Le dixième anniversaire du 11 septembre 2001 nous dévoile la crue réalité du terrorisme qui se réduit à faire le buzz à la télévision. Sur le plan médiatique, c'était réussi. C'est bon ça, coco ! Concrètement, on va se taper ces images tous les 11 septembre pour l'éternité ou presque.
Le mois dernier, à propos des émeutes de Londres et de Dominique Strauss-Kahn, je remarquais que « le problème peut se résumer assez simplement dans le fait de ne pas laisser son avenir se terminer en fait divers ». L'omniprésence des médias inverse les priorités. Le but est de passer à la télé. Et je remarquais également, en décembre dernier, qu'« actuellement, c'est bêtisier tous les jours de l'année, à la télé et sur Internet ». Pour passer à la télé, on fait des conneries et on est fier de les montrer à toute la planète. Cela me paraît être la seule analyse censée du terrorisme en général et du 11 septembre en particulier.
Les analystes accrédités (embedded) nous disent que c'est un événement unique, que c'est le premier attentat terroriste sur le sol américain, qu'« il y a un avant et un après », que « rien ne sera plus jamais comme avant ». C'est évidemment faux sur tous les points, mais on a l'habitude. La réalité est qu'on voit ça à la télé et qu'on se laisse impressionner par des images-chocs. Il y en a d'autres : le tsunami récent au Japon, celui d'Indonésie, Tchernobyl, l'assassinat des Kennedy en direct, l'éruption du mont Saint Helens etc., pour les drames ou les catastrophes. La chute du mur de Berlin, les premiers hommes dans l'espace et sur la Lune, le percement du tunnel sous la Manche, pour d'autres phénomènes exceptionnels ou symboliques.
Mais la vie ne change pas vraiment pour autant. On se réveille le lendemain et rien n'a changé. On se croirait plutôt dans le film Un jour sans fin (qui est décidément encore plus riche qu'il en a l'air). La télévision nous vend des émotions, sur la base de « true stories » pour faire plus vrai. Mais on peut être tout autant impressionné par une fiction au cinéma ou une lecture. Ici encore, il s'agit de nous faire éprouver des émotions qui ne nous concernent pas directement et qui ne modifient pas significativement notre vie quotidienne. Concrètement, cela relève de notre bagage de connaissances et de l'extension de notre empathie à toute l'humanité. Ce qui peut être considéré comme un progrès, si on est optimiste. On peut craindre que les politiques et les médias se servent plus cyniquement de ce qui nous est donné en spectacle. Le terme « spectacle » rejoint ici la définition de « vie par procuration » des situationnistes.
En ce qui concerne spécifiquement le 11 septembre, on peut évidemment comprendre que les Américains se sentent particulièrement concernés. Mais la mise en scène d'un rituel ou de marronniers journalistiques doit supporter les restrictions habituelles qui font douter de leur sincérité. On a appris à l'occasion de cet anniversaire que l'héroïsme des pompiers et des policiers, ou d'autres, n'avait pas été récompensé, puisqu'on les laisse mourir d'un cancer que les assurances pinaillent à reconnaître comme professionnel. On voit bien que les choses n'ont donc pas changé. Business as usual ! C'est ça l'Amérique !
Le nombrilisme américain est aussi un peu douteux. Le 11 septembre nous est montré comme le top dans la course au buzz contre les autres catastrophes. Alors que c'est rien que de la récup. La performance est quand même celle de Ben Laden ! On dirait vraiment que les Américains sont fiers d'être touchés par un malheur et par le nombre de victimes. C'est effectivement dramatique pour les victimes et les familles. Il y aurait pu en avoir plus encore et les New-yorkais ont eu de la chance dans leur malheur. Mais 2 973 victimes ne sont pas la plus grande catastrophe de tous les temps. On se souvient qu'il y en a eu une centaine de mille dans le tsunami philippin.
De plus, le 11 septembre est un acte de guerre. Or, on le sait, à la suite du 11 septembre, l'Amérique a déclenché une guerre contre l'Irak, sur la base d'un mensonge à propos d'armes de destruction massive, qui a fait de cent mille à un million de morts selon les estimations. Cela fait l'équivalent de 100 000 à 1 million/2 973 = 30 à 300 fois le 11 septembre pour une population irakienne de 31 millions d'habitants. Si on la rapporte à la population des États-Unis dix fois plus peuplés, on obtient un total de 30/300 x 10 = 300/3 000 fois plus. Cela revient à un 11 septembre par jour pendant pendant un à dix ans selon les estimations précédentes. On peut fêter ce genre d'anniversaire tous les jours.
Notre destin de téléspectateurs exige de savoir décoder les images, comme le disent souvent les profs de lettres qui en sont généralement incapables, Que nous dit cette mise en scène médiatique du 11 septembre ? J'ai déjà remarqué, dans l'affaire de la répression de Sétif en 1945, qu'on connaissait le nombre exact de victimes françaises « de souche » et qu'on discutait encore du nombre de morts algériens, alors qu'ils étaient pourtant eux aussi sous administration française. La triste réalité est qu'on considère que certains peuples n'ont pas la même valeur que les Occidentaux. On se demande parfois comment les gens des époques anciennes vivaient les différences de castes, nobles/roturiers, libres/esclaves. Ce n'est pas la peine de se le demander. Il suffit de constater que c'est exactement la situation actuelle.
Jacques Bolo
|