Après la défaite de Sarkozy à la présidentielle 2012 et celle de son camp aux législatives qui ont suivi, les langues de bois ont commencé à se délier à droite. Chantal Jouanno avait pris ses distances un peu avant les élections, en apportant un soutien à Sarkozy, mais en critiquant l'attitude du président sortant à son égard et ses revirements sur l'écologie. Inutile de dire qu'elle a été rappelée à l'ordre par ses collègues. D'autres ont attendu les deux défaites pour se démarquer de la stratégie qu'ils avaient pourtant avalisée, au moins par docilité.
L'interprétation de la stratégie de droitisation continue de faire débat. On peut considérer, avec la droite Zemmour, que la stratégie droitière du conseiller Patrick Buisson a failli réussir. Sarkozy partait battu à 40/60, il obtient plus de 48 %. Si on considère qu'il a pâti de l'abstention d'une partie des électeurs de Marine Le Pen et du soutien de Bayrou à François Hollande au dernier moment, ce n'est pas trop mal. Mais la plupart des électeurs de ces deux candidats ont quand même voté Sarkozy, et une bonne partie des électeurs de l'UMP a plébiscité l'alliance avec le FN aux législatives. La droite est toujours là, et elle se droitise, même si la droite populaire a perdu beaucoup de députés, qui étaient dans des circonscriptions plus difficiles.
Idéologie ou sondages
Nathalie Kosciusko-Morizet a mis les pieds dans le plat contre Buisson qui n'aurait pas essayé de faire gagner Sarkozy, mais Charles Maurras. Mais Sarkozy a suivi cette tactique parce qu'il pensait qu'elle était gagnante. Et surtout, il a voulu jouer comme il avait gouverné : en s'appuyant sur les sondages, dont Buisson était l'expert à demeure. La droite est pragmatique. Le but du jeu, c'est de gagner. Le principe des sondages permet de savoir où en sont les électeurs. Il suffit de trouver les bonnes thématiques pour chercher des majorités, en clivant au profit de son camp.
On a tort de s'offusquer. En fait, c'est ce qui s'est toujours passé. C'était plus artisanal et à l'instinct auparavant. Aujourd'hui, c'est plus méthodique. S'il subsiste une droite et une gauche, c'est sur ce principe du clivage. Le jeu idéologique était fondé sur des publics supposés captifs. C'est encore le cas. Il y a toujours eu une droite libérale et une droite dure, une gauche libérale et une gauche archéo. On peut raisonner en termes d'idéologiques, mais il s'agit précisément de clivage. Aujourd'hui, le réglage plus fin permet de cibler des thématiques concrètes.
La véritable nouveauté est plutôt que Sarkozy a gouverné par le même moyen. Il n'a pas hésité à piquer des thématiques à la gauche quand ça l'arrangeait. Mais du coup, il s'est trouvé en campagne électorale permanente. On n'a pas bien vu la différence au moment crucial. François Hollande a fait le minimum, comptant essentiellement sur le rejet du sortant. Mais la gauche de la gauche a aussi joué au jeu d'une identité idéologique plus marquée malgré un relatif émiettement.
Communication et populisme
Quand on critique la droitisation des politiques, on oublie qu'elle résulte de la droitisation du corps électoral. C'est ce qu'on pourrait appeler une avancée démocratique. Mais c'est une erreur. Au niveau politicien, c'est de la démagogie. On en a vu la manifestation parfaite avec les équipes de spins doctors de Tony Blair et Georges W. Bush. Quand on parle de démocratie, on fait référence à l'opinion publique. Le problème de la politique est autre. Il faut toujours prendre des décisions qui dérangent ou qui arrangent certains et pas d'autres.
L'ennui est que la communication ne suffit pas, parce que la réalité existe. D'autant qu'Internet a fourni un feed-back immédiat qui ne permet guère les stratégies à long terme. Aujourd'hui, la démocratie est déjà participative. Et les grosses ficelles passent mal à la rediffusion. Cette nouvelle politique de communication dérape. Les sondages sont orientés. On n'a pas une image de l'opinion. On essaie de faire correspondre l'opinion au programme. Mais justement, il n'y a plus de programme quand on suit l'opinion.
C'est l'erreur du populisme et des communicants. La politique ne consiste pas seulement à faire plaisir à une clientèle. Ça, c'est pour les élections. Au final, il faut bien faire les comptes. La droite était censée être plus gestionnaire et élitiste et la gauche plus solidaire et populaire. Avec l'augmentation du niveau culturel, les différences se sont atténuées. La droitisation à gauche correspond à la nécessité d'assumer la gestion, ce qui est toujours aussi mal vu par la gauche rétro. La droitisation de la droite correspond à la démagogie qui consiste, pour l'élite, à se prétendre populaire. C'est ce qu'on reproche à la gauche caviar. Bizarrement, ça marche seulement contre la gauche. Ce qui signifie donc bien que c'est la gauche qui est censée être populaire.
Fin de règne
La droitisation de la droite signifie que la modernisation de la droite a échoué. Ça a raté avec Chirac, ça a raté avec Sarkozy. Elle régresse toujours au nationalisme qu'on peut admettre comme populaire, mais qui ne correspond plus à la réalité. L'erreur du nationalisme est toujours qu'il constitue la même solution démagogique partout dans le monde. On critique le dumping chinois et on propose une dévaluation. La réalité économique de la question du nationalisme se réduit à la question des petits pays contre les grands pays, elle correspond à la situation des petits commerçants contre les grandes surfaces. La France est un pays moyen qui a les deux inconvénients (ou les deux atouts si elle était plus optimiste).
la droite, comme la gauche, n'a pas de solution. On invoque les « politiques industrielles », mais comme je l'ai déjà dit, ce sont Apple et Samsung qui ont une politique industrielle. Il reste pourtant quelques grands groupes industriels en France, mais le marché est mondial, et l'idéal protectionniste n'y prépare pas. En France, on s'intéresse davantage à ce qui ne marche pas qu'à ce qui marche. La ligne Maginot est toujours l'idéal national.
La droite avait plébiscité Sarkozy parce qu'il manifestait une sorte d'énergie prometteuse. On a oublié que c'était déjà le cas de Chirac. Mais leur dynamisme était surtout électoral. La crise n'a pas arrangé les choses, mais la solution n'était pas politique. La tendance autoritaire de la droite et étatiste de la gauche néglige toujours le rôle de la société civile. Le clientélisme de droite s'est illusionné sur les capacités d'initiative des patrons qui ont simplement profité d'effets d'aubaine. Celui de gauche va charger la barque. Le clivage politicien comme mode de gouvernement montre simplement l'incompréhension de la nécessaire neutralité de l'État pour garantir l'intérêt général.
La démagogie favorise systématiquement les imbéciles et les lèche-bottes. La concentration des pouvoirs génère des courtisans. La décentralisation a multiplié le problème au niveau local au lieu de le résoudre. Le sentiment général de désenchantement repose sur l'expérience quotidienne de ces mécanismes de falsification par ceux qui y participent. Le jeu social consiste à faire semblant de ne pas savoir, mais il suppose donc qu'on en connaît le principe. Tout le monde a toujours su que les rois étaient nus.
Jacques Bolo
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