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Religion / Politique - Octobre 2011

Tunisie islamiste ?

Résumé

Comme toujours, l'étonnement est la preuve d'une mauvaise répresentation de la réalité. Celui devant le succès électoral des islamistes en Tunisie le confirme. Les islamistes sont le symétrique local du populisme européen, avec la même illusion de rechercher dans le passé une solution aux problèmes de demain.

Les sceptiques envers la Révolution du jasmin qui a renversé le président tunisien Ben Ali, début 2011, vont être satisfaits. Les islamistes du parti anciennement interdit Ennahda (Renaissance) sont arrivés en tête au scrutin démocratique d'octobre 2011, qui a connu 90 % de participation. Ces critiques pourront confirmer l'idée que Ben Ali protégeait la Tunisie de la prise du pouvoir des islamistes. Et les intellectuels progressistes tunisiens ont l'impression d'être cocus.

La situation n'est pourtant pas surprenante. C'est le dilemme classique de la démocratie. L'élitisme génère une concentration des richesses et des privilèges, la volonté populaire confirme évidemment le populisme et la démagogie. Si les Tunisiens croyaient être au-dessus des lois de l'histoire, ils se faisaient des illusions. C'est le lot général des intellectuels de sembler ne pas se préoccuper de la réalité qu'ils connaissent pourtant parfaitement.

La question de l'islamisme est évidemment agitée comme un épouvantail. Elle est pourtant très simple à comprendre et à traiter. L'islam est la culture commune des pays musulmans. Il ne faut pas s'étonner que certains s'en réclament, comme certains se réclament des racines chrétiennes de l'Europe. La réponse qu'on peut leur faire est la même dans les deux cas. C'est une imposture de se prétendre les seuls héritiers de l'islam ou du christianisme, surtout quand on parle de racines collectives. Sur le plan culturel, même les athées sont des « athées chrétiens » en Europe (pour la plupart) et des « athées musulmans » au Maghreb et ailleurs (mais c'est plus dur).

La vraie question de la laïcité correspond simplement à la résistance de la chose politique aux prétentions religieuses à régenter les réalités séculières qui sont largement universelles. Prétendre qu'il existe une façon chrétienne, musulmane, bouddhiste, etc., d'envisager certaines réalités civiles a toutes les chances de se révéler une escroquerie intellectuelle. Bref, de la démagogie traditionaliste (ce qui est presque un pléonasme).

Le propre de la situation actuelle, du fait de la mondialisation, de la télévision, d'Internet, consiste dans le fait qu'on est au courant de ce qui se passe ailleurs. La vérité de la conception religieuse était simplement l'ethnocentrisme de chaque civilisation qui se croyait seule au monde. J'ai eu l'occasion de déclarer, dans un article intitulé « Fin de la religion », qu'une « croyance ne peut désormais plus être perçue comme LA religion, mais seulement comme UNE religion ». C'est irréversible. Mais ce n'est pas encore assumé comme tel.

L'échec politique des régimes islamistes, équivalent à celui des démocraties occidentales, montre simplement qu'il n'y a pas de solution miracle à rechercher dans un passé idéalisé. C'est le propre du populisme de ne pas comprendre l'histoire qui se fait. La question n'est évidemment pas de faire table rase. Toutes nos connaissances sont issues des représentations antérieures, dont les traditions religieuses et civilisationnelles, ou les connaissances et expériences scientifiques et politiques récentes fondées, elles aussi, sur l'expérience passée. Ces traditions s'interpénètrent et s'influencent réciproquement. C'est particulièrement vrai en Tunisie, pont entre l'Orient et l'Occident, tout particulièrement liée à la France. Ce n'est pas la peine de faire comme si cela n'existait pas, ni d'un côté, ni de l'autre de la Méditerranée.

Le véritable intérêt de la Révolution de jasmin, et des révolutions arabes récentes et en cours, était de montrer que les musulmans avaient aussi une aspiration à la démocratie contre les mauvaises habitudes de la dictature, dont on considérait (avec un fatalisme tout musulman d'ailleurs) qu'elles étaient consubstantielles à ces aires géographiques. Cette question est réglée. Pour les universalistes qui en doutaient, tous les hommes sont égaux en droits. Le cas des femmes reste à traiter et pas seulement dans les pays musulmans. J'ai montré, à propos de la Turquie, que le refus de l'intégration à l'Union européenne avait surtout comme effet de les laisser tomber. Les féministes européennes ont le coeur à gauche, mais le portefeuille à droite. L'égalité homme/femme est acquise sur ce point.

J'ai aussi montré dans l'article sur le déclenchement de ces révolutions que la véritable question politique était le partage des places privilégiées. Que les uns remplacent les autres n'a guère d'importance sur le plan institutionnel et de la théorie politique. L'illusion des intellectuels, et les religieux en font partie, consiste précisément dans la surestimation de l'action politique. Il ne faut pas cracher non plus dans la soupe. Les révolutions sont les moyens d'une prise de conscience et d'une participation populaire à l'amélioration des conditions sociales concrètes. L'erreur est de raisonner en terme de table rase (la révolution) ou de référence à un passé mythifié, sans prendre en compte le chemin accompli, avec ses erreurs, au lieu d'en tirer la leçon.

Une révolution est simplement la manifestation d'un déblocage d'une situation figée. La solution religieuse, par son passéisme affiché, n'est pas de bon augure. L'illusion d'un idéal islamique, alors que la dictature était précisément la caractéristique du Moyen-Orient musulman, relève d'une démagogie enfantine. Le socialisme, avait au moins l'intérêt de se projeter dans l'avenir, sans plus de résultats cependant. La véritable difficulté est de concevoir des institutions évolutives qui permettent de s'adapter aux changements du Monde en ne laissant personne sur le bas-côté. On voit que ce n'est pas seulement un problème tunisien.

Jacques Bolo

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