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Politique / Médias - Juillet 2013

C'est la faute des médias :

Stalinisme en bande organisée contre Tapie

Résumé

La chasse au Tapie est ouverte par les staliniens qui prennent le parti des banques. Ca pourrait finir par mal tourner.

L'affaire Tapie a confirmé la persistance du néo-stalinisme, en particulier sur Médiapart, où un des fondateurs, Laurent Mauduit, s'est fait une spécialité de clouer au pilori une série de têtes de Turc, pour ne pas dire « vipères lubriques » de la grande époque stalinienne : Tapie, Minc, etc. Ce qui lui permet de produire régulièrement les ouvrages d'actualité qui sont devenus l'alpha et l'oméga de l'édition contemporaine.

La vindicte populiste s'est plus spécialement déchaînée après le passage à la télévision de Bernard Tapie sur France 2, où David Pujadas prenait lui aussi l'attitude courageuse de l'inquisiteur qui inflige la question ordinaire et extraordinaire. Mais avec prudence quand même, parce que Tapie se défendait et qu'il faut quand même ménager ses arrières, on ne sait jamais. Les commentateurs flagorneurs ont crié haro contre la bête sur Médiapart en écho aux ricanements de Mauduit. Déception. Même Michel Onfray s'est fendu d'un tweet vengeur contre l'insolence de Tapie qui osait se défendre au lieu de confesser publiquement ses erreurs.

Dans les procès staliniens, l'accusé est chargé de tous les péchés et son avocat en ajoute une couche au lieu de défendre son client (ça vaut mieux pour sa carrière). L'accusation d'« escroquerie en bande organisée » porte sur 400 millions accordés à Tapie par un tribunal arbitral. Ceux qui s'opposent à Tapie considèrent que c'est « notre » argent. L'argent du peuple. C'est faux.

Tapie a osé rappeler que cet argent était celui que le Crédit lyonnais avait réalisé par la vente d'Adidas à l'occasion d'un montage financier que Tapie estime illégitime. Comme la participation au gouvernement Mitterrand exigeait que Tapie se défasse de ses investissements dans des entreprises, la vente d'Adidas avait été arrangée rapidement par le Crédit lyonnais, par l'intermédiaire de société off-shore, pour être cédée ensuite à Robert Louis-Dreyfus. L'anomalie possible consiste dans le fait qu'il s'agirait de « portage », un faux nez de la banque pour une revente avec bénéfice. C'est sur cela que porte le conflit financier. Tapie n'a d'ailleurs pas mentionné que Louis-Dreyfus a acheté Adidas avec l'argent que lui prêtait le Crédit lyonnais lui-même, à un taux d'intérêt très favorable alors que la banque avait prêté à Tapie à un taux beaucoup plus important pour l'acquisition initiale (à l'origine, l'erreur de Tapie avait surtout été d'emprunter à très court terme).

Bref, dans cette affaire, ce n'est pas « notre argent » mais l'argent encaissé dans la revente d'Adidas par le Crédit lyonnais, ou celui de Tapie si on estime que le montage financier n'est pas légitime. Bizarrement, « nos » staliniens estiment ici que « les affaires sont les affaires » et oublient que le fameux scandale de la faillite du Crédit lyonnais, lui, « nous » a coûté 130 milliards de francs (20 milliards d'euros d'alors, plus du double en euros courants) puisque la banque était nationalisée à l'époque. Les staliniens n'en concluent pas que les banques publiques ne sont pas la solution, ni que les investissements ne sont forcément rentables. Ils en concluent que la banque publique a le droit de faire ce qu'ils reprochent aux banques privées. Et en cas de conflit, tout opposant est broyé puisque c'est « notre » argent, l'argent du peuple actionnaire. Ils ont inventé le stalinisme financier !

La réalité de l'affaire Adidas était simplement l'aboutissement pour Tapie de la pratique des années 80-90 qui consiste à racheter des entreprises, les restructurer, et les revendre avec bénéfice. L'étape suivante était de constituer des groupes plus vastes de niveau international (atteint avec Adidas). Le principe est surtout d'atteindre le fameux niveau « too big to fail » (trop gros pour échouer). Ça marche tant qu'on a le soutien des banques. C'est d'ailleurs aussi le cas pour les plus petites entreprises, ou les agriculteurs, qui dépendent entièrement de leur capacité d'emprunt, spécialement en période difficile.

Ceux qui ignorent la réalité de l'entreprise pourraient se rappeler les cas du volailler Gérard Bourgoin, qui s'est effondré (à l'occasion de la grippe aviaire) après avoir connu une croissance exponentielle. Inversement, le PDG d'Amazon, Jeff Bezos, disait vers 2000 que son entreprise serait la plus grande catastrophe économique du fait de l'endettement. Il a tenu. On a vu aussi l'effondrement des ambitions de Vivendi. C'est ça le cadre industriel concret au lieu du radotage de généralités anticapitalistes.

Tapie a sans doute eu le tort de vouloir faire de la politique. Son côté grande gueule correspondait aussi à la mode qui voulait que les PDG soient médiatiques pour booster le cours de bourse, comme le PDG de Virgin, Richard Branson, et la possession d'un club sportif par Gérard Bourgoin, lui aussi. Tapie venait justement de faire remporter la coupe d'Europe à l'Olympique de Marseille, et cela devait contribuer à faire remonter Adidas pour lui permettre de rembourser son emprunt. Il faut remettre les choses en situation. La politique entrait aussi dans cette stratégie de notoriété, mais Tapie aurait mieux fait de s'en tenir à soutenir les politiciens et à lutter contre le FN, comme il le faisait auparavant.

D'ailleurs, cette nouvelle affaire Tapie de 2013 pourrait simplement se réduire à une tentative de l'empêcher de se mêler de politique dans la région PACA. Le rachat en 2012 du journal La Provence, avec l'argent de l'arbitrage, a été considéré par beaucoup comme un marchepied pour un retour à la politique. L'élimination juridique de Tapie relèverait de celle d'opposants en Russie, comme le milliardaire Mikhaïl Khodorkovski.

Entendons-nous bien, je ne dis pas que les affaires de Tapie ou des autres patrons sont parfaitement claires ou légales. Je dis que le fond de l'affaire est bien le conflit avec le Crédit lyonnais et les banques en général, dont on sait qu'elles se sont gavées de commissions pendant ces grosses opérations industrielles, avant de trouver les opérations purement financières encore plus juteuses. On connaît la suite. Tapie n'a pas forcément raison. Mais cela ne signifie pas que le Crédit lyonnais s'est comporté normalement (en particulier dans la mise en faillite de Tapie dans l'affaire Adidas). Dans cette affaire, il n'y a pas de raison de prendre le parti de la banque, comme a tendance à le faire Laurent Mauduit. Éventuellement, la campagne contre Tapie pourrait correspondre aussi à des raisons politiciennes du fait de l'engagement de l'ancien PDG du Lyonnais Peyrelevade en faveur du Modem, avec Bayrou qui veut jouer au Monsieur Propre.

Le paradoxe de la situation de cette cabale stalinienne consiste dans le fait que Tapie représente une version de la gouaille populaire. Il est pourtant détesté par les intellectuels qui ne peuvent vraiment pas supporter les patrons. Il leur faudrait comprendre que tous les « fils de prolos » ne veulent pas devenir permanents de la CGT (ou instit au SNI de la grande époque). Certains sont attirés par le fric, les bagnoles, les pépés, les honneurs. Certains tournent mal, certains font des études, d'autres des affaires. Ce qu'on leur reproche est d'avoir « trahi leur classe », comme au bon vieux temps de l'ouvriérisme. Il ne faisait pas bon de vouloir s'élever en devenant petit patron. Alors, grand patron... n'en parlons même pas ! En plus, on se retrouve opposé aux bourgeois installés qui détestent les nouveaux riches qui font tache. Des intellos snobs font le lien entre les deux. Alliance de classe. Modèle aristo. La routine. Mais c'est très rétro. Ça tombe mal avec l'époque de la globalisation financière : ces affaires marquent le début du décrochage français. Concrètement, cela peut signifier que la politique et les banques françaises se liguent contre les entreprises. C'est du plus mauvais effet sur le plan international (en plus de la réputation française concernant les impôts).

Dans le pétrin où il s'est mis, ce qu'on pourrait reprocher malgré tout à Tapie est d'avoir oublié le soutien que lui a apporté le milieu culturel. Claude Lelouch, en particulier, a accueilli Tapie à sa sortie de prison, après ses déboires dans le sport (avec les matchs truqués OM-Valenciennes). Je m'étais dit à l'époque que Lelouch était un mec bien, pas comme ces cons de stals qui s'acharnent sur le type. Tapie aurait mieux fait d'investir dans le cinéma, mais ce n'est pas vraiment son imaginaire. À son âge, il aurait évité les emmerdements de la politique et le panier de crabes des médias généralistes.

Justement, il ne faut pas oublier que le modèle économique de la presse, le quatrième pouvoir, avec sa collusion avec les trois autres, relève de l'intimidation et du « je te tiens, tu me tiens par la barbichette » (comme l'avait montré Robert de Jouvenel dans La république des camarades, que j'ai réédité en 2008). Le modèle économique de Médiapart, qui a choisi l'abonnement payant sur Internet, a un peu tendance à se réduire à flagorner un public captif militant à qui on donne des cibles faciles. Ça ressemble un peu au Libération maoïste de la première époque, qui avait abouti à l'affaire de Bruay en Artois : une campagne de presse contre un notable dans une affaire de meurtre. L'autre modèle de la presse est simplement de faire de l'audience avec ce qui marche. Sur Internet, l'intérêt de la participation en ligne est de voir les réactions du public en temps réel. Y a pas que les stals. Comme le racisme y règne en maître à l'occasion de chaque article sur l'immigration ou sur l'islam, j'ai eu l'occasion de montrer que cela permettait à Rue89 de booster son audience à peu de frais. Et ça rapporte puisque Le Nouvel observateur a racheté cette audience pour 7 millions d'euros. Il n'y a pas que dans les affaires que les affaires sont les affaires.

Jacques Bolo

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