L'année du Mexique a mal commencé en France avec l'affaire Florence Cassez, de cette Française accusée de complicité d'enlèvement et condamnée à soixante ans de prison au Mexique, après un procès contesté. Le président Sarkozy et la ministre des Affaires étrangères ont jeté de l'huile sur le feu (comme c'est l'habitude de ce gouvernement) en menaçant de supprimer les festivités ou de les utiliser pour parler de l'affaire. Martine Aubry, qui ne sait vraiment pas quoi proposer, a demandé aux maires de gauche de les boycotter [1]. Le Mexique a annulé. Comme a son habitude, Sarkozy a alors réclamé de « garder son sang froid » après avoir semé la zizanie. On a déjà remarqué que ce type dit tout et le contraire de tout (et réciproquement). Braquer les Mexicains ne va pas améliorer les affaires de Florence Cassez. Bon, c'est la routine. Et on s'en fout.
Mais ça ne s'arrange pas ! L'émission « Des racines et des ailes » avait réalisé des documentaires et la chaîne télé FR3 a diffusé quand même, le 16 février 2011, un reportage qui montrait, à la fin, les églises mexicaines de style baroque (qu'on peut qualifier de flamboyant). Et là, la gaffe ! Le ton général, outre cette agaçante élocution habituelle d'office de tourisme, était aussi plus que condescendant. Montrant « les plus belles églises du Mexique » qui, « même dans les villages les plus modestes, [...] impressionnent par leur richesse », le commentateur ajoute maladroitement : « et contre toute attente, elles sont l'oeuvre des Indiens eux-mêmes ».
On se croirait effectivement à l'époque des pères blancs qui s'extasiaient devant la ferveur naïve de natifs. La musique lancinante devient angélique pour « le joyau de cet art indigène, l'église Santa Maria à Tonantzintla » effectivement flamboyantissime. L'historienne Nadine Beligan, admirative devant ce « cosmos plastique », explique qu'il s'agit de la vision indigène du paradis (de Tlaloc) au présentateur, un peu rigolard, qui continue : « un paradis de stuc peuplé d'angelots. De ces figures naïves surgit tout l'Ancien Monde ».
L'historienne remarqua aussi que les décors utilisaient des fruits locaux et des figurines aux visages indigènes : « Ce qui est très émouvant ici, c'est que tous ces personnages qui sont représentés sont bien des personnages indigènes. Donc ici, on a toute la preuve de la foi, de la dévotion des fidèles indiens, vraiment, complètement christianisés... Et qui se représentent eux-mêmes ! »
Je n'ai pas pu m'empêcher d'y entendre encore une certaine condescendance (qui se met peut-être au niveau de son interlocuteur, ou du fait de ce contexte) indiquant que les représentations de la Vierge, des saints, et des anges, avec ses visages locaux, n'étaient qu'une sorte de représentation naïve de la vraie Vierge, des vrais saints et des vrais anges qui, comme on le sait, ont des visages occidentaux, blancs,... normaux. Comme si les représentations occidentales, françaises, allemandes, italiennes, espagnoles, anglaises, russes, des églises et des cathédrales, ne représentaient pas des Français, Allemands, Italiens, Espagnols, Anglais, Russes, en costumes d'époque avant de retrouver un semblant de tenue romaine plus ou moins conforme à l'époque des évangiles (mais pas forcément des époques antérieures).
Cette historienne semble aussi considérer cette appropriation comme une « preuve de la foi » - à supposer que cela signifie quelque chose d'autre que le fait de réaliser justement ces églises décorées. Mais passons. Qui s'intéresse encore à la laïcité ? On constate encore, dans tous ces commentaires, l'absence de relativisme qui ne comprend pas que le christianisme est une religion universelle, comme je l'ai mentionné à propos de « L'erreur d'Éric Zemmour ». On se demande quelle est cette religion universelle où Dieu a créé le blé, le raisin, pour faire le pain et le vin, mais pas les piments, le maïs et les bananes pour faire les tacos et les margaritas.
J'ai déjà parlé du dogmatisme si peu oecuménique du pape qui ne s'intéresse pas au pluralisme religieux. Il faudrait lui demander si, canoniquement, le paradis chrétien ressemble définitivement à la Provence, la Bavière, ou l'Émilie-Romagne. Il me semble que tout cela réduit un peu ce paradis, dans l'imaginaire contemporain, aux brochures ou aux émissions de ces sortes de tour-opérateurs. Ce qui, finalement, a toujours été un peu le cas. C'est cela que nous apprend aussi cet intéressant document sur le Mexique qui montre l'urgence d'une l'approche comparative, non ethnocentrique. Ce qui n'est pas donné à tout le monde.
Jacques Bolo
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