La crise en Ukraine s'éternise. De nouveaux clivages à contre-emploi se manifestent. Les Américains et les Européens soutiennent l'Ukraine contre la Russie en passant allègrement sur l'extrême droite néo-nazie locale qu'ils condamnent en Hongrie, alors que la même extrême droite française soutient la Russie de Poutine, avec l'appui de l'extrême gauche. On soupçonne quand même les Américains de poursuivre une stratégie d'encerclement de la Russie sous l'influence de nostalgiques de la Guerre froide.
La situation n'est pas très claire sur les conflits de pouvoir internes entre les russophones de l'est et les ukranophones de l'ouest, sur fond de corruption et d'oligarques dans les deux camps. Dans ce genre de situation, les élites se disputent l'hégémonie à coup de clientélisme. Au final, elles risquent de tout perdre. Avec le « Winner takes all », on comprend que la tension soit à son comble et tourne à la guerre de gangs. La fonction de l'État est d'assurer un cadre de vie acceptable en pacifiant les affrontements. Ce n'est pas ce qui se passe.
La base ethnique mélangée issue de l'ancienne URSS rejoue la situation des minorités russes dans les Pays baltes, en plus grand, et en plus compliqué dans les réminiscences anciennes, de la fondation de la Russie jusqu'à Tarass Boulba, voire avant, avec les Scythes. Le dernier épisode du don de la Crimée à l'Ukraine en 1954, par Khrouchtchev, a été vite réglé par un référendum contesté par les Occidentaux, alors qu'ils tolèrent beaucoup mieux ceux d'Écosse ou de Catalogne, ou ceux qui concernent la sortie de l'influence russe. Le propre de la politique, qui consiste à vouloir jouer un plus malin en faisant deux poids, deux mesures, réduit finalement la réalité à des rapports de forces.
Il semblerait que l'affaire ait commencé sur la question du choix entre l'association à l'Union européenne ou l'Union asiatique que Poutine essaie de construire. Mais là aussi, l'affaire n'est pas très claire dans la crise qui a abouti à la révolution de Maïdan et la destitution de Ianoukovitch en février 2014. L'Ukraine semble vouloir profiter de l'alliance avec l'Union européenne, sans doute pour bénéficier d'aides au développement, comme ce fut le cas pour la Pologne, qui soutient l'Ukraine en ce sens. Or, il est peu probable que ce soit réellement envisagé par l'UE, du fait de la situation économique générale. D'ailleurs, c'est plutôt la Russie qui remplirait les conditions d'entrée dans l'Union européenne.
Mais en dernière analyse, la situation de crise économique ukrainienne, comme chacun sait, réside surtout dans les difficultés du pays à payer sa facture de gaz russe. L'époque où le gaz russe à destination de l'Europe de l'ouest passait à 80 % par l'Ukraine est terminée. Cette source de revenu et ce moyen de pression disparaît. Ce qui est étrange, c'est que l'Ukraine semble vouloir bénéficier des tarifs préférentiels de l'ancienne URSS, ou de la nouvelle Union asiatique de Poutine, tout en faisant partie de l'Union européenne, et en se revendiquant de l'économie de marché. On verra. La période hivernale sera cruciale.
La tension internationale issue de cette crise engendre une situation dont on se serait bien passé dans le contexte international. Les sanctions contre la Russie provoquent des rétorsions de sa part, dont les effets se font sentir sur les agriculteurs européens. Les Occidentaux sont un peu trop optimistes sur ce sujet. Les Européens dépendent de la Russie, comme client ou comme fournisseurs, au moins autant que l'inverse. La Russie était déjà en cours de recherche de débouchés extérieurs, comme la Chine, l'Iran. Toute une série de pays émergents sont encore disponibles.
La diplomatie russe a une carte à jouer pour renforcer son autonomie dans le cadre du multilatéralisme. L'affaire de Syrie pourrait même lui permettre de jouer une carte décisive pour reprendre pied dans la région, jusqu'en Irak et au Kurdistan. Les erreurs des Américains dans cette zone pourraient se terminer par leur débâcle stratégique.
Jacques Bolo
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