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Économie / Politique - Mars 2011

Boeing-EADS : Concurrence faussée

Les Français doivent-il se réjouir du choix de Boeing par le Pentagone pour les avions ravitailleurs de l'US-Air force ? Quand ils ont voté « non » au Traité constitutionnel européen en 2005, la question qui agitait tous les esprits était le refus de la « concurrence libre et non faussée », identifiée au libéralisme sauvage. La solution souverainiste, de droite et de gauche (de l'extrême droite à l'extrême gauche) était le protectionnisme. Les souverainistes ont gagné, mais le marché unique, qui existait auparavant, existe toujours. Ce qui n'empêche pas non plus les mesures protectionnistes déguisées non plus.

Les Américains ont toujours été protectionnistes, quoique libéraux. Le marché de 35 milliards de dollars pour 179 avions ravitailleurs visait à remplacer les KC-135 qui devenaient obsolètes. La version militaire de l'Airbus A330 des Européens devait même être assemblée sur place, en Alabama en coopération avec le constructeur américain Northrop Grumman, et avait le soutien de politiciens locaux. Le fait que Boeing ait son siège à Chicago, ville du président, a sans doute joué en la défaveur d'EADS.

Au moment de l'élection présidentielle américaine de 2008, on ne connaissait pas Obama. Mais on savait que son concurrent McCain avait précisément pris parti contre Boeing, dans la première décision qui avait été favorable au constructeur américain en 2003, alors sans concurrence. Le contrat a donc été inversé par la suite en faveur d'EADS, en 2008, avant d'être tranché en faveur de Boeing, tout récemment, le 24 février 2011. McCain voulait offrir ce qu'il y avait de mieux à l'armée, selon des critères techniques (il aurait dû s'en tenir à cette ligne, durant la campagne, dans le choix pour le poste de vice-présidente, attribué à Sarah Palin.) L'avion-citerne européen est plus gros, et répondait mieux aux spécifications de l'armée. La nouvelle version du 767 de Boeing n'étant pas encore finalisée, mais le prix proposé est inférieur de 10%.

On peut comprendre la volonté protectionniste de certains, qui rendrait les choses plus claires. Mais on en voit les conséquences. Comme je l'ai dit à plusieurs reprises à propos du populisme et de l'analyse du modèle économique français passé, le raisonnement protectionniste ne fonctionne qu'à l'intérieur d'un ensemble assez vaste, et il supposait le colonialisme pour bénéficier d'un marché captif. Le marché unique européen était une stratégie de qui permettait éventuellement un protectionnisme européen en jouant sur un intérieur-extérieur réciproque.

Mais les autres pays du monde ne sont plus un marché réservé. Le souverainisme national n'est donc pas un avantage pour vendre à des clients étrangers, et il enlève donc le bénéfice d'une zone tampon européenne. Il est vrai qu'elle ne fonctionne guère. Quand la question de la concurrence globale se pose, ce sont plutôt les Américains qui font jouer leur ascendant. Si on prône la légitimité de l'influence « politique », il vaut mieux avoir une confiance absolue dans les qualités de notre diplomatie, et sur la stabilité des dictatures qui bénéficient de notre soutien. On ne peut pas dire que les événements récents, avec les révolutions du monde arabe, soient rassurants sur ce point.

Mais précisément, comme les autres pays ne sont plus des obligés ou des vassaux, nous avons donc intérêt à ce que la concurrence soit libre et non faussée, et pas seulement en Europe. Concrètement, vaut-il mieux faire confiance à la qualité des entreprises, ou au lobbying politique ? Si on n'est pas le plus fort (colonialisme/impérialisme), on ne part pas gagnant, et avec le protectionnisme les entreprises risquent de se reposer sur leurs lauriers.

Une conséquence de la concurrence internationale consiste aussi à inciter à l'espionnage industriel généralisé au lieu d'essayer de l'empêcher. Cela pose le problème de savoir à qui donner les informations recueillies par les services nationaux, puisque les entreprises sont privées, et déjà largement internationales. Comme il ne faut pas se faire d'illusion non plus, une solution pour préserver l'équité, serait plutôt de généraliser, voire d'imposer, une structure internationale du capital des grandes entreprises.

Il ne faut pas oublier non plus que l'intérêt national, comme le soutenait McCain, concerne aussi la qualité des équipements. À la rigueur, dans l'affaire Boeing-EADS, on peut se satisfaire en se disant que la puissance américaine sera diminuée par des armes de moins bonne qualité que celles qui équiperont les armées européennes.

Jacques Bolo

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