Alain Badiou, le plus grand intellectuel français, autant dire de la galaxie, se tire une balle dans le pied avec son billet, « Le racisme des intellectuels », dans Le Monde du 5 mai 2012. Contre l'interprétation du vote FN en terme de populisme visant : « la France des gens d'en bas, des provinciaux égarés, des ouvriers, des sous-éduqués, effrayée par la mondialisation, le recul du pouvoir d'achat, la déstructuration des territoires, la présence à leurs portes d'étranges étrangers, [qui] veut se replier sur le nationalisme et la xénophobie », Badiou dixit. Il se croit malin en accusant les élites intellectuelles (sauf lui). En fait, il nous l'a joue cour de récré sur le ton de « C'est celui qui dit qui est ! ». Autant nous dire : « Et puis d'abord, mon papa, il a une Juva quatre ! »
Comme un prof de philo se doit de faire le service minimum, on a droit à l'étymologie de « populisme », dont je disais : « au cas où l'on n'aurait pas compris que ça vient de "peuple" ». Mais il nous fait la totale avec la référence à Brecht : « le peuple a trahi la confiance du régime ! [...] ne serait-il pas plus simple pour le gouvernement de dissoudre le peuple et d'en élire un autre ! ». Il y a plus d'un an, je considérais ce truc éculé comme simplement démago et je répondais : « Ben, pourquoi pas ? Si le peuple se trompe, j'emmerde le peuple ! »
On peut être d'accord avec Badiou quand il dit que les politiciens de gauche et de droite ont voté des lois contre les immigrés ou refusé de les abroger. Mais c'est précisément par démagogie. Quand il pointe Finkielkraut, sans le nommer, comme idéologue identitaire, il oublie de mentionner qu'il est le porte-voix de la France profonde, rétro et moisie. Toujours ce souci de courir après le peuple. Et Badiou suit.
Outre le rousseauisme qui dédouane le populo pour accuser ses mauvais maîtres, on reconnaît bien chez Badiou le discours communiste orthodoxe qui dit que le racisme (« contradiction secondaire ») est réductible à la question économique (« contradiction principale »). J'ai déjà parlé de ce quasi-négationnisme de gauche.
On peut être d'accord avec Badiou sur l'indigence actuelle des intellectuels et du discours politique. Mais ce ne sont donc pas ces intellectuels incompétents qui sont responsables. Les responsables sont bien les chercheurs supposés compétents dont je disais qu'ils « se sont repliés sur la "reconnaissance par les pairs" (comme je l'ai montré à propos de Bourdieu lui-même). Et ils s'étonnent ensuite de l'indigence médiatique. »
L'élitisme républicain s'est progressivement fossilisé en noblesse bureaucratique. Conjoncturellement, l'explosion des médias a fait que les programmes de qualité n'ont pas pu suivre et les créateurs médiocres qui auraient été éliminés se sont maintenus. Le manque de renouvellement les a protégés de la concurrence. Une autre cause conjoncturelle a été l'allongement de la durée de vie depuis les années 1970.
J'avais interprété le rejet des gauchistes par les communistes en Mai 68 comme une défense des élites ouvrières autodidactes contre les jeunes intellos mieux formés. Les populistes de gauche et de droite réunis nous refont le coup contre les bobos. Ces derniers ne sont pas parfaits. Claire Brétécher s'en moquait déjà dans les années 70. Mais c'est ça ou les beaufs.
J'ai montré le malentendu qui s'analyse par le principe Iznogoud (cf. « Paris n'est pas toujours Paris »). Comme aurait dit Bobby Lapointe : « Comprend qui peut ! ».
Jacques Bolo
|