J'aurais dû (puisque j'avais précisément traité de ce cas sur Exergue). Et je l'aurais fait si j'y avais été invité, comme l'universitaire François Durpaire, qui a écrit une tribune dans Rue89 [1], intitulée : « Pourquoi j'ai témoigné au procès d'Eric Zemmour ». Cet universitaire a évidemment réitéré la doxa scientifique sur l'inexistence des races, dont j'ai contesté la pertinence (et l'efficacité) dans un article précédent (« Peur des mots : 'Race' »), en références aux déclaration de Zemmour sur le sujet. Car contrairement à sa prétention scientifique, la plupart des arguments que présente Durpaire sont biaisés, d'autorité, hypothétiques, voire d'intention, moralisateurs, et un peu faux culs. Il nous sort même, maladroitement, l'argument Renan, auquel j'avais aussi réglé son compte.
J'ai déjà parlé du cas Zemmour, dans trois articles, ainsi que des affaires pour lesquelles il était jugé, en ce début d'année 2011. Je considère le bonhomme comme symptomatique de l'époque et de l'incompétence actuelle à traiter de ces questions, éventuellement en voulant bien faire, comme Durpaire. Et il est régulièrement attaqué sur ce point par les invités de l'émission télé hebdomadaire de Ruquier, « On n'est pas couché », où il possède sa tribune. Caroline Fourest a cru le mettre en difficulté et cru convaincre, ce qui est plus que douteux. Comme Durpaire, elle semble se croire investie d'une autorité scientifique qui correspond justement à ce contre quoi s'élèvent des personnes comme Zemmour. C'est précisément la difficulté de la situation actuelle où les camps face à face sont dans une impasse théorique qui semble opposer le bon peuple aux bobos biens pensants.
Une autre fois, il a été traité de fasciste par Marc Benamou, de façon plus pertinente, du fait de ses opinions politiques autoritaires, même si cela n'a pas plu au public sur le plateau, des fans qui viennent le soutenir. Durpaire a raison de signaler que Zemmour est le héros de la nébuleuse ouvertement raciste des identitaires militants. Mais ce chercheur ne comprend pas le problème de tous les petits blancs en mal d'identité culturelle pour cause de mondialisation galopante. J'ai déjà eu l'occasion de signaler que le déclassement de la France était lié à cette incompétence classiquement ethnocentrique [2]. Car un peu de réflexion et la culture minimale montre bien que les identitaires ont tort. Comme je l'écrivais récemment :
« le rayonnement passé de la France, revendiqué par les souverainistes de tous bords, reposait bien sur ceux qu'on critique aujourd'hui comme droit-de-l'hommistes (et pas sur le pétainisme), sur la liberté (et non sur l'autoritarisme), sur l'ouverture au monde. Peut-être aussi sur une certaine tradition d'arrogance qui me fait dire que c'est comme ça et pas autrement. »
Le 18 février 2011, le tribunal rendra son verdict dans l'affaire Zemmour. En mars 2010, j'avais intitulé mon article sur les faits qui lui sont reprochés : « Zemmour a encore frappé (impunément) ». On verra si ce sera le cas. En attendant, il continu à parader sur le sujet dans la même émission. Tout d'abord, il faut bien remarquer qu'il n'est pas passé en comparution immédiate comme les petits délinquants dont il parlait. Les propos pour lesquels il est jugé : « Pourquoi on est contrôlé dix-sept fois ? Parce que la plupart des trafiquants sont noirs et arabes, c'est comme ça, c'est un fait », ne disaient pas que les policiers contrôlent des délinquants qu'ils connaissent bien, comme la pratique du terrain le permettrait. L'absence de police de proximité se fait sentir. Il excusait les policiers de pratiquer le délit de sale gueule, c'est-à-dire de racisme.
Pour le condamner, je ne me pose pas ici la question du statut épistémologique du « fait », comme François Durpaire, qui commente ainsi les propos de Zemmour : « Quelle en est la preuve ? 'C'est comme ça, c'est un fait.' Trait constant de sa rhétorique, il entoure ses assertions les plus grossières d'un halo de bon sens populaire. » Est-ce que cette « rhétorique » universitaire, d'autorité, est censée convaincre le peuple ou seulement les magistrats. La « pensée Zemmour » insinue que « c'est bien un fait, mais qu'il ne faut pas le dire ». Nombreux sont ceux qui sont venu témoigner en faveur de Zemmour, dont un magistrat, et un ancien ministre de l'Intérieur de gauche, pour justifier cette observation, et s'opposer au politiquement correct. Pour la contredire, je déclarais alors :
« Cette polémique est surtout stupide. Il est évident que dans les quartiers où il y a beaucoup de Noirs et d'Arabes, les trafiquants le sont aussi (outre le fait qu'y contrôler des jeunes signifie forcément y contrôler des Noirs et des Arabes). Il est par contre notoire que le trafic de drogue concerne tous les milieux, et que les trafiquants ne sont pas tous noirs ou arabes (sans parler du cyclisme où il n'y a pas beaucoup de Noirs). On peut douter aussi qu'on arrête des trafiquants grâce à des contrôles. Il y a plus de chance d'arrêter des consommateurs (qui sont éventuellement revendeurs pour payer leur dose). »
et entre autres choses, pour faire bonne mesure :
« En l'occurrence, Zemmour est un peu faux cul. L'objectif actuel du gouvernement consiste à faire du chiffre en matière de délinquance pour préparer les élections et masquer éventuellement les autres problèmes (Zemmour participe donc à la campagne, comme les nombreuses émissions télé sur les faits divers). Il est donc parfaitement normal de viser la petite délinquance. D'autant que les pauvres sont plus nombreux que les riches ! C'est surtout du point de vue du nombre que le problème est social. On connaît aussi l'indulgence dont bénéficient les drogués riches. Pour ne fâcher personne, rappelons simplement le cas du ministre de la Culture du général De Gaulle, André Malraux, drogué notoire, qui ne devait pas s'approvisionner dans les banlieues. »
Si on veut des faits et pas de politiquement correct, il me semble que cette réponse est plus pertinente que l'hypothèse du complot du lobby bobo misérabiliste. Malheureusement, comme pour le plaidoyer pro-Traité constitutionnel européen, les maladresses arrogantes du discours sociologico-académique donne des gages à la résistance, qui se croit « politiquement incorrecte », d'un certain nietzschéisme de pacotille (on pense aux délires de Scheler, auxquels j'ai aussi fait un sort). Mais la légitimité de souligner le vice de forme n'est pas une preuve que les racistes (et les opposants au Traité) ont raison. D'autres arguments sur le fond sont possibles. Je considère les miens comme probants.
On verra si la justice est aussi laxiste à l'égard de Zemmour que les gens qui l'approuvent considèrent qu'elle l'est à l'égard des petits délinquants. A priori, c'est plutôt mal parti. Au cours du procès la procureur lui a rappelé gentiment qu'en France, la discrimination n'est pas un droit, mais un délit. Car au cours d'une autre de ses interventions, dans une émission de Thierry Ardisson, comme je le disais précédemment, Zemmour « a justifié les discriminations raciales, explicitement, le droit de sélectionner des candidats sur n'importe quel critère, pour un emploi ou un logement, etc. En France, c'est un bien délit ! Que fait la police ?... Elle contrôle dix-sept fois les jeunes Noirs et les Arabes dans les banlieues ! » Or, je croyais que c'était précisément pour ce genre de délit que Zemmour était jugé. La procureur n'a pas réclamé de peine.
PS. Le 18 février 2011, le tribunal a condamné Eric Zemmour pour provocation à la discrimination raciale, à une amende 2000 euros avec sursis, à un euro symbolique aux associations UEJF et « J'accuse », à 750 euros aux deux associations au titre des frais de justice, et à la publication du jugement dans la presse à ses frais.