Intéressant documentaire d'Audrey Valtille (produit par Agat Films de Marc bordure et Robert Guédiguian), sur Soir 3, le 27 avril 2015, à propos de l'épisode terroriste de l'Asala (Armée secrète arménienne pour la libération de l'Arménie).
Dans la dizaine d'années suivant la commémoration du cinquantenaire du génocide des Arméniens, commis en 1915 par le gouvernement « jeune-turc » en marge de la participation de la Turquie à la Première Guerre mondiale, la jeune génération arménienne a été sensibilisée à cette question qui avait été longtemps occultée par leurs parents ou grands-parents, sur le modèle des juifs rescapés des camps. Cette jeunesse était fortement politisée en écho aux luttes anticolonialistes, à la fin de la Guerre du Vietnam, à Mai 68, et tout spécialement à la résistance palestinienne. Créée au Liban, où une forte communauté arménienne était installée, l'Asala exigeait la reconnaissance du génocide et la restitution par la Turquie des territoires d'où les Arméniens avaient été déportés.
De 1975 à 1985, l'Asala s'est d'abord attaquée à des représentants de la Turquie un peu partout dans le monde et s'est progressivement radicalisée en passant à un terrorisme plus aveugle. Une centaine d'attentats seront commis et quarante-six morts en résulteront en dix ans. Les actions plus symboliques visant la Turquie se sont transformées en pose de bombes aveugles, à Paris, place Saint-Michel ou à Orly. À l'époque, l'habitude s'était prise de sous-traiter le terrorisme pour d'autres organisations moyennant finance (le militant interviewé parlera d'un million de dollars de l'Arabie Saoudite).
La cause de l'Asala a bénéficié plus particulièrement de la vitrine de deux procès notables, celui d'Alec Yenikomshian, en Suisse, qui avait été blessé par la bombe qu'il préparait. Il écopera de dix-huit mois de prison, ce qui scandalisera la Turquie. Au cours du procès des preneurs d'otage de l'ambassade turque de Paris, qui bénéficieront du témoignage de Mélinée Manouchian (épouse de l'inoubliable Missak Manouchian de l'Affiche rouge) le président du tribunal interdira l'emploi du terme « terroriste », au prétexte qu'il avait été forgé par Goebbels contre les résistants. Les militants de l'Asala seront condamnés à sept ans de prison.
Le politicien de droite Patrick Devedjian était l'avocat de l'Asala en France. Il rappelle que ses clients n'étaient vraiment pas de son bord politique et fera une remarque intéressante sur l'intégration des Arméniens en France, contre l'illusion jacobine de la dissolution des différences. Myriam Gaume-Chiragossian rappellera l'engagement anti-impérialiste communiste dominant à l'époque.
Le tournant terroriste radical fractionnera le mouvement. Des clans se formeront et Agop Agopian, le dirigeant historique qui avait entraîné le mouvement dans cette voie, à partir de son expérience pro-palestinienne, sera assassiné. Le documentaire restitue bien le débat, crucial à cette époque, de la question de la lutte armée, de ses choix, de son marketing médiatique et de ses relais politiques, dans le MNA (Mouvement National Arménien) pour la France. Si le mouvement s'essoufflait sur la durée et de par ses divisions, la conclusion sera apportée par la fin de l'URSS qui a permis une renaissance de l'Arménie indépendante et le reclassement de « terroristes à la retraite ».
Le bilan tiré par les participants au documentaire est mitigé. La reconnaissance du génocide est acquise internationalement, mais le Turc Ahmet Insel constate que son pays s'est d'autant plus braqué sur la question qu'il a subi ces attaques contre ses ressortissants. Le journaliste Charles Villeneuve, dont la mère est arménienne, concédera que la France n'assume pas non plus tout ce qu'elle a fait dans son empire colonial. Et finalement, Devedjian admet que la reconnaissance finira par gagner en Turquie par la progression de l'ouverture et du discernement au sein de la société civile. Ce qui fait assez bien le tour de la question en apportant une relativisation intéressante de la part de ceux-là mêmes qui ont un attachement personnel à la chose.
Jacques Bolo
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