Le 3 décembre 2011, Caroline Fourest, à propos du droit de vote des étrangers, est remontée dans l'estime des néo-racistes raisonneurs en pratiquant le nouveau style faux cul qu'elle a adopté depuis qu'elle fait des piges dans la grande presse. Elle devrait se demander pourquoi elle est devenue si tendance. C'est le défaut du succès. Quand on plaît à tout le monde, c'est qu'on devient conformiste. Dans son domaine spécifique de l'essai politique, elle subit le drame de l'artiste moderne : on ne peut pas être un artiste maudit, comme Van Gogh, et plaire aux filles. Ce qui est gênant pour elle aussi.
Pendant les campagnes électorales, les candidats envoient des ballons d'essai. Le droit de vote des étrangers en est un qui permet à la gauche de retenter un coup à plusieurs bandes. Il divise les électeurs de la droite et de l'extrême droite, puisque Sarkozy l'avait favorablement envisagé la fois précédente. La gauche récupère les électeurs immigrés ou d'extrême gauche. Si Sarkozy se déclare contre, il perd les immigrés, s'il est pour, il perd les frontistes. Et c'était le bon moment puisqu'un sondage montre que 61 % des Français s'y déclarent favorables.
Caroline Fourest, dans son blog du monde, intitulé mensongèrement « Sans détour », commence par s'en réjouir. Mais ça ne dure guère plus que le premier paragraphe. Le second commence par : « Dans cette France rêvée, on pourrait se demander s'il est judicieux de déconnecter le droit de vote local de la nationalité. » C'était pourtant bien ça le sens de la question du sondage. Car, après un contre-feu rhétorique contre le FN et Guéant, boum : « ...sans qu'une certaine gauche dégaine le soupçon de racisme envers toute personne non convaincue d'avance. » Voilà la charge anti-bobo mondialiste qui fait du pied au populisme. Suivi immédiatement de : « Car, non, la déconnexion de la nationalité du droit de vote, même aux élections locales, n'est pas une évidence. » Elle nous joue l'air de l'euphémisme académique qui croit faire de la science en posant de fausses questions. Et re-boum ! « Dans l'absolu, c'est même un renoncement à l'un des traits marquants du modèle hérité de la Révolution française : où l'exercice de la citoyenneté est conditionné par le désir d'appartenir à la nation. » On comprend que l'extrême droite l'approuve ! T'as viré hétéro-catho-tradi-popu, Caroline chérie ? Ou « républicaniste, je-me-comprends » ?
Dans ce débat, d'autres aussi nous font le coup de la Révolution, pour contester le fait de lier le vote au paiement des impôts, en disant que cela correspondrait à un vote censitaire. Bien essayé ! Justement, il est bon de se rappeler que le vote était censitaire sous la Grande Révolution. Et c'est logique, parce que l'élection correspond bien au fait de gérer le produit de l'impôt par les représentants de ceux qui les paient. Eh oui ! Les politiciens ne gèrent pas l'argent de l'État, ni le leur (on confond parfois - dérive monarchiste), mais celui des contribuables. Et d'ailleurs, comme le rappellent des commentaires Internet (ici Jean Claude Pierson, Aurélien Fayet, « JM Lustukru ») les « citoyens étrangers » pouvaient être élus et voter sous la Révolution. Je connaissais le cas d'Anarchasis Cloots et de Paine. Apparemment, comme Fourest, de nombreux citoyens de naissance ignorants n'auraient pas réussi cette question à l'examen de nationalité. Caroline aggrave son cas quand elle parle du risque d'une « conception plus ethnique de la citoyenneté ». Les étrangers visés seraient-ils seulement d'une race différente. En France, le racisme est un délit.
Elle admet pourtant que ce projet concerne la vie locale et lui reconnaît un rôle d'investissement citoyen (souvent insuffisant... si les étrangers veulent s'y coller). Et s'interroge sur la légitimité de distinguer entre un Anglais qui vient d'acheter une résidence en France et un Maghrébin présent depuis quarante ans (quelle appelle des chibanis, pour montrer qu'elle connaît le sujet). Elle concède qu'il vaudrait mieux faciliter l'accès à la nationalité. Elle veut sans doute dire qu'il faudrait revenir sur le durcissement récurrent de ces dernières décennies. On sait qu'il produit, au moment du renouvellement de la carte d'identité, des contestations ignominieuses de la nationalité de descendants de naturalisations anciennes. Mais on ne peut pas être spécialiste de tout. Et elle finit par bâcler son billet d'humeur en remettant tout ça aux calendes... grecques (sans doute en prévision de la sortie prochaine des Grecs de l'Europe).
Le débat se poursuit dans les commentaires et dans d'autres articles. Sur Rue89, Pascal Riché, ancien Français de l'étranger regrettait de ne pouvoir voter en Amérique. Inversement, dans les commentaires de l'article de Fourest, un autre expat n'aurait jamais eu l'idée de le demander. En l'occurrence, le problème est plutôt qu'un Français installé durablement à l'étranger peut voter aux élections françaises, alors qu'un étranger (extra-européen) installé durablement en France ne le peut pas. Certains reprochent d'ailleurs justement aux Maghrébins de France les votes traditionalistes au pays ou aux doubles nationaux de voter deux fois (ce qui est recevable). D'autres exigent la réciprocité préalable, tout en préconisant parfois le volontarisme, pour des projets européens.
Ces questions sont légitimes. J'ironise un peu. Mais ce que je conteste est simplement la mauvaise foi ou les arrière-pensées que je perçois chez ceux que j'ai appelés les racistes raisonneurs. J'ai peut-être tort sur le principe : chacun croit que ses raisons sont les bonnes. Mais si on commence à raisonner, il faut admettre la possibilité de réfutation. Ce n'est pas pour rester toujours sur ses positions initiales, ou pour exiger toujours plus d'arguments quand on en réfute un, comme ce qu'on exige de paperasse de la part des immigrés, justement, tout en prétendant simultanément réduire le rôle de l'État. D'où mes doutes. Le problème posé par cet article de Fourest ou ses commentaires me paraît être une fausse modération hypocrite, fréquente en matière de racisme, comme ce fut le cas aussi pour le vote des femmes, la liberté des adolescents, le suffrage censitaire déjà mentionné, et plus généralement l'égalité de tous ceux qu'on considère comme mineurs.
Pour le cas du vote des étrangers, il me semble qu'à partir d'un certain délai de présence dans un pays, le droit de vote fait partie des droits humains. On parle ici souvent de trente ou quarante ans. On ne peut pas toujours différer le principe de ces droits, sous un prétexte ou un autre, sans conséquence.
Jacques Bolo
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