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Internet / Politique - Décembre 2013

Surveillance et Liberté

Résumé

Un Manifeste d'écrivains pour une démocratie à l'âge... de pierre croit lutter contre une société de surveillance. La liberté a toujours été ce qui dérange et le restera toujours. Plus ça change, plus c'est la même chose.

Une pétition d'intellectuels du monde entier publie un « Manifeste pour une démocratie à l'âge numérique » (« A stand for democracy in the digital age » ) qui s'indigne de la surveillance mise au jour dans les récentes affaires Wikileaks et Snowden.

Comme je l'ai souligné dans des articles précédents, c'est un peu ridicule. Dans le meilleur des cas, cette initiative révèle l'ignorance et le retard des signataires. Dans le pire, elle révèle l'incompréhension totale de la réalité. S'abriter derrière des grands principes va finir par devenir un indice de cette incompétence, avec l'inconvénient de les décrédibiliser.

Mais heureusement, il est fort probable qu'il ne s'agit que de surfer sur la vague de l'actualité. Le buzz est tout ce qui compte. Ça permet d'ajouter son nom sur la liste d'auteurs célèbres. Aie ! Chacun sait que ce sont les has-been qui signent les pétitions pour continuer à exister. Et dès qu'il s'agit d'Internet la ringardise montre son nez.

Une société où la technique rend la surveillance plus facile n'a aucune chance de ne pas être une « société de surveillance ». Mais ce n'est pas plus une société de surveillance que les sociétés précédentes. Ces sociétés fonctionnaient avec les moyens et les idéologies de leurs époques. Et tout le monde le sait. Il suffit d'utiliser les connaissances qu'on possède. La véritable question est plutôt : « Comment vivre libre dans une société avec ces possibilités de surveillance-ci ? » Et la réponse est évidemment : « Exactement de la même façon qu'on vivait libre avec les possibilités de surveillance précédentes ».

Il faut que chacun prenne ses responsabilités. Comme je le disais encore l'année dernière (« Richard Millet fait le buzz ») : « la question de la liberté d'expression est un piège à gogos. Si la question se pose, c'est précisément parce que la liberté d'expression comporte un risque, qui se manifeste simplement de façon évidente dans les dictatures. L'erreur démocratique consiste à croire qu'il pourrait n'y avoir aucun risque à dire ce qui dérange. Si la liberté consiste à dire ce avec quoi tout le monde est d'accord, ce n'est déjà un problème nulle part. Ça, c'est réglé. Et quand on dérange, on dérange. »

La nouveauté de cette « société de surveillance » informatisée consiste dans le fait que les traces qu'on laisse un peu partout peuvent être enregistrées tout le temps. Auparavant, il fallait se concentrer spécifiquement sur quelqu'un pour le surveiller. Mais dans ce cas, on avait le même type de résultat. L'idée que tout le monde peut donc être suivi tout le temps fait déduire à certains qu'on est surveillé comme les anciens dissidents. C'est un fantasme hollywoodien, où l'on s'identifie sans risque au héros qui déjoue tout seul le complot des puissants. On peut y voir la cause du complotisme. Les écrivains finissent donc par croire aux histoires que nous racontent leurs collègues.

Noyée sous les clichés sur les grands principes, le Manifeste mentionne, en fait, la surveillance commerciale permanente qui se nourrit des données qu'on lui abandonne volontairement : « La surveillance est un vol. Ces données ne sont pas un bien public : elles nous appartiennent. » C'est beaucoup plus réaliste. La véritable question est bien la propriété de ces données. L'inconvénient est sans doute ici que les partisans naïfs de la liberté s'opposent généralement à la propriété intellectuelle et au droit d'auteur. Une rétribution contractuelle permettrait pourtant de régler immédiatement la question du contrôle. L'incompétence a des conséquences.

La cause principale de cette absence de maîtrise de la liberté dans cette société numérique est précisément une sorte de philosophie romantique, fréquente chez les littéraires, qui voient dans la connaissance parfaite une entrave à la liberté. Qu'il s'agisse de marketing ou de police, ni ailleurs, on ne voit pas comment on pourrait se priver de ce qu'on sait pour faire ce qu'on doit faire. On en revient à l'origine du Manifeste : les techniques de surveillance en question existent depuis déjà un moment et certains semblent en prendre conscience. Cela ne les a pourtant pas empêchés de se croire libre jusqu'ici. Au fond, ce qu'ils voulaient, c'est continuer de ne pas savoir !

Jacques Bolo

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