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Économie - Décembre 2012

Depardieu au pilori

Résumé

Internet offre la possibilité de voir ce que les gens sont capables de produire comme arguments. L'affaire de l'exil fiscal de Depardieu nous en offre un festival. On remarque la difficulté de traiter le sujet réel.

L'affaire de l'exil fiscal de Depardieu montre bien le mécanisme des campagnes de presse, amplifié actuellement par Internet, où tout le monde peut y aller de son commentaire, de son analyse, de sa blague, pour ou contre. On aurait tort de croire que c'est à cause d'Internet. C'est au contraire grâce à Internet qu'on peut simplement en prendre connaissance sous forme écrite. Tout cet échange d'arguments avait déjà lieu dans les conversations de bistro ou dans les repas en famille ou entre amis. Les spécialistes auront de quoi étudier dans les siècles à venir.

Sur le fond, la question de râler au moment de payer ses impôts est assez banale. C'est plutôt un sport national (et international). C'est particulièrement fréquent chez les artistes et quelques personnalités du sport ou des affaires, qui se sont toujours installées à l'étranger, en Suisse, à Monaco, ailleurs. L'arrivée de la gauche au pouvoir a aussi toujours déclenché une inquiétude chez les riches.

Dans la pratique, on peut dire qu'ils ont généralement tort. Les impôts directs sont très inférieurs en France par rapport aux autres pays. On s'est aperçu récemment, à propos de l'affaire Bettencourt, que cette femme la plus riche de France ne payait qu'une vingtaine de pour-cent de ses revenus annuels. Il n'est d'ailleurs pas évident que cela ne lui revienne pas plus cher en conseillers fiscaux qui risquent de profiter d'elle, puisque la question s'est posée.

Évidemment, cela ne concerne pas certains paradis fiscaux. Et disons-le simplement, la solution immédiate serait d'annexer Monaco pour mettre fin à des archaïsmes héréditaires qui n'ont plus lieu d'être. Mais pour le reste, c'est cette propagande imbécile sur la fiscalité française qui est une véritable atteinte à l'intérêt national. Avec toutes ses niches fiscales françaises, notre pays devrait plutôt devenir le paradis des riches si la droite ne lui faisait pas une si mauvaise publicité. Et la gauche la reproduit sans aucun sens critique dont elle se targue pourtant, mais qui est fondé sur des mythes au lieu d'analyser les faits.

Depardieu, de ce point de vue, est plutôt une victime de cette ridicule idéologie de droite, dont il récite un texte qu'il a appris avec ceux qu'il fréquente aujourd'hui. Mais puisqu'il poursuit ses activités professionnelles en France (culturelles, commerciale, agricoles, etc.), il continuera de payer les impôts directs ou indirects qui s'y rattachent (et les exonérations qui vont avec), comme tout le monde, et comme il l'a fait jusqu'ici, et comme il l'a rappelé lui-même. L'État ferait mieux de s'occuper de récupérer la TVA des entreprises internet qui y échappent.

Ceux qui critiquent Depardieu semblent négliger cette réalité élémentaire et produisent une théorie bizarre selon laquelle quelqu'un qui a gagné de l'argent (beaucoup) devrait le dépenser là où il l'a gagné, ou même qu'une personne qui a vendu un bien ou un service doit l'argent qu'il a gagné à ceux qui les lui ont achetés. C'est bien ce qu'on a entendu ! Et pour tout dire, il faudrait que les riches donnent leur argent aux pauvres. C'est un peu naïf, et très faux cul. Rappelons pour mémoire que la richesse mondiale moyenne correspond à peu près au RSA, et qu'une moyenne signifie que chaque fois que quelqu'un a plus, c'est que quelqu'un a moins. Ceux qui limitent cet idéal de partage au niveau national doivent ignorer qu'il existe aussi des riches et des pauvres en France. Depuis longtemps. Si ! Si ! Les données disponibles ne révèlent pas l'existence d'une vie en communauté de biens.

L'argument national, à la mode, en rajoute dans le patriotisme, et certains vont jusqu'à considérer Depardieu comme un traître à la patrie, en période de crise en plus ! Au moins, Zemmour est conscient de la contradiction pour les partisans de l'Europe. Il est content d'ironiser sur la possibilité de choisir la région d'Europe la moins taxée. Mais il lui faudrait alors constater que cette possibilité existe aussi entre les communes ou les régions françaises qui se livrent aussi entre elles à un dumping fiscal et proposent des subventions pour attirer les entreprises (ou les tournages de films). Cette mise en concurrence ne se fait pas forcément au profit des contribuables (sans parler des possibilités de corruption).

De toute façon, certains semblent oublier tout simplement la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, dont l'Article 13 énonce : « Toute personne a le droit de circuler librement et de choisir sa résidence à l'intérieur d'un Etat. Toute personne a le droit de quitter tout pays, y compris le sien, et de revenir dans son pays. » D'autres parlent de priver Depardieu de son passeport ou lui reprochent de vouloir le rendre. Même punition : Article 15 : « Tout individu a droit à une nationalité. Nul ne peut être arbitrairement privé de sa nationalité, ni du droit de changer de nationalité. » Tous ont oublié que les droits humains sont les droits de l'individu et non ceux des États ou des cultures, comme voulaient les modifier les régimes totalitaires. On constate tous les jours que certains principes de base ne sont pas bien assimilés.

Les libéraux plus théoriciens ont parlé de pratiques d'imposition confiscatoires. On a constaté que ce n'était pas le cas. Par contre, on peut admettre qu'il existe en France une conception confiscatoire de l'impôt, qui ne correspond pas non plus à la réalité. On circonscrit ainsi le véritable problème à l'idéologie, dont on peut voir la manifestation la plus explicite aux États-Unis. Les riches ne veulent pas payer pour les pauvres. Les « socialistes » (comme disent les Américains) veulent que les riches soient « solidaires ». Les Américains devraient venir en France pour vérifier si c'est le socialisme.

Bref, certains n'ont pas compris le problème des inégalités, et le cas Depardieu peut contribuer à l'éclaircir. J'ai déjà parlé de la question des salaires des grands patrons qui, justement, prennent l'exemple des artistes pour justifier leurs salaires de stars de l'économie. Une star de cinéma attire le public (ce n'est pas le cas d'un patron), mais est-ce que cela justifie les écarts avec toute l'équipe sans laquelle le film n'existerait pas ? Ajoutons également que c'est aussi les bons films qui font les stars (un exemple d'autres choix de casting) et non les seules stars qui font les bons films (nombreux exemples, spécialement avec Depardieu). À la rigueur, on peut dire que ce sont les célébrités qui font le succès des mauvais films. Mais cela revient à escroquer le public qui risque de les bouder progressivement. Les stars devraient normalement être plus exigeantes, mais on sait qu'elles acceptent parfois n'importe quoi... pour payer leurs impôts. Mais quand Depardieu prétend avoir payé 85 % d'impôts, cela ne peut être que parce qu'il n'avait pas provisionné le montant correspondant à des revenus antérieurs pour ses entreprises diverses. Les artistes sont notoirement imprévoyants.

Les stars en question pourraient donc être un peu moins payées pour garantir les revenus des seconds rôles, des figurants et des techniciens, qui dépendent, en France, du régime des intermittents du spectacle, fortement déficitaire, et plus généralement de subventions nationales. Il s'agit ici d'une opération de vérité des prix, au lieu d'un système compliqué de compensations, comme pour l'agriculture, qui présente une grande similitude en ce qui concerne la confusion d'un secteur privé soutenu par le public. Le cas Depardieu concerne moins la question des impôts que celle des inégalités dans un secteur particulier, spécialement quand il reçoit un soutien de l'État. C'est assez général puisque l'État se mêle un peu trop de tout.

Le véritable problème de la fiscalité est justement la question du « consentement à l'impôt. » Ce qui ne signifie pas qu'on doit s'y soumettre sans rien dire. On sait que les politiques ont tendance à régresser à la monarchie, mais on sait aussi que les citoyens ont tendance à ne pas assumer les dépenses dont ils bénéficient. Le principe démocratique signifie que ceux qui payent les impôts doivent décider de leur affectation. J'ai aussi montré que cette réalité était négligée à propos du droit de vote des étrangers non-communautaires aux élections municipales.

Je ne mentionnerai pas le fait d'attaquer ou de défendre Depardieu sur sa filmographie, qui n'a absolument rien à voir avec le problème. Au passage, on voit qu'il n'y a pas que les internautes qui disent n'importe quoi. On peut admettre que certains l'ont défendu parce qu'ils pouvaient avoir l'impression qu'on se livrait à une chasse à l'homme. C'est une réaction de solidarité honorable. Elle répond aux détestables phénomènes de foule dont les médias essaient de profiter avec une bonne conscience qui donne envie de vomir. La règle est de ne jamais hurler avec les loups.

Bon, si j'étais mauvaise langue, je dirais aussi que cette affaire est bien tombée pour faire oublier les hauts-fourneaux de Mittal à Florange, autre intervention intempestive et maladroite de l'État. Mais il faut remarquer aussi que tous ceux qui montaient sur leurs grands chevaux à ce propos ont embrayé immédiatement sur cette nouvelle affaire. Il semble que la capacité de concentration du public soit assez réduite, et que la presse préfère parler des vedettes de cinéma. On peut comprendre que Depardieu se tire avant qu'on lui demande d'investir dans la sidérurgie.

Jacques Bolo

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