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Politique - Juillet 2014

Guerre de comm sur Gaza

Résumé

La guerre, ça tue. Au final, il faut faire le compte des victimes. Mais c'est de la politique par d'autres moyens. Le but des camps en présence est de marquer des points.

La crise a commencé par l'enlèvement et l'assassinat de trois jeunes Israéliens, le 12 juin 2014, puis le lynchage d'un jeune Palestinien par des extrémistes juifs, en représailles, le 2 juillet. Le gouvernement israélien a accusé le Hamas après la découverte des corps des jeunes israéliens le 30 juin. Le Hamas a répliqué en envoyant des roquettes, largement impuissantes contre le bouclier antiroquettes (dit « Dôme de fer »). L'armée israélienne a organisé la riposte. En cette fin juillet, on en était à un millier de morts palestiniens contre une cinquantaine de soldats israéliens tués au combat.

La solidarité internationale s'est organisée contre les bombardements israéliens contre Gaza. Mais la répression a aussi fait de victimes à Paris. Le gouvernement français a interdit plusieurs manifestations. Elles ont quand même eu lieu. Il y a eu des affrontements à la fin des manifs de Paris, à proximité de la synagogue de la rue de la Roquette (le 13 juillet), à Barbès (le 19 juillet) et sur la place de la République (le 26 juillet), et des attaques de magasins juifs à Sarcelles (le 20 juillet). Des manifestants ont été jugés et condamnés à la prison ferme ou avec sursis. Eux, et d'autres, sont aussi des victimes collatérales du conflit. Sauf à en tirer une certaine gloire, leur vie va en subir des conséquences.

L'engagement militant a un coût/bénéfice. La politique est de l'ordre du symbolique. Pour le camp propalestinien, il se joue plutôt sur l'axe du martyre, vu les résultats disproportionnés sur le terrain. Ça peut marcher sur le long terme. On est bien dans une civilisation à tradition chrétienne qui fonctionne originellement sur ce principe (avec les rappels réguliers des canonisations). Mais la situation ne change pas beaucoup en Palestine, et ça fait un moment que ça dure. L'efficacité laisse à désirer. Car la politique vit de « promesses qui engagent ceux qui les croient ».

Israël et les juifs s'inquiètent de cette perspective et s'enferment dans une stratégie de forteresse assiégée (opération « Bordure protectrice »). Si la tactique de condamnation du terrorisme est efficace, les excès des représailles maintiennent la mobilisation de l'autre camp.

Mais l'argument de l'antisémitisme n'est pas valide, spécialement s'il se fonde sur la référence au nazisme (comme c'est toujours le cas). Les juifs jouent avec le feu avec cette accusation. L'antisémitisme traditionnel concernait le rejet identitaire d'une minorité considérée comme étrangère par les populations majoritaires (aujourd'hui, en France, tout le monde sait que cela concerne les Noirs ou les musulmans). S'y ajoutaient des considérations religieuses sur la responsabilité des juifs pour la mort du Christ. Le principe cujus regio, ejus religio, qui exige d'adopter la religion du prince, était aussi la source des guerres de religion. Bernard Lazare s'est servi de cette référence à la Saint-Barthélemy dans Contre l'antisémitisme (1896).

Dans la propagande de guerre que mènent les partisans d'Israël, la référence à la période nazie brouille les raisonnements. Si le but est de résoudre le conflit, une mauvaise analyse, spécialement historique, condamne à la répétition. La politique consiste à marquer des points avec des arguments qui justifient l'emploi de la force. L'objectif consiste à trouver des arguments qui convainquent la majorité silencieuse, qui a toujours une préférence pour le maintien de l'ordre.

On peut aussi considérer que l'affaire de l'antisémitisme est réglée par la jurisprudence Edgar Morin & Cie, qui avaient été condamnés dans un premier temps, avant d'être relaxés et leurs accusateurs condamnés aux dépens. Comme je l'avais dit, la première condamnation reposait surtout sur l'emploi du terme « juif » au lieu d'« Israélien » et sur une apologie du terrorisme consistant à dire qu'ils comprenaient la révolte des Palestiniens devant une situation qui s'éternisait. Les politiques qui condamnent au titre de l'antisémitisme reviennent sur la chose jugée en profitant, cette fois, de l'anonymat des prévenus. Mais les juristes ne sont pas censés ignorer la loi.

Certains arguments partent d'ailleurs un peu dans tous les sens. Jacques Attali a repris l'idée que les populations palestiniennes feraient mieux de s'abriter dans les tunnels que le Hamas creuse pour ses opérations terroristes, sur le modèle des chambres renforcées qui protègent les Israéliens. Outre le fait qu'Israël rationne le béton pour empêcher de les construire, les tunnels sont justement visés par Tsahal, et les armes modernes sont bien plus efficaces que les bombardements de la Deuxième Guerre mondiale dont les populations se protégeaient dans les caves ou le métro. Cette guerre reste le critère de l'imaginaire collectif. Mais les bombardements d'alors avaient une faible précision, avec une marge d'erreur moyenne de huit kilomètres ! C'est ce dont il est question quand on parle de « guerre propre ». Cela ne veut pas dire qu'il n'y a pas de victimes civiles collatérales. Ça signifie que les objectifs des bombardements sont atteints.

Quand on traite de conflits armés, il faudrait connaître un peu mieux les questions militaires. Il s'agit ici d'une guerre dissymétrique qui s'apparente au maintien de l'ordre. C'est le lien avec les manifestations. J'ai parlé ailleurs de l'origine des manifestations. Il ne faudrait pas croire qu'elles n'ont pas d'histoire. La forme naturelle de la contestation serait plutôt l'émeute, qui provoque une répression violente. Le pouvoir, dont on vise le renversement, n'accepte pas cette sanction de la rue. Les émeutes ne réussissent jamais sans l'aide de l'armée.

La nouveauté du procédé de la manifestation consiste à faire une démonstration de force sans avoir à l'exercer (trop) brutalement de part et d'autre. D'où leur inutilité et leur contradiction. Elles reviennent, pour une minorité agissante, à refuser la sanction des urnes, alors même qu'on revendique plus de démocratie, en oubliant la préférence pour l'ordre des majorités silencieuses. L'illusion populiste du pouvoir de la rue correspond à l'antiparlementarisme.

Sur ce principe, la stratégie du Hamas à Gaza, contrairement à celle de l'OLP en Cisjordanie, reste dans la recherche de l'affrontement. Israël joue la division et le pourrissement. Dans ce genre de conflits, ce sont les durs qui mènent la danse en voulant bénéficier de leur radicalité pour s'imposer auprès de leurs troupes. Après avoir tenté de saboter l'accord qui s'ébauchait entre le Hamas et l'OLP, Israël aura toujours beau jeu de prétendre combattre le terrorisme. Car à court terme, un groupe extrémiste peut toujours saboter une amélioration de la situation.

Du fait du déséquilibre des forces, il est possible que seule une contrainte internationale puisse imposer la paix si Israël n'est pas capable de limiter l'usage de sa puissance. C'est difficile d'être juge et partie. Le problème d'Israël est de se faire accepter par les pays voisins. Il y était plus ou moins arrivé avec certains gouvernements, mais la rue arabe, reste sur des positions radicales. C'est aussi cette carte internationale que jouent le Hamas et les manifestants. Mais ça dure depuis cinquante ans et ça peut durer encore longtemps. Des générations ont grandi dans la guerre. Il faudrait essayer d'autres stratégies.

J'ai tendance à considérer, précisément du fait de la durée et de l'évolution urbaine internationale, que la situation d'Israël finit par relever des « gated communities », quelque chose entre le « stade Dubaï du capitalisme » (que j'ai aussi appelé monégasquisation) et le scénario de certains films d'anticipation ultra-violents. C'est sans doute pour cela que les manifestants considèrent qu'il s'agit d'apartheid. L'erreur est de penser que le modèle concerne seulement la question palestinienne. Il faut prendre un peu de recul. Le vrai risque est plutôt qu'il constitue la nouvelle perspective d'organisation sociale, comme réponse à ce type d'interaction.

Au lieu de fonder sa légitimité sur l'affrontement, en fêtant des victoires à la Pyrrhus, le Hamas devrait reconnaître la réalité factuelle d'Israël. Le principe de réalité est un bon principe. La situation palestinienne n'est pas normale, mais il faut toujours traiter les problèmes de la vie courante quand la situation s'éternise. Dans la perspective apocalyptique des révolutions, l'erreur est toujours de considérer qu'on part pour une guerre courte en niant l'existence de tous les autres problèmes.

Mais le lendemain du Grand soir est un autre jour.

Jacques Bolo

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