Ceux qui ne l'ont pas vu venir se sont trompés
Le premier tour des présidentielles 2012 nous donne Marine Le Pen à 17,90 %. Elle n'est pas au deuxième tour, mais comme elle contrôle l'élection, c'est tout comme. Si toutes les voix FN, Bayrou (9,13 %), et Dupont-Aignan (1,79 %) se portaient sur Sarkozy (27,18 %), la droite aurait donc 55 %. des suffrages. Mais ça ne sera sûrement pas le cas. Depuis Mitterrand, la droite est divisée grâce à la présence du FN. La stratégie qui consiste à tout miser sur l'immigration est finalement un mauvais calcul pour elle, et un bon calcul pour la gauche. À qui profite le crime ?
Inversement, avec les sondages de la semaine précédente, j'avais noté (dans un commentaire sur Médiapart), qu'il aurait été amusant que Mélenchon, les gauchistes, les écolos, plus Bayrou s'allient sur le principe du « Tous contre Sarkozy » en décidant de se désister pour Hollande. Il serait passé au premier tour. Ça nous aurait fait économiser du temps et quelques angoisses pour les candidats. La presse n'aurait pas aimé. Mais puisqu'on parle d'économies...
Sauf retournement de dernière minute, ou grosse gaffe de Hollande, Sarkozy va être battu malgré une majorité à droite. Une partie des électeurs de Bayrou ou Le Pen va s'abstenir au deuxième tour. Si c'est 10 %, droite et gauche sont à égalité à 45 %. Mais une autre partie va voter Hollande. On parle de cinq ou six pour cent ou plus. Cela donne minimum 40 % à droite et 50 % à gauche (avec 10 % d'abstention). Soit un score final de 40/90 = 44,5 % pour Sarkozy, et 50 / 90 = 55,5 % pour Hollande.
Si c'est le cas, la stratégie du président Sarkozy aura échoué, et il est un peu coincé entre les deux tours. Même en durcissant sa campagne pour récupérer les voix FN, de trop nombreux électeurs FN trouveront que ce n'est pas assez ou ne lui font plus confiance. Sa seule solution serait de prendre Marine Le Pen comme Première ministre 27+18+1,7 = 47 %. Mais il perdrait probablement une partie de son électorat centriste et ne récupérerait pas les voix de Bayrou. Il pourrait cependant espérer que les abstentionnistes de droite se mobilisent. Mais d'autres se mobiliseraient à gauche. C'est mal barré.
Sarkozy est sans doute parti de trop bas. On peut penser qu'il n'aurait pas dû se représenter. Mais qui d'autre ? Une solution aurait été Guaino, puisque Sarko parle par sa plume de toute façon. Il aurait présenté une continuité, sans les casseroles des autres politiciens de droite. Il aurait satisfait les souverainistes et une bonne partie des frontistes pour cette raison. Il est connu et tout le monde aurait pensé qu'il relevait le niveau. C'est trop tard (à moins que Sarko nous pète entre les mains avant le second tour).
C'est pas gagné
À gauche, c'est pas mieux. Le Score de Hollande n'est pas mauvais. Mais il ne le met pas hors de portée non plus. Comme il démarre à 45 %, il lui faut absolument récupérer une partie des électeurs du FN et de Bayrou (ou que leur abstention soit forte). A priori, c'est facile du fait de leur anti-sarkozisme. Mais il ne doit pas faire de faux pas non plus. Et il risque de mécontenter la gauche de la gauche. Déjà que les reports ne sont pas assurés non plus... Les mélenchoniens se sont monté la tête en croyant même arriver en tête, puis en se vantant de battre Marine Le Pen. Deux échecs peuvent être durs à digérer pour des exaltés. Les intellos ont la rancune tenace. Ils pourraient s'abstenir.
Objectivement, les électeurs du Front de gauche peuvent être déçus. Leur score n'est pas bon. Dire qu'ils n'en espéraient pas autant il y a quelques mois est faux. Déjà, en janvier et février 2011 (!), dans les articles « Mélenchon présidentiable » et « Populistes contre bobos », j'avais noté que Mélenchon comptait bien être au deuxième tour... tout comme Marine Le Pen ! Et beaucoup de ceux qui font des commentaires sur Médiapart avaient fini par y croire. Les mélenchoniens ont fait une OPA (amicale) sur ce journal, ou ils jouaient les trolls en faisant leur spam. Au point qu'ils avaient convaincu à leur storytelling Christian Salmon lui-même, l'auteur du livre éponyme qui se pique pourtant de décoder les belles histoires de l'oncle Popaul populiste, pou-pou-pi-dou (à moins que ce soit « Du bo, Du bon, Dubonnet »). Un sondage home made créditait Mélenchon de 60 % chez les lecteurs, et les spécialistes maison de la critique des sondages n'y avaient pourtant trouvé rien à redire. Laxisme militant. On y croit ! On y croit !
Bon. 11,1 %, ce n'est pas si mauvais non plus. Au contraire. Mon interprétation est qu'il est probable que Mélenchon aurait pu faire plus. Mais il y a eu le vote utile. Quand Hollande a commencé à passer au-dessous de Sarkozy, ou simplement au dernier moment, dans l'isoloir, le rappel du 21 avril 2002 a pris le dessus. Ce vote utile est aussi possible pour certains écolos (d'autres ont choisi Mélenchon) et même des partisans de gauche de Bayrou, ce qui peut expliquer leurs baisses respectives. Finalement, ce n'était pas mal vu de leur part. Si ces votes utiles se montent à 12 % (disons 6 % de mélenchoniens, 4 % d'écolos, 2 % Bayrou), Hollande, Mélenchon et Marine Le Pen auraient eu à peu près le même score. Le FN aurait donc pu être au second tour. Une idée de sondage serait d'évaluer l'origine du vote utile chez les deux candidats arrivés en tête. Mais l'idée que « le vote utile était le vote pour ses idées » des mélencholâtres, était donc bien une erreur et une analyse risquée qui jouait la division de la gauche, pour prendre la tête. Le souci de l'intérêt général s'arrête quand il s'agit de faire gagner son camp.
Dire que Hollande n'est pas de gauche, ou le PS pas socialiste, était devenu une sorte de mantra. Même pas un « élément de langage », parce que ça, on n'est pas obligé d'y croire. Et l'intello finit par croire ce qu'il dit. C'est là la seule « construction de la réalité » dont on nous rebat les oreilles. Le problème de la gauche de la gauche est simple, comme je le disais le mois dernier : « Si la gauche se limite à Mélenchon, les quelques candidats gauchistes restants et les écolos gauchistes, même en obtenant 20 %, pourquoi pas ou 25 %, ça fait donc la droite à 75 %. » Qu'est-ce qu'espérait le Front de gauche ? Faire la révolution et imposer la dictature de cette minorité ? On comprend que Mélenchon se prenne pour Salvador Allende en 1973 ! J'avais été étonné de cette référence rétro dans une de ses interviews télé, comme par le discours de certains des partisans du Front de gauche selon lequel la droite dure finira par faire un putsch. Il faudrait télécharger la mise à jour du logiciel !
Mon analyse, puisque j'ai aussi vécu cette période en direct, est que quand on fait la guerre sociale, on ne peut pas demander aux bourgeois à qui on s'oppose d'être d'accord avec la révolution. Si on en prend plein la gueule, c'est qu'on avait mal évalué les forces en présence ou qu'on envoie ses soldats au casse-pipe sous la mitraille comme les généraux de 1914, qui retardaient d'une guerre. Mélenchon retarde de deux.
Son discours actuel, outre qu'il prend un risque supplémentaire de faire perdre son camp dans l'immédiat, est que son score important permettra de peser à gauche. On voit bien qu'il raisonne un peu trop en termes électoraux tout en prétendant parler d'idées. Cette tentative d'intimidation de Hollande correspond exactement à ce qu'on a reproché à Chirac après son élection plébiscitaire de 2002. Au lieu de réaliser l'union nationale qui s'y était manifestée, Chirac a essayé de constituer un parti hégémonique à droite toute. On mesure aujourd'hui le résultat. C'est bien la stratégie symétrique que Mélenchon propose, alors que tout le monde sait que Hollande, s'il est élu, bénéficiera simplement du rejet général de Sarkozy. Il aurait même des voix du Front national !
Economy, Stupid !
Je comprends mieux que Salmon parle de storytelling. Les intellos menaçaient de s'abstenir devant une campagne de Hollande à minima et des perspectives peu enthousiasmantes de rigueur. Plutôt que les former à l'économie moderne, le PS a dû se dire que ce serait aussi bien de faire un peu d'animation de MJC vintage. En fait, dans les deux camps, la présence du FN et du FdG montre simplement le nombre d'archéos à gérer en France. Le problème, avec Mitterrand et Chirac, est que les élites politiques ont échoué à moderniser la gauche et la droite. Le problème de la démocratie est qu'il faut bien avoir le vote des cons pour être élu.
J'ai montré, dans un article précédent (Populisme et « classes moyennes »), que le racolage actuel des classes moyennes, avec la complicité de sociologues incompétents, correspondait simplement à une ignorance de la comptabilité ! Justement, la mode actuelle de trouver des excuses aux électeurs du Front national peut être démentie par l'échec du Front de gauche. La seule vraie motivation des frontistes est le rejet de l'immigration. Sinon, ils voteraient pour Mélenchon ! La polarisation finale du FdG sur la lutte contre l'extrême droite montre bien que le seul clivage est celui-là, puisque ces deux partis représentent la France du « non » au Traité constitutionnel européen. Et Mélenchon a perdu contre Marine Le Pen. Sa grande gueule a été aussi peu efficace que celle de Tapie à cet égard. On ne s'en souvient plus, maintenant que Tapie a touché le jackpot judiciaire, mais c'était ça son créneau ! L'intello de gauche a la mémoire courte.
Sur ce thème de l'immigration et du FN, voilà ce que j'en disais en mars 2011 : « Désespérance mon cul ! Quand un ouvrier vote FN, il sait bien pour qui et pour quoi il vote. Il vote pour foutre les immigrés dehors. Je ne suis d'ailleurs pas très sûr que les ouvriers votent pour le FN, parce qu'en France, les ouvriers (ou assimilés), c'est plutôt des immigrés. Or de nombreux immigrés ne sont pas naturalisés et n'ont donc pas le droit de vote, ou ne sont pas inscrits sur les listes électorales, ou ne votent pas. Quand on parle de désespérance populaire à propos du FN, on exclut déjà les immigrés du peuple. On est déjà dans la logique du Front national. »
Petit-à-petit, le thème de l'immigration a pris toute la place, sans doute parce que c'est le seul élément de la mondialisation sur lequel les politiques croient avoir un certain pouvoir. C'est surtout vrai parce qu'on ne s'occupe pas d'essayer de traiter les autres questions. Mon point de vue est qu'avec tout le temps perdu à parler de ça depuis trente ans, on aurait pu en créer des entreprises. En ce qui concerne les immigrés, je l'ai déjà dit et redit : « Si on y réfléchit un peu, les immigrés auront plutôt été, au cours des années 1960-1990, le moyen d'éviter les délocalisations par une importation de main-d'oeuvre, pour produire à bas coût sur le territoire national, en permettant aux métropolitains de profiter d'une promotion sociale. » Mais ça rentre pas dans la tête des cons. Et comme je le disais dans le même article, si on veut virer les immigrés récents, on pourrait aussi virer les anciens. Ça va faire du monde !
La seule politique industrielle qu'on nous propose est simplement « d'acheter FN » ! En tant que Super-Bobo (mondialisé), « I don't buy it ! ».
Jacques Bolo
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