imposer la dictature de la majorité et beaucoup de mal à traiter la question des minorités. Espérons que cela ne finira pas mal, comme la dernière fois. Plutôt que « À Rome, fait comme les Romains », cette affaire peut se comprendre [en latin dans le texte] comme « Cujus regio, ejus religio ». Ce qui impose d'adopter la religion du prince et qui justifiait qu'on expulse les juifs ou les protestants (expulsion des juifs et des musulmans par Isabelle la catholique en 1492, révocation de l'Édit de Nantes en 1685, etc.). Cette idéologie identitaire est bien celle de l'extrême droite. [...]
« Ce qui est supposé être les valeurs de l'Occident, consiste en fait dans la possibilité de discuter et d'essayer de convaincre pour diffuser les Lumières. Encore faudrait-il entamer le dialogue. Ce qui suppose aussi de n'avoir pas que des arguments bidon, ou d'avoir une confiance suffisante dans ses valeurs pour penser qu'elles sont fondées 'en raison'. » (in Ne parlons plus de la burqa,... parlons du niqab !)
Justement, une autre curiosité nous est donnée par l'actualité. Décidément ! Un des groupes auquel s'oppose Caroline Fourest, souvent mentionné dans ses écrits, les Indigènes de la République, fêtait son dixième anniversaire. À cette occasion, ils ont eu une invitée de marque dans la militante noire américaine Angela Davis. On peut supposer que cette dernière est aussi compétente sur le sujet que Fourest. En fait, les « Indigènes » incarnent la tradition gauchiste anticolonialiste-antiraciste sur le mode des années 1950-1970, alors que Caroline Fourest incarne la tendance militante médiatique des années 1980-2010, style Greenpeace ou les mouvements gays, dont le dernier avatar est le groupe des Fémens (dont la spécialité est d'être un groupe de jeunes femmes manifestant les seins nus barbouillés de slogans).
Je suis personnellement autant partagé sur le côté rétro du gauchisme idéalisant la lutte armée que sur les provocs symboliques. Dans les deux cas, le résultat n'est souvent qu'une instrumentalisation politicienne, que ce soit, côté violents, par une infiltration par des provocateurs (depuis les attentats anarchistes du début du vingtième siècle), ou que ce soit par la récupération publicitaire contre les autres mouvements, comme c'est précisément le cas de la tendance Fourest (mariage gay ayant permis la réélection de Bush, fausse laïcité contre les musulmans en France). Même Caroline Fourest s'en était inquiétée en 2009.
Le problème spécifique de Fourest est plutôt qu'elle pratique aussi les techniques gauchistes d'élimination des groupuscules concurrents les plus proches. Dans son cas, elle amalgame simplement les gauchistes antiracistes pro-arabes et pro-palestiniens avec les terroristes et les islamistes. Elle et toute la bande de Charlie hebdo, à laquelle elle a appartenu un moment, sont traités en retour de racistes ou d'islamophobes par les autres, qui lui ont décerné plusieurs fois des « Yabon Awards ». On voit aussi, si on en doutait, que tout le monde a bien assimilé la stratégie médiatique.
Ces deux stratégies groupusculaires classiques sont évidemment biaisées, et c'est la limite habituelle des militants politiques qui consiste mentir pour enfoncer les adversaires. Ça, c'est banal. Le mécanisme fondamental consiste à sélectionner par ce moyen les militants à l'esprit partisan ou discipliné qui veulent bien répéter des mensonges pour grimper dans la hiérarchie, ou sélectionner les gogos qui les croient. Ça finit en lynchage des dissidents. La critique du stalinisme n'a pas été assimilée. Pourquoi se gêner puisque ça marche.
Les gens de Charlie, Fourest y appartenait au début des années 2000, ne sont évidemment pas racistes et leurs critiques de l'islam ne sont pas islamophobes, puisqu'ils s'attaquent à toutes les religions sans exception. Caroline Fourest, elle-même, est notoirement une adversaire acharnée des traditionalistes chrétiens. À la rigueur l'islam est davantage visé du fait de l'actualité (NB. Les stats qui ont été faites par des universitaires pour le démentir, sur les seules couvertures de Charlie hebdo, n'ont méthodologiquement aucune valeur). La bande à Charlie ou Caroline Fourest ont cependant le tort de s'opposer au terme « islamophobie » en prétendant l'utiliser avec le sens de « critique de l'islam ». Cette leçon de français aux « indigènes » est d'autant plus mauvais goût qu'elle est fausse (comme le sont souvent ces habituels délires étymologiques, et comme je l'ai montré dans un article sur le sujet).
On a vu avec la réaction de Ruquier que le public réagit mal quand se révèlent le mensonge ou les procédés d'avocats qui servent d'excuses. C'est ce qui distingue les gens normaux des politiciens. Pour la politique, la question n'est pas de faire des analyses correctes, mais d'éliminer l'adversaire (et souvent celui de son propre camp). Mais en matière de lutte contre le racisme, la question de l'efficacité est conditionnée par la qualité des analyses. Sinon, on se paye de mots. Et c'est de la politique.
De leur côté, les militants gauchistes auraient tort de prêter le flanc à la critique contre l'islamo-gauchisme ou les rouges-bruns. C'est la situation classique de ceux qui subissent le racisme : ils sont acculés à une position de résistance qui peut les conduire au casse-pipe. Il leur faut aussi actualiser leurs analyses. Le modèle anticolonialiste ne correspond plus à la réalité. Mais, ironiquement, la prétention des autres, dont Fourest, à prétendre parler à leur place relève précisément de l'attitude coloniale condescendante (ou même stigmatisante) qui a motivé l'emploi de l'expression « indigène de la République ». Le problème est que c'est parfaitement inadéquat comme nom de mouvement politique, même si c'est donc une bonne analyse des comportements réels. C'est cette pertinence formelle qu'il faut revendiquer, et non jouer le rôle auquel on est assigné.
La pratique de Fourest, qui a sans doute un penchant personnel un peu directif, consiste à se poser en donneuse de leçon. Elle a le mérite personnel d'un engagement militant opiniâtre depuis plusieurs années. Ses opposants ont le tort de lui contester cette expérience sur la durée. Mais elle ne peut pas avoir raison toute seule. D'autant que ses compétences sont d'autant plus limitées qu'elles s'inscrivent dans cette stratégie partisane qui la conduit à falsifier la réalité, comme dans le cas de sa condamnation.
Fourest n'a pas tranché entre la pratique militante (féministe, gay) et professionnelle (journaliste, universitaire) dont elle n'a pas vraiment le statut. Mais ceux qui l'ont et la critiquent sont le plus souvent aussi militants qu'elle et leurs analyses ne sont pas forcément plus exactes. Quoi qu'il en soit, elle ne possède pas la légitimité discrétionnaire à laquelle elle prétend, ni celle des institutions sur lesquelles elle s'appuie et qui ne l'ont précisément pas davantage en ce qui concerne le racisme en France.
Finalement, les débats entre chapelles militantes sont toujours dérisoires. Avec cette affaire Fourest-Caron, on voit en plus que ça passe mal à la télé. La stratégie de Caroline Fourest qui consiste à utiliser les médias pour régler leur compte à ses concurrents est contre-productive. Elle renforce simplement les réseaux alternatifs comme vrai lieu du débat. Les médias contemporains comme Internet, ou les nombreuses chaînes de télé, mettent la parole de chacun au même niveau, il suffit de faire le buzz.
Mais le combat antiraciste n'est pas une question d'affichage médiatique. Il faut faire une analyse correcte. Pour les actes racistes, la situation actuelle résulte simplement de l'absence de leur répression depuis plus de trente ans.
Jacques Bolo
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