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Sciences - Mars 2014

L'évolution de l'évolution

Résumé

La vulgarisation scientifique tourne souvent au sensationalisme, à la scolastique ou à l'argument d'autorité, plutôt qu'à la véritable explication rationnelle. Et c'est sans doute cela la vraie raison du succès, quand même significatif, des opposants à la science.

Dans un entretien sur le blog du Monde de Pierre Barthélémy : « Huit questions pour en finir avec les clichés sur la théorie de l'évolution », le 19 mars 2014, Jean-Sébastien Steyer, paléontologue au CNRS rattaché au Muséum national d'histoire naturelle, se livre à une tentative de rectification des connaissances. L'adversaire facile du créationnisme fournit une excuse à une dramatisation journalistique un peu vaine.

Ce qui est certain, c'est que les connaissances évoluent. C'est bien ce qui caractérise la science par rapport aux dogmes (qui évoluent aussi, mais en essayant de le masquer). Ce que nous rappelle Steyer sur les représentations successives des dinosaures, d'une sorte de lézards patauds aux ancêtres des oiseaux, en est le meilleur exemple.

Steyer insiste surtout sur le rôle du hasard contre le finalisme, qu'il s'agisse des fonctions, de la complexité ou de l'orientation par un dieu. Il n'est pas forcément très cohérent quand il conteste une fonction en la justifiant par une autre (« les plumes ne sont pas apparues pour le vol, mais elles permettaient aux dinosaures de maintenir leur chaleur corporelle »).

La limite de ces rectifications relève un peu de rengaines : « Darwin (...) n'a jamais écrit que l'homme descendait du singe, mais que l'homme et le singe avaient un ancêtre commun ». Contrairement à ce que prétend Steyer, la différence n'est pas de taille. On peut la comprendre comme une façon différente de parler, simplement plus précise. Mais la précédente reste compréhensible, au moins dans une perspective historique. Le scandale Darwin s'est longtemps formulé « l'homme descend du singe » et ce n'est pas la peine de pinailler. Comme l'inexactitude est contemporaine de Darwin, on peut la comprendre comme une formule-choc décrivant le traumatisme que la théorie de l'évolution a représenté.

Steyer récuse aussi l'idée que le coelacanthe n'est pas un « fossile vivant » parce qu'il serait plutôt question de « taux d'évolution » différents : « on parle alors de formes panchroniques (littéralement « qui traversent les âges ») et non plus de fossiles vivants… » Encore une différence qui ne me paraît pas « de taille » (admettons qu'il s'agit d'un tic verbal de Steyer).

De même : « Nous ne parlons donc plus de 'sortie des eaux' mais de 'terrestrialisation' » ! Espérons que les créatifs sont bien payés pour cette innovation. Quant à : « Enfin, en terme de physiologie, on peut se demander si nous sommes réellement 'sortis des eaux' avec un corps composé à 60 % d'eau… », j'avais déjà eu l'occasion de dire, pour des propos de ce genre, qu'il y avait des baffes qui se perdaient (à propos d'eau dans les aubergines).

Steyer se crée des adversaires qu'il a un peu tendance à considérer obscurantistes, comme les créationnistes, même quand il ne parle que de la simple évolution des connaissances paléontologiques elles-mêmes. Il ne devrait pas tant critiquer « l'esprit humain, féru de causalité » qui a quand même permis la connaissance scientifique. Surtout quand il s'agit, comme dans le cas du rôle de la disparition des dinosaures dans l'apparition des mammifères, d'une raison simple : « Nous surestimions donc l'effet de la crise Crétacé-Tertiaire car nous n'avions pas assez de données. » La connaissance progresse. Mais c'est pas encore gagné.

J'avais déjà remarqué cette tendance des scientifiques à se payer de mots. Il me semble que l'inconvénient est de favoriser ceux qui récitent la dernière terminologie à la mode au détriment de ceux qui veulent vraiment comprendre les processus.

Jacques Bolo

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