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Économie / Politique - Septembre 2012

« L'État ne peut pas tout ! »

Résumé

La crainte du chômage correspond à son niveau de stigmatisation. L'État confond politique sociale et politique industrielle. Le volontarisme n'est pas l'esprit d'entreprise. Dans la concurrence internationale, le clientélisme n'est pas la solution.

Comme je le disais dans un article précédent : « contrairement au refrain actuel sur les classes populaires de souche, on a pu constater que les ouvriers de l'automobile comptaient bien de nombreux immigrés (...). Concrètement, cela devrait signifier qu'ils sont cuits. Ça tombe bien, l'époque n'est pas à l'assistanat pour les pauvres. »

On comprend l'angoisse des ouvriers de PSA qui risquent de se retrouver au chômage dans la situation actuelle, à leur âge (pour la plupart), avec leur type de qualification. Mais je dois avouer que j'ai éprouvé un certain malaise à attendre certaines de leurs déclarations. J'ai eu un peu l'impression qu'ils craignaient surtout de rejoindre les rangs des « assistés », des « fainéants », tant le discours actuel est assimilé par tout le monde. J'ai déjà parlé de ce phénomène. Le consensus français de « préférence pour le chômage » a fait refuser le partage du travail avec partage du salaire. Je disais que ceux qui en ont profité ne pourront pas se plaindre quand ça leur retombera sur la gueule.

On peut se rappeler la citation de Jospin, « l'État ne peut pas tout » en 2000, quand il était premier ministre. Elle avait sans doute pesé lourd avant l'élection présidentielle en 2002. Certains n'en ont pas encore compris la portée. Ils espèrent toujours que l'arrivée de la gauche au pouvoir signifie un retour de la « volonté politique » contre la « dictature des marchés ». On croirait qu'ils regrettent l'omniprésence médiatique de Sarkozy qui voulait aller chercher la croissance avec les dents. On peut se demander si sa seule efficacité n'aura pas été de faire retarder de quelques mois, par ses amis patrons, les plans de licenciements auxquels nous assistons aujourd'hui.

Montebourg veut aller chercher les emplois avec les dents
Montebourg veut aller chercher les emplois avec les dents

Les employés et les syndicats de PSA, Gandrange et autres entreprises en difficultés comptent sur l'État pour sauver leur entreprise. C'est confondre politique sociale et politique industrielle. On ne voit pas au nom de quoi l'État interviendrait dans la gestion d'une entreprise privée, spécialement quand on lui reproche de sauver les banques. L'intervention sur les banques visait à remédier à un effondrement du système (on aurait pu les laisser faire faillite comme Lehman Brothers). Mais que certaines entreprises s'en sortent mieux que d'autres est dans l'ordre des choses. Aider une seule entreprise, même symbolique, revient à accorder des subventions qui bénéficieraient au final aux actionnaires, dont les gestionnaires ont pris les mauvaises décisions. On a vu que le rapport demandé sur la situation de PSA confirmait qu'il y avait bien eu des erreurs de stratégie et surtout une surproduction automobile en Europe.

Et tout ça pour quoi ? Va-t-on nous refaire le coup de la prime à la casse ? La dernière fois, des automobiles encore viables sont parties à la ferraille pour relancer le commerce. C'est le résultat de la confusion entre politique sociale et politique industrielle. On n'achète pas des voitures pour donner du travail aux ouvriers. La politique industrielle consiste à prévoir les débouchés de la production. Que l'entreprise soit publique ou privée ne change absolument rien à l'affaire. Une entreprise publique aurait pu aussi faire une erreur de stratégie. Actuellement, le marché de l'automobile en Europe est un marché de renouvellement. Le but d'une politique industrielle n'est pas de renouveler plus vite en inventant les automobiles à jeter.

Contrairement à ce qu'on entend, la désindustrialisation ne correspond pas à une délocalisation, mais avant tout à l'augmentation de la productivité : dix à vingt fois moins d'ouvriers qu'avant-guerre par automobile produite, dans un marché qui n'est plus en expansion. C'est ça la dictature du marché. Ce n'est pas la dictature « des marchés » (de la bourse), qui ne signifie rien. Si l'entreprise était publique, elle aurait le même problème d'exploitation non déficitaire, à moins de faire payer les employés de l'automobile par l'impôt, c'est-à-dire par les autres secteurs. Ce qui revient à « socialiser les pertes ». Ce n'est pas mieux pour les uns que pour les autres.

Ce qu'on appelle « la crise » (comme celle des subprimes) est simplement l'échec de la méthode « keynésienne » qui consiste à faire relance sur relance pour maintenir l'emploi sans se soucier des débouchés. La décentralisation a accentué ce phénomène en confondant aménagement du territoire et clientélisme. La Crise grecque ou espagnole a généralisé la méthode au niveau de l'Europe. Les politiques croient créer des emplois en créant de la dette. Les économistes en rajoutent dans la bêtise en disant que l'effacement de la dette fait partie du système (la guerre aussi), alors que le problème résulte surtout des inégalités initiales.

Mais produire sans une demande solvable revient, économiquement parlant, soit à faire semblant de travailler (emplois fictifs), soit à constater que l'attribution des ressources ne fonctionne pas correctement (subventions). C'était longtemps la situation institutionnelle de l'Europe avec la politique agricole commune. On accompagnait la mutation de l'agriculture en subventionnant le départ progressif à la retraite des petits exploitants. Tant qu'à faire, l'erreur de la politique européenne a sans doute été de ne pas procéder de la même façon, secteur par secteur, mais d'avoir voulu tout faire à la fois. Tout le monde veut sa subvention pour maintenir son statut de petit propriétaire de son emploi, en se foutant complètement de ceux qui sont laissés sur le bord de la route. Mais la limite est que cette stratégie globale et généralisée à tous les pays a tendance à trop charger la barque. On est actuellement dans la situation d'un ferry du sud-est asiatique surchargé dans le mauvais temps. Il ne suffira pas de changer le capitaine.

Jacques Bolo

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