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Sciences - Septembre 2010

Démocratie, Leçon 15 :

Crise de la recherche

Crise

Ce n'est pas seulement l'éducation qui est en crise. Et ce n'est pas un problème de discipline ou de faits divers. Le simple fait que cela soit posé en ces termes montre précisément la dégradation du niveau du débat. Ce n'est pas seulement non plus une question d'effectifs, comme quand Nicolas Sarkozy, voulant ne renouveler qu'un fonctionnaire sur deux, supprime 16 000 enseignants par an dans l'éducation nationale. La recherche est en crise. Une crise de crédibilité de la science et de la connaissance.

Les disciplines scientifiques ont du mal à recruter. Même les mathématiques risquent de connaître une crise de renouvellement des mathématiciens, comme l'indiquaient les États généraux des mathématiques l'année dernière, en décembre 2009 [1]. La crise financière des subprimes a contribué à entacher la réputation de la discipline et à tarir les recrutements. Depuis quelques décennies, les problèmes écologiques finissent par jeter le discrédit sur les applications de la science. Les opposants aux OGM détruisent des expérimentations. Le progrès n'a pas rempli ses promesses de lendemains qui chantent. Dans les années 1970, le marxisme était encore perçu comme scientifique par certains - ce qui a aggravé les choses.

Ces dernières années, la révolte des chercheurs contre les réformes gouvernementales de l’enseignement supérieur a révélé un malaise grandissant dans les laboratoires. Elles ont été calmées par des crédits supplémentaires. Mais les programmes à court terme bouleversent les habitudes. La conception gouvernementale de la recherche étant essentiellement fondée sur la recherche appliquée et sur des classements internationaux qui favorisent les Anglo-saxons. La concentration du pouvoir dans les mains du président d’université n’est pas appréciée non plus.

Crédibilité

Les chercheurs sont responsables de la situation. Contrairement à ce qu'ils prétendent, ce n'est pas la faute du gouvernement, ni d'une gestion comptable des ressources, ni d'une volonté de privatisation ou d'une gestion à court terme. La véritable responsabilité relève de leur perte d'autorité. Ils croient être toujours au temps des programmes décidés d'en haut selon un modèle hiérarchique. En démocratie, l'autorité relève de la crédibilité, et le progrès scientifique n'a plus la cote. Comme la plupart des citoyens ont fait de longues études, et qu'elles ne leur servent à rien, la science a perdu de son aura, ne serait-ce que par une plus grande familiarité. Les habitants des pays développés sont aussi un peu ingrats envers les avantages dont ils profitent et que le reste du Monde leur envie. Quand les riches sont blasés, ils en veulent toujours plus.

Les scientifiques se replient alors sur le mantra du « jugement des pairs ». Mais ce ne sont pas les pairs qui décident des financements. En démocratie, ce sont les politiques qui décident. Et ils décident en fonction des priorités de l'industrie, et accessoirement de celles qui plaisent au public. Ce qui en français, se dit « dépendre du marché ». L'alternative souhaitée par les scientifiques professionnels consiste simplement à reconduire les budgets, en les augmentant de préférence, sous la seule autorité des décideurs (reste de léninisme). On ne peut pas parler ici de politique scientifique.

Encore faudrait-il que les chercheurs se mettre d'accord entre eux. Le panier de crabes de la recherche universitaire ne trompe personne en essayant de présenter une unité de façade dans les périodes de crise. Autant parler de celle des hommes politiques d'un même parti. Les chercheurs sont en concurrence les uns contre les autres, comme le montrait le fameux article de Gérard Lemaine et Benjamin Matalon, (et Bernard Provansal) « La lutte pour la vie dans la cité scientifique ». C'est toute la question des classements internationaux. Le rang de la France est d'ailleurs un des facteurs de la crise actuelle. Les chercheurs français, moins reconnus internationalement qu'auparavant, ont beaucoup moins d'autorité pour négocier le budget de fonctionnement de leur laboratoire. Et ceux dont la réputation subsiste ne veulent pas forcément partager avec leurs petits camarades.

Nous avons aussi vu en la matière la fronde de Pierre Berger contre le Téléthon l'année dernière, qui reprochait aux maladies orphelines de monopoliser l'argent du public dont il voulait orienter une partie vers la recherche sur le sida. J'ai déjà mentionné aussi le programme de recherche de six milliards de francs suisses, engageant soixante pays, pour le Grand Collisionneur de Hadrons (LHC) du CERN (Centre Européen de Recherche Nucléaire), l'accélérateur de particules le plus rapide au monde, destiné à vérifier l'existence du boson de Higgs. J'avais remarqué à cette occasion que « les chercheurs des autres disciplines, qui ne sont pas égoïstes, ne doivent pas se plaindre que leurs crédits diminuent, c'est pour favoriser la recherche la plus fondamentale », pour une fois. Mais pour un chercheur, c'est toujours sa recherche à lui qui est la plus fondamentale.

Diffusion

Précisément, la méthode d'appel au public du Téléthon peut donner une piste possible pour remotiver le public pour la science. Les solutions émergent toujours de la pratique des acteurs. En l'occurrence, ce sont les parents des enfants victimes de maladies orphelines, appuyés par les chercheurs, qui ont trouvé cette solution. Ils jouent naturellement sur le pathos pour ces cas dramatiques. Mais l'intérêt pour la science ne devrait pas être négligé. Il faut être bien incertain de sa légitimité pour ne pas penser que les recherches pour lesquelles on prétend par ailleurs se passionner ne vont pas intéresser le public.

Encore faut-il avoir l'habitude de diffuser son travail. L'obsession pour le « jugement des pairs » indique clairement qu'on se fout complètement de ce que pensent les profanes, qui de toute façon « n'y comprendraient rien ». Mais c'est ignorer qu'il existe toute une chaîne hiérarchique de compétences disponibles pour la diffusion des connaissances. En particulier les chercheurs de l'industrie, ou retraités, pourraient servir de relais auprès des décideurs ou des médias. Les mépriser scie la branche sur laquelle la diffusion des connaissances est assise.

J'avais déjà remarqué dans mon livre (Philosophie contre intelligence artificielle) « un curieux comportement académique qui consiste à se savoir ultra-spécialiste, tout en s'étonnant simultanément de l'ignorance, dans son domaine réservé, de la part d'autres ultras-spécialistes de disciplines différentes. » (Chapitre 7). On voit bien que tout le monde n'est donc pas spécialiste de la diffusion des connaissances. Il reste une place pour la sociologie des sciences et l'épistémologie. Il faudrait renforcer la capacité des chercheurs à parler de leur discipline par une formation en histoire des sciences dans les écoles et les universités. Cela éviterait d'ailleurs le regain des superstitions et des contestations de la science par des théories archaïsantes comme le créationnisme, aussi ignorantes en science qu'en théologie.

Un moyen de la diffusion des sciences serait aussi d'accepter le débat, y compris sous la forme de réponse aux contestations. Nous en avons vu un exemple récent avec la question du réchauffement climatique. Je remarquais dans un autre article de cette revue que les écologistes, longtemps minoritaires, ne devraient pas sous-estimer le pouvoir de la discussion quand ils se trouvent pour une fois du coté de la majorité. Le cas récent de Michel Onfray critiquant Freud en offre un autre exemple dans les sciences humaines. Les psychanalystes sont d'autant plus sur la défensive qu'ils sont en perte de vitesse et qu'Onfray se dévoue justement à la diffusion de la philosophie dans le réseau des Universités populaires. Un élément de sa récusation vise à le discréditer au nom de sa qualité de profane et d'outsider par rapport au monde universitaire. Ce n'est pas plus acceptable que la nature falsificatrice des arguments qu'on lui oppose parfois. Le débat n'est décidément pas l'habitude dans le monde académique, alors qu'il est statutairement une condition de la science.

Éthique

Évidemment, comme on l'a vu pour les scandales de l'ARC (Association de Recherche contre le Cancer) ou du sang contaminé, encore faut-il que la science présente au public une crédibilité intellectuelle et organisationnelle au-dessus de tout soupçon. Ce n'est actuellement pas le cas non plus. Il en découle une perte de crédibilité auprès du public et des décideurs.

Les problèmes les plus courants sont les querelles de personnes ou de chapelles théoriques, tout spécialement dans les sciences humaines (trop humaines). Au cours de mes études, j'avais coutume de dire cruellement que « la sociologie, c'est ce sur quoi les sociologues sont d'accord, c'est-à-dire pas grand-chose ». Cela s'applique à de nombreuses disciplines. Mais c'était aussi une boutade (on ne se refait pas). Simplement, les sociologues (et les autres) ne s'occupent que rarement de ce qui les réunit et qui aurait l'avantage, s'ils se donnaient la peine de se mettre d'accord, de présenter au public et aux étudiants une meilleure image de leur discipline et, je le pense, de faire aussi avancer les connaissances, au moins en résolvant les tiraillements inutiles.

Il n'est évidemment pas question de proposer une unité de façade ou de dissimuler les conflits ou les manquements à l'éthique. C'est précisément l'autre biais des institutions bureaucratiques. On voit ce que ça donne avec les affaires de pédophilie dans l'Église. L'absence de remède est pire que le mal (ce qui est bien normal), outre le manque de confiance de l'institution catholique dans la charité chrétienne. Le refus de se remettre en question, suivi d'une contrition tardive au sommet, n'apaise pas les traumatismes et décrédibilise l'institution dans son ensemble. L'échange participatif seul fournit la légitimité pour une population adulte et éduquée. Un peu de pluralisme serait également le bienvenu.

En science aussi, en science surtout, l'information et le débat fondent la légitimité. Le principe d'autorité de la science se fonde sur la possibilité de contestation. C'est parce que la confrontation a eu lieu que les débats sont considérés comme tranchés. Et il suffit de refaire l'expérience quand on doute. Comme ce n'est évidemment pas toujours le cas, le chercheur est souvent incapable de refaire la démonstration qui fonde la confiance. Il finit par répéter ce que disent les collègues comme n'importe quel profane au lieu d'aller voir lui-même par l'expérience ou dans les textes. Notons qu'Onfray prend cette peine d'aller y voir.

Paraphrase

Une cause de la crise de la recherche repose sur le statut bâtard d'enseignant-chercheur. J'avais aussi parlé, dans mon livre de l'opposition question/problème qui recouvre cette idée . Les « problèmes » du collège ou du lycée ne sont que des exercices illustrant des questions de cours. Les véritables « problèmes théoriques » sont l'objet de la recherche. La plupart du temps, la formation consiste à faire des exercices, ou apprendre à paraphraser. Quand on s'interroge un peu trop sur ce qui est enseigné, on peut avoir du mal à suivre (ou à être toléré par l'enseignant, si on le conteste). Si on reste dans le circuit, on devient chercheur dans le meilleur des cas. Mais le plus souvent, ce qu'on appelle la recherche n'est au mieux qu'une poursuite de la formation dans des domaines annexes.

La majorité des articles scientifiques ne sont que des exercices de paraphrase ou des reproductions d'expériences. Une partie des fausses recherches moquées par le public ou par les chercheurs eux-mêmes (voir les « Ig Noble » prizes) correspond simplement à des exercices d'entraînement à la recherche sur un sujet de laboratoire anecdotique et parfois surréaliste. Certaines servent à faire les gros titres. D'où le fameux : « une étude scientifique américaine démontre que... », simple argument d'autorité (incontrôlé) qui peut servir aux multinationales ou à un lobby quelconque pour justifier à peu près n'importe quoi. Le marxisme scientifique ne valait pas mieux entre les années 1950-1980.

La nouveauté avec Internet est aussi qu'on ne se donne même pas la peine de paraphraser et qu'on plagie simplement. Un professeur de Paris 8 - Saint-Denis, Jean-Noël Darde, se mobilise sur ces questions d'éthique et de qualité de la recherche dans l'université et tient un site sur la question, « Archéologie du copier coller ». Il a noté un cas de plagiat universitaire de mon propre livre, que j'ai étudié ce mois-ci. Je suis plus indulgent que Jean-Noël Darde pour considérer une compilation comme un travail académique qui peut former à l'enseignement. Je considère qu'on est beaucoup trop exigeant dans les sciences humaines, contrairement à leur réputation. On ne demande pas à un professeur de mathématiques de réinventer le théorème de Pythagore. Ce qui n'aurait aucun sens. La capacité à l'enseigner est une compétence suffisante, et il est parfois possible d'enseigner sans comprendre : il suffit de suivre le manuel. La question est plutôt de savoir si un doctorat est nécessaire pour enseigner. Cette exigence repose aussi sur l'inflation des exigences académiques et sur la concurrence. Selon mon critère ce n'est pas un problème théorique.

La faute professionnelle du doctorant (et du jury de thèse [2]) consiste essentiellement dans l'absence de citation de l'auteur de la partie plagiée, moi en l'occurrence, alors que les emprunts portent sur plus de dix feuillets, la plupart du temps sans modifications (voir le document qui compare la thèse et mon original : « Un cas de plagiat universitaire analysé »). C'est d'autant plus absurde que les citations sont autorisées dans un travail universitaire. Il suffisait de me citer nommément et de paraphraser, comme le doctorant l'a fait quelques rares fois. Comme je le dis dans l'introduction de ma confrontation : « s'il m'avait cité, il aurait été obligé de signaler, par exemple : 'Dreyfus dit ceci, mais Bolo le conteste en disant cela'. Cela lui aurait évité l'incohérence de justifier une opinion avec des arguments qui la critiquent, comme on peut le constater sur la première page, à propos de l''étiquetage' ».

Dans le cas en question, le plagiat est très important. On considère que le plagiat est constitué à la moindre citation, voire même à la moindre paraphrase, sans indication d'origine (voir l'Université d'Ottawa). Ce qui peut être aussi un peu sévère. La mise au point de critère de débusquage des plagiats repose bien, comme le montre Jean-Noël Darde sur son site, « Archéologie du copier », et comme on peut le constater dans la comparaison que je propose sur : l'absence d'indication d'auteurs pour des citations (pourtant entre guillemets dans le texte) ; les ruptures de style, voire les incohérences ; l'absence, dans la bibliographie, d'auteurs pourtant mentionnés dans le texte (qui sont donc contenus dans une citation plus vaste) ; etc.

J'ai également remarqué que la principale modification à laquelle s'était livré le doctorant indélicat était la suppression de toute polémique, mon livre contestant méthodiquement les philosophes qui critiquent l'intelligence artificielle. Dans certains cas, ce qui est dit sur la philosophie dans mon livre est même attribué à l'IA (pp. 176/20, 181/34, 182/34) par le doctorant . J'y vois la prégnance du consensualisme académique, et l'absence de débat, qui montre aussi que la sélection s'opère sur ce critère et non sur la « recherche ». Ce livre étant lui-même un projet de doctorat, je l'avais abandonné quand mon directeur de thèse m'avait dit « ce n'est pas un doctorat ». Ce qui m'avait un peu vexé. Je peux me consoler en me disant que si d'autres étudiants ont emprunté d'autres passages aussi importants, il va finir par être validé complètement de façon anonyme.

Le problème théorique est justement que j'analysais point par point les erreurs que contiennent les argumentations phénoménologiques contre l'IA. Ces discours règnent actuellement dans l'université et ce que je considère comme des erreurs sont donc enseignées comme la norme. Il me semble que ma position et mon travail méritaient d'avoir une reconnaissance académique, qui suppose justement que les débats ne soient pas occultés ou aseptisés au point de disparaître. On peut justement considérer les points de vue critiqués par mon livre comme de simples paraphrases de la phénoménologie, dont le conformisme est considéré comme conformité. Je montre que leur application au domaine de l'IA en révèle au contraire l'incohérence, sur le même principe des inconsistances du plagiat concerné.

C'est le problème général de l'acquisition. L'assimilation de théories et de pratiques diverses relève de la compétence cognitive que permettent d'évaluer les exercices et la paraphrase. L'analyse méthodique à laquelle je me livrais se plaçait dans cette perspective de validation, comme je le précisais dans la conclusion [3]. Ce travail personnel me paraît être une recherche réellement productive, et m'a donné une vision plus claire de la recherche. Elle m'a d'ailleurs permis plus récemment de résoudre quelques problèmes théoriques plus fondamentaux.

Jacques Bolo

Bibliographie

Hélène MAUREL-INDART, Plagiats, les coulisses de l'écriture

Pierre TOUBERT, Pierre MORET (Dirs) Remploi, citation, plagiat. Conduites et pratiques médiévales (Xe XIIe siècle)

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Voir aussi :

Notes

1. Exercice mathématique. Sachant que le gouvernement ne veut renouveler qu'un fonctionnaire sur deux, et que la durée d'activité (du fait des retraites) est de quarante et un an. Combien de temps faudra-t-il pour privatiser complètement l'éducation nationale, qui comprend 600 000 professeurs. [Retour]

2. Comme le signale J.-N. Darde sur son site « Archéologie du copier coller », les membres du jury projettent même de l'attaquer en diffamation, avec le soutien juridique de l'Université. Cette arrogance académique ne peut que se retourner au final contre l'institution. [Retour]

3. La conclusion a été modifiée par rapport au projet initial. Mon directeur de thèse n'a pas eu complètement connaissance de la version finale, et je ne lui ai pas donné l'occasion de l'apprécier, le cas échéant.  [Retour]

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