Décidément, les gens sur Médiapart ne savent pas lire. Trois blogueurs (au moins) prennent la peine de rédiger un article pour s'attaquer au billet de Patrick Besson, paru dans Le Point du 24 mai 2015, et judicieusement intitulé « Pourquoi attendre avant de se fâcher avec le nouveau pouvoir ? ». C'est son créneau. Il faut bien qu'il montre qu'il n'est pas de gauche, ou qu'il essaie de faire rire son public de droite pour garder son job au Point. Zemmour pourrait lorgner la place.
Après un paragraphe un peu mou sur François Hollande, Besson se lance sur le thème de la parité, pour fêter l'arrivée de 17 femmes ministres pour 17 hommes ministres, en ces termes : « Ça fait un peu partouze straight ». C'est un peu lourdingue, mais ça fait le buzz. Bien joué, ya que ça qui compte !
Ce genre de blague a déclenché les réactions en question et de nombreuses autres dans la presse. La meute des commentaires a fait chorus contre l'horrible macho qui ose s'attaquer à toutes les femmes du gouvernement (à la fois !) après avoir lâchement imité l'accent d'Éva Joly pendant la campagne. Dans les deux cas, il n'a pas été compris. Dans le cas précédent, c'était normal : en remplaçant des lettres pour imiter un accent inspiré de l'allemand, ce n'était pas très facile à suivre. Cette fois, c'était plus clair.
Le crime de lèse féminité de Besson se résume à quelque chose comme : « Avant, les épouses de ministres étaient tranquilles : il n'y avait presque que des hommes dans le gouvernement. Maintenant, elles ont du souci à se faire, surtout avec les canons dont s'est entouré Jean-Marc Ayrault. »
Pas de quoi fouetter une chatte. C'est même plutôt flatteur, mais ça heurte la grande sensibilité des partisans du nouveau gouvernement. Apparemment, ça va pas trop rigoler les cinq prochaines années ! Déjà que les comiques se plaignent en riant (jaune) d'avoir perdu le bon client qu'était Sarkozy. Mais le problème est ici qu'on semble ne pas avoir le droit de plaisanter à propos de femmes. C'est quand même exagéré puisque, évidemment, ce n'était pas une critique réaliste, mais une plaisanterie potache aussi lourdingue que celle de Guillon sur DSK, à France Inter, où il disait en substance, « DSK arrive, planquez les filles. » Bon, dans ce cas, ça s'est plutôt avéré exact. On verra !
On peut toujours ne pas aimer l'humour de Besson, mais il ne faut pas faire de contresens. Comme j'ai manifesté mon désaccord avec les interprétations qui tournaient au lynchage délirant, je n'ai pas été bien accueilli. Apparemment, la gauche ne supporte pas non plus la contradiction. Moi, ce que je ne supporte pas, c'est que des gens qui ne savent pas lire se permettent de donner des leçons.
Une Françoise Delepine croit prouver le sexisme avec : « Et la partouze, ça vient à l'idée d'en parler à propos des ministres masculins ? ». Je lui réponds : « S'il n'y avait pas d'hommes avant et qu'ensuite il y en a, ce serait une idée qui viendrait à l'esprit. L'absence de sexisme ne consiste pas à nier l'existence de la sexualité (surtout après l'affaire DSK...). »
On croit alors bon de me reprendre sur le fait que j'ai dit « il n'y avait pas de femmes », alors que j'ai voulu dire, évidemment, « il y en avait moins ». J'ai ajouté qu'il faudrait arrêter de faire l'instit et de considérer tout le monde comme des enfants qu'il faut reprendre. Et surtout, il faut faire une analyse spécifique du genre humoristique. Ce dont, apparemment, certains ne sont pas capables qui se croient autorisés à ouvrir leur grande gueule. On se demande de quel droit : parce qu'ils sont au pouvoir ? Ça promet !
Justement, Le Monde du 26 mai 2012 signale un cas semblable en Inde, sous le titre « L'humour à la peine en Inde ». Un manuel scolaire avait utilisé le dessin de 1949 d'un humoriste indien célèbre, « le dessinateur Shankar Pillai (1902-1989), qui fut un des maîtres de la caricature de presse en Inde entre 1940 et 1980 ». Le dessin représentait un dirigeant intouchable (dalit), le juriste Bhimrao Ambedkar (1891-1956), monté sur un escargot, tandis que Nehru, un des fondateurs de l'Inde moderne, se tenait derrière avec un fouet pour symboliser que la rédaction de la constitution avançait lentement. Cela a été perçu comme un scandale par les militants dalits actuels qui ont vandalisé le bureau du rédacteur du manuel et le gouvernement a retiré le livre du programme.
On parle aujourd'hui, dans les cas de ce genre, de « politiquement correct », pour signifier qu'on n'a pas le droit de critiquer les Noirs, les Arabes, les Femmes, les juifs, les dalits, etc. Notons au passage que la condescendance est aussi du racisme ou du sexisme. Mais ce n'est pas ça le problème. Le problème est la simple compréhension. Tolérer le contresens est devenu la norme.
L'auteur d'un des billets anti-Besson, Dominique Bry, répondra à mes critiques : « J'ai tourné le billet de Patrick Besson dans tous les sens pour y déceler un second degré bienvenu, j'y ai passé du temps, je n'en ai pas trouvé. » Il n'y a pas de quoi être fier de ne pas comprendre. Ce qui est pourtant apprécié de la meute qui s'acharne contre Besson et quiconque résiste.
Ne parlons même pas du côté scandaleusement anodin du billet humoristique de Besson, comme ce fut également le cas pour Guillon sur DSK. Je ne parle pas des affaires suivantes où Stéphane Guillon et Didier Porte se sont livrés à une surenchère qui a provoqué leur renvoi. Il est vrai que les humoristes actuels vont de plus en plus loin, au point de sortir du cadre. Et ils en sont généralement conscients. Il s'agit alors d'une affaire de positionnement d'audience pour une chaîne grand public (par opposition à un spectacle de scène). Le problème est d'être clair sur le niveau où l'on met le curseur quand on profite des provocations pour faire de l'audience.
Dans ces affaires, on voit bien qu'il s'agit d'un crime de lèse-majesté : « On ne plaisante pas avec ça ! ». Comme en plus, il est question de sexualité (réelle dans le cas Guillon, par analogie avec « parité » chez Besson), on voit que ça chatouille toujours certains de ce côté-ci. C'est une pudibonderie d'une autre époque qui semble faire un retour remarqué.
Le problème aujourd'hui est l'interprétation de la notion de « président normal ». Est-ce que cela signifie que les politiciens sont des personnes normales (dont on peut se moquer) ou qu'ils sont au-dessus du lot commun, sur le modèle gaullien d'un monarque républicain ? Est-ce qu'on va revivre les interdictions de Hara-kiri ?
Je crains surtout qu'il faille supporter les donneurs de leçons pontifiants de gauche après avoir supporté les lèches culs de droite. De ce point de vue, je préférais la droite. J'avais bien aimé quand un d'entre eux, dans l'affaire de l'EPAD, avait dit que Jean Sarkozy était un génie politique, comme son père. Au moins, c'était plus rigolo. Avec la gauche, ça fait un peu lynchage stalinien, « vipères lubriques » et compagnie.
Sur ce point, depuis que je lis Médiapart, je ne m'étonne plus de la magnifique créativité des staliniens de la grande époque dans l'hystérie collective. Je pensais que c'était dépassé. J'avais tort. Ce genre de connerie persistera toujours.
Jacques Bolo
Billets d'origine :
Patrick Besson : « Pourquoi attendre avant de se fâcher avec le nouveau pouvoir »
Dominique Bry : « Epithètes à claques » (Trop drôle !)
Claude Lelièvre : « Les femmes ministres à l'index? »
Christian Salmon : « Ah! Taubira, ça ira, ça ira »
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