EXERGUE
Depuis 2005
Politique - Novembre 2012

Foucault et les staliniens

Résumé

Les gauchistes de Médiapart n'ont pas changé de logiciel et sont à la traîne de la vulgate stalinienne. Ils ne comprennent pas le travail de Foucault, en son temps, pour s'en défaire, et le jugent à l'aune de dogmes périmés. La question est de savoir si Médiapart peut contribuer à l'indispensable renouvellement de la pensée pour affronter le monde actuel ou s'il s'agit de l'animation d'une maison de retraite.

Le billet de Geoffroy de Lagasnerie : « Foucault a été fasciné par le néolibéralisme, qui a fait écho à ses propres questionnements » a suscité, comme on pouvait s'y attendre, hélas, une forme d'opposition antilibérale stéréotypée qui semble vouloir nier la réalité de la problématique de Foucault en son temps. Il est quand même notoire que Foucault s'occupait des questions concernant l'autonomie de l'individu. Et plus généralement, on ne peut pas réduire la question sociale à toujours plus d'État. Mais comme certains veulent conserver Foucault dans leur camp, ils sont obligés de se livrer à des contorsions scolastiques ou concèdent, parfois à regret, qu'il s'était bien laissé séduire par les sirènes du grand capital. D'autres assimilent cette « déviation » à ses autres errements pro-khomeyni au moment de la révolution iranienne.

Un commentaire d'un certain « polig » (16/11/2012, 20:17) le recadre ainsi :

« Le virage post-structuraliste a fait quelques dégâts dans cette génération intellectuellement exceptionnelle. L'époque était confuse. Il lui arrivait de porter d'étranges chapeaux. L'époque était aussi profondément nihiliste (ce qu'on a oublié). Il était de son temps. Il n'était pas de la famille d'esprit de Pasolini, ou Fassbinder. Ou Debord. Ceux-là avaient vu juste. Les temps ont changé. »

C'est un peu facile de récupérer ceux qui en leur temps étaient vraiment moins orthodoxes qu'on semble le dire aujourd'hui. Et l'orthodoxie en question n'était pas l'objectif. C'était aussi la Guerre froide. Mais le populisme rétro a encore frappé. Dans un de mes commentaires sur ce fil, j'avais résumé ces interventions à « Foucault, bobo, le peuple aura ta peau ! »

Pour ceux qui douteraient du retour de l'orthodoxie stalinienne, à une réplique à Polig pourtant assez banale (« Les temps ont changé, les temps changeront encore, et vous resterez dans la confusion. Qu'elle vous soit douce. ») d'un Melchior Griset-Labûche, parce qu'il venait de justifier l'intérêt intellectuel de Foucault pour le libéralisme, Polig répondra :

« Sans blague ? Pour la confusion, vous faites erreur, il n'y a aucune confusion possible : vous et vos semblables sont des benêts ou des malfaisants. Avec de niaiseux ennemis dans votre genre, la confusion n'est plus possible. »

On se croirait revenu au temps des « vipères lubriques ». Confirmation : un autre, sous le pseudo de Speculum speculorum (17/11/2012, 00:13) approuve :

« Bravo Polig pour votre réponse à MGL. Vous utilisez le seul langage qui convient à ce genre d'individus : l'insulte. Pour une critique du Foucault néo-libéral, voir entre autres bons auteurs (Mandosio, etc), Jean-Claude Michéa, dont tous les écrits sont une réponse par anticipation à la candide provocation "libérale" de l'auteur du blog. Courage Monsieur de Lagasnerie, vous finirez bien par découvrir l'existence de Max Stirner...  »

Je n'aurais pas dû m'en mêler (je plaisante), mais je suis intervenu (17/11/2012, 11:08) en posant une question que je considérais comme factuelle :

« Je ne comprends pas très bien la référence à Stirner. Car ce n'était certainement pas un communiste puisque c'était le pape de l'individualisme. Je crois que le pb est justement la question de la non-pensée de l'individu à gauche. De ce point de vue, le marxisme est un romantisme allemand (sur ce sujet, voir la référence à Cuvillier sur mon blog : "Germaniser la plaine"). Et Foucault a justement représenté une tentative de combattre le tabou qui associe libéralisme/individualisme. L'erreur ne consiste pas dans cette association, qui est exacte, mais dans le fait que ce qu'on appelle "libéralisme" correspond plutôt à des comportements mafieux, qui rejoignent d'ailleurs ceux des communistes ou des fascistes sur le versant collectiviste. »

C'est là dessus (19/11/2012, 18:25) qu'est intervenu Marc Tertre... de l'Académie des sciences soviétiques (clando) :

« Il est tout aussi abusif de le faire marcher [Stirner] pour les "libéraux libertaires", qui se proclament eux aussi "individualistes", plus par une lecture hâtive du "banquier anarchiste" de Fernando Pessoa. Il est faux de prétendre qu'il y a non pensée de l'individu dans le marxisme (la gauche, je ne sais pas ce que c'est, et je m'en fiche) Mais elle est effectivement à des années lumières de votre conception petite-bourgeoise... »

Dans la mesure ou le débat était sur Foucault, ou sur Stirner qui a bien été considéré par Marx comme un individualiste petit-bourgeois, je n'ai pas compris le sens de cette réponse et, après une intervention de Pierre Roc (20/11/2012, 12:59) qui approuve Tertre en ces termes :

« Je rajouterais que les concepts d'aliénation & émancipation sont au coeur de la pensée de gauche : c'est ici qu'on trouve les vrais libéraux, c'est-à-dire des libéraux qui ne s'attaquent pas à l'État en tant qu'institution, mais à toutes les formes d'oppression & dépossession de l'individu. »

Outre le fait que sembler limiter l'individu à la question de l'aliénation me paraît justement très stalinien, j'ai rétorqué :

« C'est justement le propre de la pensée idéaliste (allemande) qui se moque de la réalité pour préférer le dogme supposé pur des fondateurs de religion, dont se foutent les individus. Le marxisme a été une entreprise d'aliénation par négation de l'individu dans le groupe dont le seul résultat pratique et interactionniste a été la falsification intellectuelle permanente, soit pour ne pas désespérer Billancourt, soit pour truquer les chiffres et éliminer les concurrents. Il faut parler du réel, pas du dogme. »

Marc Tertre a enfourché alors (20/11/2012, 19:40) son dada épistémologique pour tenter de me contredire :

« Mais vous parlez vous même à partir d'une pensée dogmatique. Qu'elle ne soit pas (a priori) "marxiste" ne l'empêche absolument pas d'être dogmatique et très éloigné des "réalités sensibles". Comme s'il n'y avait que le marxisme pour être dogmatique... »

Je ne suis pas d'accord avec cette rhétorique formaliste, qui confond d'ailleurs « paradigme » et « dogme » (révélant son mode de fonctionnement). Le point important est effectivement la question de la « réalité sensible » qui est niée quand elle contredit le dogme, alors que l'empirisme s'y soumet. Je lui ai répondu (20/11/2012, 21:48) :

« Le jeu n'est pas d'essayer d'avoir raison (contre la réalité à la manière des marxistes) en disant une généralité (grands mots) comme le fait qu'il existe plusieurs dogmatismes (ou dire risiblement "c'est celui qui dit qui est"). Autant de mécanismes de défense classiques de L'art d'avoir toujours raison (quand on est pris en défaut). Je parlais spécifiquement du fait de se référer à la pensée de Marx (idéalisme allemand collectiviste/romantique), qui serait la vraie vérité, contre la fausse gauche en plus, dont on serait le seul juge d'ailleurs, en distribuant les bons points. Je ne parle qu'en mon nom et je dis ce que je pense (individualisme). Je ne m'abrite pas derrière une autorité qui garantirait mes propos et ma conformité au dogme donc (en quêtant l'approbation de la meute). Signé: Super-bobo-libéral-libertaire »

Marc Tertre a persisté de façon un peu bizarre, en cela qu'il se positionne toujours sur la ligne d'un parti inexistant, tout en revendiquant un maximalisme gauchiste habituel et, finalement, un populisme assez peu cohérent (20/11/2012, 21:50) :

« Je ne sais pas où est "la vraie vérité", mais je sais ou est la vraie stupidité. Quant à la "fausse gauche", je dois dire qu'en ce qui me concerne, la notion de gauche m'indiffère au plus haut point. Ce n'est pas moi qui dirais que le gouvernement Hollande-Ayrault-Valls "est de la fausse gauche". C'est juste un gouvernement qui est à plat ventre devant le capitalisme réellement existant, et ça me suffit ! C'est vrai que j'ai abusé de la notion "d'opposition de gauche" (en disant que ce qui était décisif, c'est de construire une véritable "opposition de gauche" à ce gouvernement) Mais il n'y a pas de "vraie gauche" ou de "fausse gauche" Il y a ceux qui sont d'en bas (nous) et ceux qui sont d'en haut (eux) Et c'est inconciliable. »

Je ne vois pas très bien en quoi Tertre ne dit pas que le gouvernement actuel est de la « fausse gauche ». J'ai tendance à considérer ce discours comme un peu fuyant. Il ne parle pas du sujet et s'abrite derrière des généralités très discutables, comme des mantras, pour contrer les blasphèmes supposés libéraux. Je lui ai répondu (20/11/2012, 23:10) :

« Vous remplacez "gauche" par "marxisme" pour faire plus "de gauche", mais ce ne sont que des mots. Et les "eux" et les "nous" ne sont pas une analyse valide. La bonne méthode est de traiter les pb un par un. Le pb était le libéralisme (de Foucault) et mon interprétation de la question est de parler chacun en son nom propre sans essayer de se raccrocher à une tradition ou à un groupe. Le collectif, c'est ce qui émerge de l'interaction d'individus, pas une entité transcendante (peuple, classe) que je considère comme de l'idéalisme allemand. Si ça, ça vous paraît une stupidité, je vous laisse à vos 150 ans de conneries collectivistes qui se réduisent d'ailleurs la plupart du temps très banalement à un panier de crabes. »

C'est ce qui lui fait utiliser l'argument massue (21/11/2012, 12:36) :

« L'individu n'existe pas. En tout cas, pas de la façon dont vous le prétendez. Et c'est une notion tout autant (ou aussi peu) transcendante que les notions de "peuple" ou de "classe". »

Il utilise toujours son « c'est celui qui dit qui est » comme mécanisme de défense, sans justifier ses critiques autrement que par le dogme marxiste classique. Ce que je lui fais remarquer (21/11/2012, 14:13) en rappelant le sujet initial :

« Dire "l'individu n'existe pas" est le propre du discours stalinien. Stirner, dont il était question, disait "moi". Je suis moins formaliste que lui et je pense qu'on peut utiliser des concepts généraux, même pour parler de soi. Et plus généralement, je parle comme je veux.
« Le pb du peuple ou de la classe est de leur donner une personnalité transcendante qui est très contestable et conduit aux aberrations constatées empiriquement et historiquement dans les totalitarismes (en particulier quand on prétend parler en leur nom). Ne pas l'enregistrer est une erreur méthodologique. Cela ne veut pas dire qu'il n'existe pas de pb du côté de l'individu, mais pas celui de sa non-existence. Seul l'individu concret existe.
« Sans doute les errements de Foucault sont-ils précisément dus à la domination du discours marxiste à l'époque qui lui faisait rechercher l'individu dans les groupes comme sujet collectif. »

Ce dernier point me paraît une explication plus correcte que celle de Polig en ce qui concerne l'attitude de Foucault à l'égard de la révolution iranienne. Il s'agissait bien de l'exaltation d'un sujet collectif tiers-mondiste dans la perspective gauchiste, avec l'anti-impérialisme américain habituel, et non une sorte de découverte de l'individu musulman (qu'on pourrait entrevoir dans le Printemps arabe récent). Une interprétation généreuse parlerait d'une anticipation du multilatéralisme actuel.

Toujours selon sa méthode Marc Tertre me reproche alors la phrase « Dire "l'individu n'existe pas" est le propre du discours stalinien. » en me retournant le compliment (21/11/2012, 20:18) :

« Et ce genre de procédé rhétorique s'appelle comment ? [sur Stirner] Je ne pense pas que se référer à l'autorité immanente de Stirner soit différent que d'utiliser Marx a des fins oiseuses. [sur la transcendance] C'est bien pour cela que le matérialisme s'impose... [sur Foucault] Les pires errements de Foucault ont précisément été commis à la période ou le discours marxiste avait perdu de son efficace. »

Je considère ici qu'il dit n'importe quoi (21/11/2012, 21:45) :

« Bon, ça suffit les conneries. Ce n'est pas un procédé rhétorique, c'est simplement une réalité historique que je décris. Nier la réalité, constamment, encore et encore, est bien le legs du marxisme. Je n'invoque pas Stirner. Je décris ce qu'il disait (pour information).
« Je ne procède pas par invocations comme les marxistes pour donner du poids à mon discours auprès des lèche-culs du parti. Le matérialisme exige d'observer les réalités, ici sociologiques. Sur Foucault, il est mort en 1984. La révolution iranienne a eu lieu en 1979, l'URSS a fini en 89, et la gauche a été élue en 1981. Tout ça se passait en pleine période gauchiste (collectifs sur les prisons, FHAR, etc). La fin du discours marxiste dominant date de la période yuppie à l'époque Reagan. Et on constate qu'il fait retour, spécialement sur Médiapart (car certains ont arrêté de penser dans les années 70).
« Il faut arrêter de dire n'importe quoi pour chercher pitoyablement à sauver les meubles comme un vulgaire Politburo individuel. Où l'on voit que l'individualisme est la seule réalité, qui n'est pas théorisée par les cocos alors qu'ils sont en plein dans le "tout pour ma pomme au nom du peuple" = c'est la définition de l'idéologie chez Marx. Certains, apparemment, ont compris que c'était comme ça qu'il fallait faire. Un bon texte de Pagnol parle de la question de ce type de compréhension utilitaire (préface à Les Marchands de gloire). »

On voit que la dialectique ne casse pas des briques et ne concerne que des bisbilles minables de cellule de parti. À propos de mon « Ce n'est pas un procédé rhétorique, c'est simplement une réalité historique que je décris » Tertre me refait le coup d'en rajouter une couche formaliste en niant toute réalité au phénomène. Pour lui, il n'y a pas de réalité, seulement des rapports de forces, et du plus grand formalisme adolescent, quand il déclare (21/11/2012, 22:45) :

« Bien sur... Et ce nouveau procédé rhétorique, il s'appelle comment ? » ... « C'est vrai : il y a les "sachants" (vous) et les pauvres cons (moi en l'occurrence). Sinon, je ne sais pas de quels lèche-culs et de quel parti vous parlez, mais ça à l'air de vous travailler sérieux ! »

Outre cette psychanalyse sauvage stigmatisante (procédé classique des intellos), et s'il ne voit pas de quoi je parle en parlant de lèche-culs... Après une concession sur mon : « il (Foucault) est mort en 1984 », il commence par me faire le coup (qui s'appelle précisément de la rhétorique) :

« Jusque là, pas de problème, on est d'accord sur la chronologie »

pour mieux me contredire, assez inexplicablement, sur mon « Tout ça se passait en pleine période gauchiste (collectifs sur les prisons, FHAR, etc) », il commence à déconner à pleins tubes, dans la grande tradition du pinaillage scolastique des sectes gauchistes discutaillant sur les chronologies des internationales communistes :

« Mais la, polop ! La "pleine période gauchiste (que je n'ai pas vécu) c'est entre 68 et 72. A partir de 75, c'est le "backlash" Et les années 80, l'horreur pour "la gauche de la gauche" L'arrivée de Thatcher c'est 79. Mais le triomphe complet de son "système", c'est la grève des mineurs (après la mort de Foucault, en 84/85) Et l'arrivée de Reagan, c'est 81. Mais pour moi le "point de rebroussement, c'est la révolution iranienne, avec la défaite en rase campagne de la "gauche" trotskyste. Qui s'est fait éliminer sans avoir pouvoir faire grand-chose, et assassiner jusqu'au dernier (pendant que Foucault soutenait inconditionnellement les Ayatollahs, à commencer par le plus connu d'entre eux). »

Je réponds (22/11/2012, 16:01), croyant quand même apporter quelques informations, puisqu'il disait ne pas avoir vécu la période :

« La période gauchiste, que j'ai connue à partir de 1973 ! dure plutôt jusqu'aux années 80. La période backlash, c'est plutôt les années 90, à la rigueur la fin des années 80. Mais il y a des restes et des reprises régulières à l'occasion de grandes manifs (loi Devaquet 1986, mouvement lycéen contre la loi Fillon en 2004, etc.) ou des nouvelles orientations (radios libres, écologie). Ce que je dis est que le nouveau discours, style NPA, et celui dominant sur Médiapart, est une reprise de cette époque des années 70, avec un néo-stalinisme sans Staline (URSS, Chine) comme il y a de l'antisémitisme sans juifs.
« Faut arrêter avec la rhétorique de la rhétorique. Quand je parle de procédés staliniens, je parle d'un fait qui a existé et que je déplore constater qu'il existe encore. Nier les faits est du négationnisme : nier que le stalinisme ait existé est aussi ridicule que nier que des procédés staliniens aient existé, et que de refuser de noter quand ils existent encore quand c'est le cas. (N.B. Le coup des "sachants" et des "pauvres cons" est justement un procédé rhétorique puéril et démago - pour les cons qui sont solidaires - et qui ne m'impressionne pas).
« En fait, ce qui est curieux, c'est que ce procédé stalinien s'accompagne d'un nouveau procédé, celui de l'extrême droite, qui consiste à "retourner le compliment" style "racisme anti-blancs" ou "l'antiracisme sera le communisme du 21e siècle" de Finkielkraut (sur lequel je viens d'écrire un livre contre ses dérives pétainistes). Bref, c'est bien d'être de son temps, mais ce n'est pas la peine de répéter les conneries qui sont dans l'air du temps sans le moindre recul, spécialement quand on a des prétentions épistémologiques. »

Banalement, comme aurait dit le marxisme, l'ordre ne règne pas, et la période était bien au maximalisme gauchiste du fait de la décrépitude du Parti communiste. Ben, non, il persiste le con (23/11/2012, 17:12) :

« Dire que mes arguments sont du "discours stalinien" est un mensonge, une calomnie qui participe totalement au fait de banaliser le stalinisme "réellement existant" (et que j'ai beaucoup "testé"). Le pur gauchisme de la GP dure jusqu'en 74, celui de la ligue communiste en 73. Après, c'est autre chose : la LCR nouvellement crée en 75 est saignée par la scission de 79, suite au rapprochement avec l'OCI. L'OCT (qui donnera bien plus tard quelques cadres a EELV et au front de gauche) disparaît. Le PSU ne subsiste plus que comme une association de maires... Les anars connaissent aussi de grosses crises. Et ne parlons même pas des petits groupes genre situ (qui disparaissent totalement dans les années 70) ou conseillistes. Bref, il ne reste aucun "gauchiste" en 91, ce qui va bien faire plaisir a tonton, qui va pouvoir manger tout cru le PCF... »

et sur les manifs que j'indiquais (loi Devaquet 1986, mouvement lycéen contre la loi Fillon en 2004, etc.) Il me dit :

« J'ai participé à tous ces mouvements (et a quelques autres) et le "gauchisme" était totalement "mort", bien avant cela. Bref, moi je veux bien discuter avec n'importe qui, à condition qu'il ait vraiment envie de discuter, pas d'asséner des certitudes en mode non contrôlé...  »

Bref, outre de reconnaître, sans l'admettre évidemment, qu'il y a eu des mouvements après 1972, il semble parler de pureté idéaliste d'on ne sait quel gauchisme orthodoxe. On peut comprendre que ce type peut être trotskyste (ou maoïste) qui idéalise l'époque précédente à la sienne. Et les trotskystes n'aiment pas qu'on les traite de staliniens. Mais c'est plutôt une tradition chez les anars qui considèrent que Trotsky est un Staline qui s'est fait éliminer, comme d'autres, mais qui, en tant que chef de l'Armée rouge, avait massacré les marins de Kronstadt et ne valait pas mieux que l'autre. Mais ce n'était pas la question. Comme je le lui dis (23/11/2012, 22:33) :

« Ce n'est pas toi seul qui décide, ma poule. Je n'ai pas parlé du gauchisme orthodoxe juste post 68art. La manif de Creys-Malville, c'était en 1977, Naussac en 1978. Action directe, c'était entre 1979 et 1987. J'ai également cité les manifs postérieures qui ont bien fait la une et généré les militants actuels plus jeunes. La différence est qu'après 1981, avec la gauche au pouvoir et la régionalisation, les associations ont été de plus en plus subventionnées, ce qui a institutionnalisé les militants qui ont fait de la politique professionnelle. Mais Médiapart montre que le discours de fond n'a guère évolué.
« Pour le discours stalinien, je maintiens. Tu as été contaminé, ma poule. D'autant plus que ce que je disais initialement était juste factuel et documentaire (sur Stirner). Mais le mot "individualisme" déclenche des S-->R staliniens. Ma thèse personnelle est que justement, sous le masque du collectif, c'est le seul intérêt personnel qui existe dans les partis de gauche et d'extrême gauche ("idéologie" selon Marx). »

J'ai parlé dans mon précédent livre, Philosophie contre intelligence artificielle (disponible en ligne), du déclenchement automatique de réactions de désenvoûtement en face de termes tabous, ici, le libéralisme (dans mon texte, à propos des termes analytiques exorcisés par ce que j'avais appelé un « Délire holiste », voir chapitre 1).

En fait, j'aime de plus en plus dire « ma poule » (en hommage à Coluche). Car le mec me répond in petto (24/11/2012, 00:38) : « Je ne suis pas votre poule. » MDR ! Et il poursuit, toujours dans le délire pontifiant :

« Et ça démontre très bien ce dont je parlais. C'est là où on passe du "gauchisme" aux écolos, qui n'ont rien a voir (demandez donc à Ivan Villa). Quant à Naussac, il n'y a pas le moindre commencement de début d'un rapport avec le sujet, mais c'est pas grave. Quant à "Action Directe", qu'est donc cette organisation sinon le résultat du pourrissement total de l'extrême gauche maoïste (dont sont issu la plupart de leurs militants).
« Ta thèse personnelle, mon petit cabri, est d'une stupidité et d'une crétinerie que je n'ai que rarement rencontré (et pourtant avec Melchior Labûche on a affaire a forte partie) ni à Médiapart, ni même ailleurs. Les émissions du genre "pêche et traditions" que TF1 diffuse à trois heures du matin sont plus intéressantes que cette logorrhée qui puise dans les bas-fonds de ce que je n'ose appeler pensée. »

Outre que j'ai n'ai pas à demander à une autorité extérieure agrée par lui de m'informer sur ce que j'ai connu, on remarque ici (au cas où on ne l'aurait que « rarement rencontrée ») que la science marxiste indépassable considère toujours ce qui n'est pas elle comme une non-pensée. Et c'est surtout du pinaillage intello sur ce qu'on peut appeler « gauchisme ». Je parle plutôt des continuités que des ruptures conceptuelles arbitraires. Naussac était un barrage auquel les paysans s'opposaient, avec une grande manifestation en 1978, comme d'autres paysans le firent contre le camp militaire du Larzac, avec des manifestations en 1971, 1972, 1973, 1974, 1977, ou comme actuellement l'aéroport de Notre-Dame des landes. On peut ne pas appeler ça du gauchisme, mais les personnes présentes avaient bien l'impression d'y correspondre. C'est d'ailleurs ce qui fait des écolos des gauchistes encore aujourd'hui. Et je n'ai parlé que de quelques luttes politiques de l'époque.

On se dit qu'il faudrait quand même foutre quelques torgnoles à ces petits jeunes qui croient tout savoir pour leur apprendre le respect des anciens. Puisque c'était le sujet initial, on voit que Tertre a grandi dans l'époque yuppie qui foutait les vieux au rencard en restructurant les entreprises. Mais c'est un peu fatigant (même si les vieux ne se laissent pas faire). Je lui réponds : (24/11/2012, 11:10 ) :

« Ouais, en somme, tu sélectionnes ce que tu veux et tu [alors] as raison. C'est pas toi qui parles de méthodologie scientifique d'habitude ? Quant au pourrissement, la GP, le PCMLF, c'était pas du pourrissement intello du mouvement communiste. Ne me fais pas rigoler.
Sur ma thèse : Ce n'est donc pas l'intérêt personnel qui guidait les individus que sont les staliniens qui éliminent leurs concurrents. C'est la cause du peuple et l'intérêt général ? MDR. C'est ça le pb avec les idéalistes (staliniens), ils finissent par croire ce qu'ils racontent. Bon, je te laisse avec la secte. Regardez-vous bien le nombril en vous congratulant réciproquement. Tchao, ma poule ! »

Et le con insiste. Putain ! Il nous fait quoi là (24/11/2012, 12:32) :

« Non Ta "thèse" (si on peut appeler ça une thèse) est un "gauchisme" qui court de 68 aux années 80. Tous les exemples dont on a discuté montrent que tu as tort. Montre-moi un argument qui te donne raison... »

Je sais pas ce qu'il te faut, connard. Et sur mon « C'est pas toi qui parles de méthodologie scientifique d'habitude ? », on peut comprendre dans sa réponse la cause de ce qu'on pourrait considérer comme un malentendu, si ce n'était pas une connerie totale. Il considère sans doute que la sociologie politique, sur laquelle porte le billet sur Foucault, n'est pas une science, puisque Tertre est un « scientifique », c'est-à-dire un fan des sciences naturelles. Ce qui ne l'empêche pas d'être plus idéologique contre les scientifiques qui contestent la méthodologie des expériences récentes de Séralini contre les OGM. Il argumente :

« Oui. Et il me semblait assez clair que la méthodologie scientifique avait surtout sa place (et son efficacité) dans un débat scientifique. Or là on est dans un débat politique. On peut certes "s'inspirer" plus ou moins de la méthodologie et surtout de la prudence des débats scientifiques (quand ils ne sont pas pollués par des enjeux étrangers à leur domaine) mais je refuse une incertaine "méthode scientifique" dans le débat politique, contrairement à ce que tout un mouvement "positiviste" (puissant y compris dans les mouvements marxistes en France) pourrait le laisser croire. »

Inutile de dire que je suis un individualiste bobo libéral-libertaire ultra-positiviste, ça fait beaucoup. Et il poursuit, à propos de l'intérêt personnel, avec la scolastique définitionnelle comme méthode de négation des arguments d'autrui :

« Encore faut-il préalablement définir ce qu'on appelle "intérêt personnel". Mais un "individu", selon moi, se définit d'abord par un "intérêt personnel" (ce qui fait qu'il a un comportement différent du groupe, et de son "intérêt collectif") Qu'il soit au PCF ou un valeureux combattant "antistalinien" comme moi. Et je ne parle pas de ton propre intérêt personnel à définir toute personne qui critique ta simili analyse... Tu es encore plus drôle et caricatural que les prétendus staliniens que tu prétends dégommer en reprenant leurs méthodes et même leur vocabulaire. « Tchao, ma poule ! » Ce genre de propos est tout à fait symptomatique des staliniens pur jus. Tu as fait partie du SO de la CGT dans ta jeunesse ? »

Ce discours ne me paraît pas très clair sur l'individualisme. Je parlais simplement du fait que les staliniens au pouvoir, qui éliminent des concurrents, sont bien, tous tant qu'ils sont, des individus qui agissent dans leur propre intérêt ou pour leur simple survie individuelle (ambiance Copé/Fillon pour la présidence l'UMP). Décidément, la question de la reconnaissance de la réalité individuelle n'est pas le fort de la gauche. Ils considèrent sans doute, comme le Merleau-Ponty d'Humanisme et terreur, que ce sont des « lignes » ou des « intérêts de classe » qui s'affrontent, conformément au dogme. Mais je n'adhère pas à cette vision que je considère comme de l'« idéalisme historique ».

Sur ce, j'arrêtais la discussion sur le billet de Lagasnerie, car je trouvais que ça déviait trop, même si, au fond, c'était bien dans l'ambiance des discussions gauchistes à l'époque de Foucault, de 1972 (arrêtées en 72 : MDR !) à sa mort en 1984. Ce qui vaut doublement réfutation. Mais j'ai voulu continuer la discussion en courrier privé :

Moi : (résumé) Tu sélectionnes ce qui t'arrange et ma thèse concernait surtout les éliminations des staliniens qui se font bien par intérêt personnel Et, sur la CGT, je n'ai rien a voir avec les organisations politiques qui fonctionnent en terme de conformisme.

Lui : Don't feed the trolls

Moi : Tu continues ! Un troll n'est pas quelqu'un avec qui tu n'es pas d'accord. Ca, c'est la pratique des organisations pour éliminer la contradiction et les minorités. Le marxisme t'a vraiment pourri la teuté.

Lui : Don't feed the trolls

Moi : Essayer de faire taire les opposants. Confirmation expérimentale. Tu vois, ma poule, c'est ça la science!

Lui : Don't feed the trolls

Moi : Ça marche beaucoup mieux que Seralini ! Je devrais le montrer à Pracontal !

Lui : Don't feed the trolls

Bref, ce type me donne la confirmation que sous des dehors apparemment pleins de bons sentiments, les marxistes de son genre sont vraiment puants dès qu'on résiste à leurs dogmes. Leur méthode consiste à empêcher que s'exprime tout ce qui n'est pas dans la ligne. Ils ne s'intéressent à rien d'autre qu'à éliminer autrui comme l'expérience historique l'a montré. Ce n'est pas un accident de l'histoire. Les stratégies collectives ne sont pour eux qu'un moyen dans ce but. Et pour cela, ils falsifient la réalité et les données factuelles élémentaires sans aucun scrupules en se revendiquant de la science, sans doute parce que la science est une instance de légitimité, et uniquement pour cela. Leur seule excuse est sans doute qu'il s'agit pour eux d'une stratégie de survie dans un monde où ils croient que les autres veulent prendre la place qu'ils savent usurper puisqu'ils ont éliminé ceux qui la méritaient. L'ironie de l'histoire est aussi qu'ils s'éliment entre eux.

On comprend que Marc Tertre refuse le positivisme (qui a certes donné le bâton pour se faire battre). Tout élément de connaissance simplement factuel contredit forcément les dogmes qu'il faut préserver. Le danger est la pensée individuelle qui ne se soumet pas à la norme du collectif que ce genre de type prétend représenter en croyant parler pour autre chose que pour lui-même. Ce qui est risible est que ce comportement se manifeste à vide dans des groupuscules sans aucune influence qui prétendent en permanence représenter le peuple qui les ignore ou les considère comme les bobos qu'ils sont aussi, même s'ils ne veulent pas l'admettre : leurs critères d'analyse « prolétariens » sont périmés, et surtout il faut bien démolir les autres bobos avec lesquels ils sont en concurrence. Méthode habituelle des groupuscules.

J'ai bien peur que cette réalité observable soit un trait pathologique de la mentalité de la gauche française. Mais on pourrait aussi la limiter à un biais professionnel de professeur qui sont confrontés à un public captif sur lequel ils ont autorité. Leur statut et leur habitus, comme dirait Bourdieu, ne leur donnent aucune compétence pour discuter avec des adultes libres qui n'ont pas à leur obéir, bref, avec des individus.

On peut aussi y voir dans cet autoritarisme une explication de la bonne conscience « avant-gardiste » du stalinisme (qui rejoint celle du fascisme). J'ai considéré ailleurs que c'était dû à la gestion, par ces anciennes élites populaires (ascenseur social), de masses peu éduquées (1% de bacheliers en 1900, 4% en 1935, 15% en 1970). Ce n'est plus le cas (65% en 2000). Cela produit une capacité d'opinions personnelles informées qu'on ne gère plus de la même façon. Les discréditer en les traitant de bobos/petits-bourgeois méprise le résultat de l'éducation que les générations précédentes considéraient comme l'objectif à atteindre (ce qui rejoint la stigmatisation des banlieues par Finkielkraut). C'est fait. La base sociale n'est plus l'économie et la gestion de la production (Debord disait que c'était déjà torché en 1967), c'est l'autonomie individuelle.

Jacques Bolo

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