Le rapport de la Cour des comptes, publié en février 2013, dans sa partie « Le plan d'aide à la presse écrite 2009-2011 : une occasion de réforme manquée », vient de souligner l'inefficacité et l'énormité des subventions diverses. Entre les aides directes, les aides à la diffusion et au portage (ou l'exonération de charges sociales de Presstalis pour sauver la boîte en 2012), le taux super-réduit de TVA à 2,1 %, le fonds de modernisation, les avantages fiscaux des journalistes, les aides conjoncturelles, celles au développement des services de presse en ligne, on arrive à plus de cinq milliards d'euros sur trois ans ! Pour les gens de la presse écrite, ce n'est vraiment pas la peine de faire de l'optimisation fiscale au Luxembourg, de s'expatrier en Belgique ou de demander la nationalité russe. Tout se passe à domicile. Dans ces conditions, c'est vraiment mal placé de leur part d'avoir fait leur beurre en vouant Depardieu à la vindicte populiste.
Tous les grands journaux en ont profité. Si l'aide est fondée partiellement sur la diffusion, on comprend brusquement pourquoi les abonnements de certains hebdomadaires sont si peu chers. Le tableau suivant des aides directes aux titres de presse pendant la période 2009-2011 a été classé selon le score par exemplaire. Mais le montant annuel en euros par titre est aussi impressionnant :
Titre de presse |
Montant des aides directes
par exemplaire diffusé |
Montant annuel des aides
directes |
Humanité (l') |
0,48 |
6 761 434 |
Croix (la) |
0,32 |
9 988 388 |
Télérama |
0,29 |
9 411 822 |
Nouvel observateur (le) |
0,29 |
7 800 161 |
Libération |
0,27 |
9 908 617 |
Pèlerin |
0,24 |
2 849 399 |
Express (l') |
0,23 |
6 232 242 |
Challenges |
0,22 |
2 384 145 |
Point (le) |
0,20 |
4 501 245 |
Monde (le) |
0,19 |
18 465 277 |
Figaro (le) |
0,17 |
17 217 154 |
Elle |
0,16 |
3 413 233 |
Aujourd'hui en France |
0,15 |
9 331 562 |
Echos (les) |
0,15 |
4 513 559 |
Paris match |
0,14 |
5 151 418 |
Télécable satellite hebdo |
0,10 |
3 390 880 |
Télé 7 jours |
0,10 |
7 279 547 |
Nouvelle république du
centre ouest (la) |
0,09 |
5 645 242 |
Télé loisirs |
0,08 |
4 390 415 |
Télé star |
0,07 |
4 451 357 |
Dépêche du midi (la) |
0,07 |
5 014 820 |
Nice-matin |
0,07 |
2 727 086 |
Dernières nouvelles d'Alsace
(les) |
0,07 |
4 035 733 |
Télé poche |
0,07 |
1 881 812 |
Ouest France |
0,06 |
15 784 440 |
Sud ouest |
0,06 |
6 260 812 |
Voix du nord (la) |
0,06 |
5 445 430 |
Provence (la) |
0,06 |
2 783 573 |
Femme actuelle |
0,06 |
2 749 581 |
Est républicain (l') |
0,05 |
2 999 986 |
Courrier de l'ouest |
0,05 |
1 853 381 |
Dauphine libéré (le) |
0,05 |
4 464 330 |
Télégramme |
0,05 |
3 555 598 |
Progrès (le) |
0,05 |
3 868 585 |
Montagne (la) |
0,05 |
3 216 097 |
Télé Z |
0,04 |
3 669 232 |
Midi libre |
0,04 |
2 247 553 |
Parisien (le) |
0,04 |
3 681 247 |
Petit quotidien (le) |
0,03 |
800 067 |
Mon quotidien |
0,03 |
139 538 |
Source : Cour des comptes 2013 |
Jacques Rosselin, co-fondateur de Courrier international et ancien directeur de La Tribune, dans un article du Huffington post, propose de donner directement ces aides aux journalistes eux-mêmes ! Il prétend ainsi apporter une solution à la destruction du modèle économique de la presse papier. Depuis Internet, le financement par la pub ne paye plus. Rosselin se revendique de la défense du contre-pouvoir démocratique. Sur les relations entre les quatre pouvoirs, il devrait relire La République des camarades (1914) pour ne pas se faire trop d'illusions non plus sur la presse.
Un autre journaliste (gonzo) J-C Feraud twitte « Be the media : 1,2 milliard d'euros d'aides à la presse ? C'est 3 300 euros brut/mois pour 20 000 journalistes », ce qui n'est pas très sympa pour les 80 000 employés du secteur en tout (ça ferait plutôt 1 700 euros en moyenne). Comme je le lui ai dit sur Twitter, on peut donc considérer que les journalistes ont donc reçu 3 300 euros de trop ces dernières années. Il me conseille de bûcher un peu mieux la question des aides à la presse et de ne pas faire de populisme. Je suis donc allé voir. Mais je note le corporatisme de cette noble profession, même chez les gonzos !
Je considère quand même que sans cette manne démocratique, des restrictions auraient eu lieu - et que mon calcul est juste. C'est bien l'État qui maintient les salaires à un niveau élevé. On comprend mieux que la presse ne parle plus trop des subventions à l'agriculture de la PAC européenne. Comme les agriculteurs, et avec les mêmes disparités, la presse française est sous perfusion. À ce compte, autant considérer les agriculteurs et les journalistes comme des fonctionnaires. Mais il est difficile de parler de contre-pouvoir quand on connaît le fameux droit de réserve de la fonction publique. Certains s'entraînent déjà.
La vérité est qu'il se dessine un nouveau modèle économique. Ce n'est pas celui que souhaite Jacques Rosselin, où les journalistes deviennent des « marques » (depuis qu'ils tiennent un blog), des sortes de travailleurs indépendants qui vendent leur notoriété comme super pigistes, pour lequel il propose une subvention publique au nom de leur rôle démocratique (comme les agriculteurs, pour leur « entretien du paysage ». MDR !). Mais on peut lui rétorquer que la légitimité actuelle des journalistes dépend exclusivement des supports qui les payent. Sinon, ils ne seraient que des blogueurs, pour lesquels ces subventions ne sont pas envisagées (j'ai créé Exergue en 2005, et je n'ai pas vu la couleur de subventions et des 3 300 euros par mois).
Le modèle économique est qu'on maintient un statut acquis, comme dans les autres secteurs en difficultés, au détriment des nouveaux entrants sur le marché ou des charrettes de licenciés. Ça ne suffit pourtant pas et les caisses sont vides et s'épuisent d'autant plus rapidement au rythme de ces subventions. On comprend que les journalistes serrent les fesses en attendant que d'autres coulent avant eux. Ils pourront le déplorer, solidarité professionnelle oblige, en espérant récupérer les lecteurs.
Mais je crains qu'on n'en soit déjà plus là. Ça va mal finir. À la grecque.
Jacques Bolo
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