Le projet de rachat de la division énergie d'Alstom par General Electric a déclenché une crise politique sur le thème du patriotisme économique. La préoccupation est légitime, dans la mesure où la tendance consiste à absorber des entreprises pour faire disparaître des concurrents. Comme le gouvernement s'inquiète pour l'emploi, ça tombe plutôt mal. L'alternative envisagée de faire un champion européen en préférant un rachat par Siemens aggrave la situation, puisque les doublons seraient plus nombreux. General Electric promet de conserver les emplois, mais ce genre d'engagement n'est généralement valable que pour quelques années. Le gouvernement semble coincé.
Sur le principe, il est toujours possible de conserver des emplois, dans la mesure où un industriel peut avoir besoin de plusieurs sites de production, pour pénétrer les marchés locaux. Il serait possible d'envisager des accords internationaux qui garantiraient une production locale pour chaque grande zone. C'était la solution envisagée en 1925 par Gaston Lévy (cf. Le socialisme et les relations économiques internationales). Mais actuellement, la demande peut se trouver surtout dans les pays émergents et s'y délocaliser plus ou moins rapidement.
La difficulté actuelle réside dans le fait que même un champion national ou européen ne garantit absolument pas le maintien de l'emploi. Comme je l'ai rappelé récemment, au cours des dernières décennies, l'emploi industriel a surtout reculé du fait de la croissance de la productivité (cf. CGT :
« Il y a quarante ans, 110 000 personnes travaillaient à la Régie Renault. Aujourd'hui, elles ne sont plus que 45 000 pour réaliser cinq à six fois plus de véhicules par salarié. »). Il faut se rappeler que le monde n'est certainement pas moins industriel qu'avant. Par contre, aujourd'hui, l'industrie est globalisée là où la période de la reconstruction de l'Après-guerre concernait surtout les marchés intérieurs (dont le marché colonial, pour la France). C'est à cette mondialisation que les industries doivent se préparer. Cela remet en question l'idée de contrôle par l'État, puisqu'une entreprise nationalisée peut être exclue des marchés étrangers (même si ce genre de principe est souvent contourné).
La décision du PDG, Patrick Kron, de se débarrasser de la division énergie d'Alstom, sous prétexte qu'elle plomberait le cours de bourse, semble exclure toute extension du marché, qu'envisage pourtant General Electric. C'est étrange. Considérer que le secteur de l'énergie n'est pas prometteur quand il est tant question de transition énergétique, montre l'absence de toute stratégie industrielle à long terme. Kron s'intéresse trop au cours de bourse, ce que ne semblent pas faire les Américains, pourtant réputés court-termistes.
Il est possible aussi que le dénigrement de l'écologie par les industriels français contribue à faire rater le coche. Mais du côté des écologistes, excepté la piste des économies d'énergie, la tendance à une approche quasi uniquement contestataire ne prépare pas au choix de nouveaux investissements industriels. Depuis les années soixante-dix, les écologistes auraient pu participer au lancement de nouvelles filières industrielles au lieu de ne concevoir leur engagement que sous l'angle de la politique. C'est un biais de la gauche française, par anticapitalisme et par étatisme.
Le cas Alstom est symptomatique. Quand on fabrique des turbines, il est évident qu'on a un rôle à jouer dans la transition énergétique. En attendant que les nouvelles technologies (solaire, éolien, autres) soient plus efficaces, la seule véritable énergie vraiment renouvelable et déjà opérationnelle est l'hydraulique. Mais les écologistes sont souvent également opposés à de nouveaux barrages, qui ont tendance à jouer sur le gigantisme, avec des inconvénients pour les populations locales, des risques d'envasement et des possibilités catastrophiques de rupture (surtout dans les zones à forte incidence sismique).
L'hydraulique pourrait pourtant fournir une alternative immédiate. Au lieu de concentrer la production dans des barrages géants avec de gigantesques turbines, il suffirait de disposer les turbines en séries, le long d'une conduite pour répartir la production en la déplaçant sur les sites de consommation. L'avantage d'un réseau sur le principe de la circulation sanguine est de conserver le débit et de pouvoir fractionner la production électrique. Le nombre de turbines est potentiellement infini et l'énergie est inépuisable. Contrairement aux grandes manoeuvres industrielles ou protectionnistes, c'est ce genre de perspectives qui constitue une véritable politique industrielle pour traiter la question de l'energie.
Jacques Bolo
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