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Politique / Histoire - Juin 2011

Démocratie : leçon 19

Fondement des manifestations

Le printemps arabe 2011 a montré plusieurs visages. La Tunisie et l'Égypte ont chassé les dirigeants du pouvoir grâce à des manifestations pacifiques et très peu de victimes. La situation en Libye, Syrie et Yémen, tourne à la guerre civile. Le contraste s'opère selon la réaction des autorités. La Tunisie s'est effondrée à la surprise générale. En Égypte, le pouvoir et l'armée ont hésité un moment, mais ont accepté le changement. Début juin, la situation au Yémen, où les clans s'équilibrent, est toujours incertaine. La Libye est en état de guerre, et la Syrie s'enfonce dans la répression.

L'originalité du printemps arabe est l'aspect spontané de la mobilisation, sans doute renforcé par l'utilisation d'Internet. La nouveauté de ce média est la possibilité de décentralisation de l'information et surtout de participation active à sa production. Les manifestations apparaissent sur le principe des « apéros Facebook » et le suivi de l'événement est transmis en direct, avec un effet d'entraînement.

Les pratiques de manifestation qui ont cours en Europe ne sont pas immédiatement universelles. Elles ont une histoire. Par hasard, sur Internet, je suis tombé sur l'Affaire de l'exécution du pédagogue Francisco Ferrer, en 1909, par la monarchie espagnole, et de site en site, j'ai trouvé plus de détails (Guillaume Davranche - Alternative libertaire). À cette époque, en France, les manifestations étaient interdites et tournaient à l'émeute, réprimée par la troupe. Le modèle était sans doute la Révolution française, qui visait le renversement du régime.

Francisco Ferrer était un militant anarchiste qui avait fondé « L'École moderne », mixte et laïque, contrant le monopole de l'enseignement par les religieux en Espagne. En 1906, l'Église parvint à faire fermer son école et Ferrer émigra en France. En juillet 1909, une insurrection venait d'avoir lieu en Espagne, contre la guerre au Maroc. La répression avait été violente (2 000 arrestations, 500 blessés, 78 morts). De retour à Barcelone, pour des raisons familiales, Ferrer fut arrêté et, considéré comme un des instigateurs, il fut condamné à mort. Toute l'Europe se mobilisa contre l'exécution, mais elle eut lieu le 13 octobre 1909. Des grèves se déclenchèrent à Rome, et des manifestations plus ou moins violentes eurent lieu dans toute l'Europe. À Paris, le soir de l'exécution, une émeute éclata, des coups de feu furent tirés et les dragons chargèrent.

La nouveauté fut que le Parti socialiste d'alors prépara l'organisation d'une grande manifestation, le 17 octobre, en proposant d'obtenir l'autorisation de la préfecture, sur le modèle anglais et belge. Même les anarchistes acceptent de participer, malgré quelques opposants. La droite et les plus extrémistes se moquèrent de ce défilé discipliné si peu dans les moeurs françaises. J'avais signalé que l'interdiction des attroupements, au XIXe siècle, avait été contournée par les cortèges funéraires (« Vision comptable des manifs »). Le rituel des manifestations autorisées était né.

Comme on le voit dans le cas des pays arabes, un régime autoritaire n'est pas toujours prêt à accepter la contestation. La manifestation n'est pas une forme naturelle, universelle, immédiate. On ne peut pas imiter simplement ce qui se passe à l'étranger. Comme dans le cas de la place Tiananmen, en Chine, après la chute du mur de Berlin, en 1989, même une manifestation pacifique et assez indécise peut déclencher une sévère répression. J'ai déjà signalé (« De la guerre d'ingérence ») que les régimes autoritaires ont certainement tort de ne pas laisser s'installer des pratiques pacifiques de contestation. La conclusion n'est pas forcément la chute instantanée du régime, comme en Tunisie, ou du seul dirigeant, comme en Égypte. La situation en France aurait même tendance à montrer l'inutilité et le ritualisme du procédé.

Une manifestation exprime une crise de légitimité. C'est une information importante. Dans les deux cas extrêmes de la répression ou du rituel creux, les manifestations sont soumises au seul arbitraire violent ou habile de l'autorité. Quand elles n'aboutissent à rien, c'est que le rapport de force est défavorable. C'est également une information importante. Les minorités agissantes ne doivent pas oublier les majorités silencieuses. Les uns et les autres doivent en tirer la leçon. Le véritable objectif de la démocratie consiste à trouver de meilleurs moyens d'organiser la manifestation de la volonté générale. Les manifestations tentent souvent d'imposer l'activisme des minorités ou se contentent de présenter le spectacle symbolique du désaccord. Dans tous les cas, les résultats sont beaucoup trop aléatoires.

Jacques Bolo

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