Tollé
Le 30 juillet 2010, à Grenoble, les déclarations du président Sarkozy sur la « guerre » au banditisme menaçant les policiers, sur la déchéance de la nationalité, sur les Roms et sur les sanctions contre les parents de délinquants, etc., ont provoqué la levée de boucliers attendue. La provoc était évidente. Même le pape a fait sa bulle. Même l'ONU et la Commission européenne ont rappelé la France à l'ordre. Jean François Kahn a fait la une de son ancienne revue Marianne (il s'incruste) qui a titré : « [Sarkozy] Le voyou de la République », comme si c'était de cela qu'il s'agissait.
Quand Jean François Kahn déclare : « Puisse Rama Yade, en voiture, ne jamais écraser un gendarme. Brice Hortefeux, lui, peut » il a raison de remarquer qu'avec la déchéance de la nationalité des agresseurs de policiers, un Français de souche peut tuer un policier, pas un Français d'origine étrangère ! Mais en quoi cela fait-il de Sarkozy un voyou ? Que je sache, les voyous ne se privent pas mutuellement de la nationalité. Ils se bagarrent plus ou moins violemment. Les allusions « aux heures les plus sombres de notre histoire », dont on abuse ces derniers temps (voir « Godwin, connais pas ! »), ne font pas normalement référence à des « voyous ».
La véritable référence est connue. La question s'était posée de savoir si l'« État français », le régime de Pétain, était « la France » ou « la République ». La revue Marianne et Jean-François Kahn sont connus pour adhérer à l'ancienne conception de rejet de la repentance, de De Gaulle à Mitterrand, que Jacques Chirac avait pourtant abolie, avant qu'elle ne soit rétablie par Nicolas Sarkozy. Mais peut-être Jean-François Kahn a-t-il la repentance sélective ?
Jean-François Kahn s'apercevrait-il brusquement où cette dialectique conduit ? Il reconnaît pourtant le règne du racisme envers les immigrés exclusivement maghrébins ou noirs (« [un] meurtrier mérite de rester français, même s'il s'appelle Popovitch ; mais [...] s'il s'appelle Rachid, deviendra apatride. »). Car c'est bien de cela qu'il s'agit, puisque « Popovitch » est aussi un « immigré » (avec un nom pareil !). Mais quel est le rapport avec les Roms, car la stigmatisation de Rachid ne date pas du 30 juillet 2010. D'ailleurs, ce serait plutôt un Rom bulgare qui pourrait s'appeler Popovitch ! On imagine que le déclencheur a été la simple prononciation du mot « Rom », puisque les intellectuels français (et étrangers, c'est ça la surprise) ne fonctionnent que par symboles et associations d'idées.
Fidèle à la tradition républicaine... Oups ! Je veux dire celle de Marianne (à la suite, d'ailleurs, de feu L'Événement du jeudi, des mêmes), qui fonctionne sur le mode : « Tous pourris (cons, salauds,...) sauf nous ! », Jean-François Kahn récuse la légitimité de ses nombreux prédécesseurs dans la reductio ad hitlerum. Il énumère très longuement (« le style c'est l'homme ») : Nathalie Kosciusko-Morizet, dénonçant la nature foncièrement « pétainiste » de Ségolène Royal ; Xavier Bertrand, assimilant Edwy Plenel à Goebbels ; Marianne « hitlérisé » par Bernard Kouchner ou ses journalistes traités de fasciste et d'antisémites par Sarkozy ; François Bayrou fascisé et pétainisé par Alain Minc ; Régis Debray « vichysé » par Bernard-Henri Lévy ; Jean-Pierre Chevènement « national-socialisé » par les « hitléro-trotskistes » du Monde ; comme Jean-Louis Debré à propos de sa politique d'immigration.
Kahn a donc bien changé d'avis. Comme il l'avoue : « Encore récemment, votre serviteur qualifiait, ici même, de « ridicule » et d'« inacceptable » l'identification Sarkozy-Pétain à laquelle s'était allègrement livré le philosophe Alain Badiou dans un petit livre à succès ». Personne d'autre que Kahn n'a le droit : « Or, voilà que, pour une fois, exceptionnellement, la référence est fondée. Totalement fondée. La saillie grenobloise par le ton, l'inspiration, les mots choisis, les sous-entendus, les décisions annoncées, prend, en effet, une teinte intrinsèquement « pétainiste ». » Ce mec n'a pas honte ! Comme les communistes, il reproche sans doute aux libéraux, sociaux-démocrates, anarchistes, réformistes, ou hitléro-trotskistes donc, etc., d'avoir eu raison trop tôt contre le stalinisme. En fait, c'est ça le truc ! Quand vous avez une idée, il faut d'abord demander à Jean-François Kahn, le pape de l'extrême-centre, s'il veut bien vous donner son imprimatur.
Principes
Bernard-Henri Lévy est plus cohérent. S'il réagit dans Le Monde avec la même motivation sur les mêmes propos, il le fait au nom de principes qu'il respecte habituellement. Il pose les bonnes questions : « À partir de combien de générations serait-on, dans l'esprit de la mesure envisagée, à l'abri de la possible déchéance ? » et souligne un problème pratique : « N'ayant, comme tout un chacun, pas de nationalité de rechange, dans quel vide juridique tomberaient-ils ? Ex-Français ? Apatrides ? » qui révèle au passage le véritable problème idéologique. Tout le monde sait que les immigrés (« non-Popovitch », c'est-à-dire « non-caucasiens ») sont considérés comme ayant la « double nationalité ». C'est pour cela sans doute qu'ils sont des demi-Français.
Mais l'argumentation de BHL, comme on le lui a reproché méchamment, reste un peu trop au niveau des grands principes, pour ne pas dire des mots (« Dans la bouche d'un président de la République, les mots sont toujours plus que des mots et donnent à une société son souffle, son rythme, ses réflexes »). Il ne s'agit pas de mot, mais de valeurs. Sarkozy, dans son discours dira : « Ce n'est pas un problème social, ce qui s'est passé, c'est un problème de truands, ce sont des valeurs qui sont en train de disparaître. » On peut accorder à BHL qu'il a conservé les « valeurs » qui sont derrière les mots, en particulier le mot « valeur » dont les autres se gargarisent. La droite voulait des valeurs. Elle a été servie. Les valeurs de droite sont à corriger sur ce point et sur de nombreux autres.
Mais BHL est un peu décevant. Il semble proposer à Sarkozy de policer son discours (« Des mots, rien que des mots, toujours des mots », dit la chanson « Paroles, Paroles, Paroles »). Il évoque le « tristement fameux 'Casse-toi, pauv'con !' » au Salon de l'agriculture, qui donnerait le mauvais exemple : « l'exemple venant d'en haut, les comportements des citoyens s'indexant mystérieusement mais constamment sur ceux des princes ». Outre que ce point est discutable, BHL semble un peu considérer les citoyens comme des enfants, avec une mentalité d'instituteur. On se dit décidément que c'est bien « l'école de la République » qui est défaillante. Elle n'a pas vraiment réussi à donner « des valeurs » à la droite.
Le diagnostic de BHL est plus exact quand il parle « des suiveurs qui, l'imagination des imbéciles n'ayant pas plus de limites que l'autre, se sont engouffrés dans la brèche d'une politique dont on leur serine, en haut lieu, à tout bout de champ, qu'elle doit être "sans tabou" et brisent, en effet, les derniers tabous de l'honneur et du bon sens [...] ». Le véritable problème de la sarkozie résulte de l'influence d'une idéologie néo-fasciste qui fait retour à droite depuis une trentaine d'années. Bernard-Henri Lévy en avait déjà parlé.
Mais ce n'est pas la peine de se limiter à croire que Sarkozy flatte les bas instincts ou fait du pied au front national. L'existence même du FN est l'expression de l'état d'une partie importante de l'opinion. Selon le titre de l'article de BHL, Sarkozy fait trois erreurs : 1) ne pas convoquer des représentants des Roms ; 2) la déchéance de la nationalité ; 3) parler de « guerre ». BHL et la gauche en font une, toujours la même, et que lui reprochent d'ailleurs toujours la droite en général et Sarkozy en particulier. Un certain angélisme consiste à confondre le pays légal des grands principes avec le pays réel qui régresse à une idéologie raciste. C'est aussi une question de défaillance éducative.
L'illusion fondamentale obéit à une sorte de « modèle iranien ». BHL aurait dû s'en apercevoir. On a trop cru que ce pays se modernisait à l'époque du Shah, à marche forcée, et en fermant les yeux sur la dictature et la torture, alors que persistait une idéologie rétrograde qui a finalement fait sa « révolution islamique ». C'est aussi le cas de la « révolution conservatrice » aux États-Unis (du créationnisme à Sarah Palin et aux tea-parties). Les intellectuels de gauche et les bobos croient toujours un peu trop vite que « c'est arrivé » et abandonnent l'éducation patiente qui permet que ça arrive (méfait de la méthode globale).
Bonapartisme
L'année dernière, en janvier 2009, Laurent Mauduit avait rédigé une série d'articles dans Médiapart, où il faisait un parallèle entre Napoléon III et« Sarkozy le petit ». Il s'inspirait du pamphlet de Victor Hugo, Napoléon le petit, où certaines analogies sont effectivement étonnantes (voir l'article en question). Il pointait tout particulièrement l'omniprésence bling-bling de Nicolas Sarkozy, sa collusion avec les milieux d'affaires, son autoritarisme, la régression des contre-pouvoirs, « le même mélange des genres : entre libéralisme et autoritarisme ; ou sans doute, plus précisément, entre laisser-faire et affairisme ; entre clientélisme et opportunisme. » Ce faisant, Mauduit mérite aussi un peu le reproche (qu'il mentionne) de Jacques Bainville (1879-1936) à Victor Hugo : « L'invective qui vient meurtrir Napoléon le Petit s'arme encore de Napoléon le Grand ». Car ces ressemblances, que Mauduit déplore d'ailleurs aussi sous François Mitterrand, De Gaulle, Pompidou, sont sans doute celles de tout pouvoir. L'inconvénient de l'approche littéraire-historique est de ne pas dégager les concepts de la science politique et d'en attribuer les caractéristiques à l'homme ou la période du moment.
Après tout, le fait de ne pas informer son Premier ministre de ses décisions (comme pour le taux du Livret A) ou de mettre en application la suppression de la publicité sur les chaînes de télévision publique avant le vote de l'Assemblée ; de nommer les présidents de ces chaînes (pour « supprimer l'hypocrisie », droite dixit) ; etc., incriminent autant les Français, les parlementaires et les ministres qui s'y soumettent. Si ceux-là « s'entraînent au dressage qui assouplit l'échine », comme le cite Mauduit, on pourrait en dire de même de l'ambiance qui règne dans les commentaires de Médiapart, dont ceux de cette série d'articles : « Merci, cher Joël, de ces mots » « Merci de votre message, cher Laurent ». Et on y voit aussi les rares contestataires (de service) se faire étriller par les gardiens du temple.
Certains autres commentateurs feront remarquer que le règne de Napoléon II a aussi été très dynamique économiquement, « associé à l'essor industriel, aux grands travaux et au libre-échange » (27/01/2009 22:36 Par STA), et réformateur : légalisation du droit de grève (1864), droit de réunion et d'association (1866). C'était sans doute l'époque qui le permettait. La « politique antisociale de Sarkozy » que cible Mauduit, outre la contradiction de l'existence de cette différence forte avec celle de Napoléon III, pourrait être seulement la conséquence de la crise actuelle. Cela relativise du coup le rôle des hommes politique à celui de mouche du coche. Malgré ses références - et révérences - constantes au livre fameux de Marx (Le 18 brumaire de Louis-Napoléon Bonaparte), Mauduit ne se livre par vraiment à une analyse « de classe » en personnalisant un peu trop sa critique.
« Sarko = facho ! »
J'ai déjà parlé ailleurs du biais que les analystes, comme Mauduit, s'obstinent à appeler « bonapartisme », avec d'ailleurs toujours ce reste d'admiration pour l'aventure napoléonienne chez nos hommes politiques (Sarkozy, Villepin, etc.) ou nos commentateurs (Zemmour, etc., voire Mauduit lui-même). J'ai tendance à considérer insolemment qu'on ne parle en fait que de la République. Rousseau disait que la « république » peut tout aussi bien être une monarchie (il pouvait s'agir d'une précaution). Ce biais « bonapartiste » expliquait sans doute d'ailleurs l'indulgence envers le césarisme du shah d'Iran qui réconciliait enfin Rousseau avec Voltaire dans la théorie du despote éclairé.
Quand il s'agit de « république », les philosophes étymologistes parlent de « chose publique ». Ce qui ne veut strictement rien dire. Ou si cela veut dire « politique », cela ne peut donc pas distinguer les régimes entre eux. Ce qui ne veut donc bien rien dire. Une définition restrictive cohérente de la « république » signifie « non-monarchie ». Une « république monarchique » à la Rousseau est donc bien un contresens (ou bien une précaution). En fait, Rousseau voulait sans doute faire allusion à la notion d'« intérêt général ». Mais si « ce qui se conçoit bien s'exprime clairement », on peut enfin expliquer les errements bicentenaires du « césarisme-bonapartisme » français par cette confusion initiale.
Dans mon article, « Feu la république », j'ai proposé une interprétation historienne de ce malentendu pernicieux :
« Une solution pourrait exister dans la thèse de l'historien Henri Guillemin sur Napoléon, considéré comme une sorte de seigneur de la guerre, homme de main des Girondins (bourgeois affairistes fossoyeurs de la révolution selon Guillemin). Leur but conjoint aurait été de rançonner l'Europe et le monde, en se moquant de la vie humaine, et en pervertissant les institutions pour instaurer une dictature. Le génie de Napoléon aurait essentiellement consisté à fonder une monarchie en s'appuyant sur une imagerie révolutionnaire. Dans la mesure où cette imposture continue à faire illusion deux cents ans après, on peut considérer qu'il a été particulièrement efficace. Il faudrait dès lors considérer qu'« Empire », ou « bonapartisme » (ou « Girondin ») désignent ce que visent généralement les marxistes, altermondialistes, ou simples citoyens dégoûtés par les magouilles et les égoïsmes. Mais c'est faire encore beaucoup trop d'honneur à cette époque détestable et sans doute aussi limiter un peu trop la terminologie au contexte français. »
Mauduit signale aussi très justement l'analyse de Pierre Rosanvallon (dans son ouvrage La Démocratie inachevée), qui parle de « démocratie illibérale ». Mais Rosanvallon est connu pour être un peu trop académique (ou « diplomate », comme Rousseau). Ses analyses sont justes et bien informées, mais il se sort des difficultés en inventant des mots nouveaux (« illibéral ») pour ne pas trancher [1]. Dans l'article cité, j'étais plus explicite : « la terminologie correcte pourrait être rétablie : Démocratie libérale / Dictature républicaine ». On peut être encore plus explicite en précisant, comme le fait un commentateur de l'article de Mauduit : « Il y a beaucoup plus court que « néo-bonapartisme radicalement antisocial »: ça s'appelle le néo-féodalisme. » (29/01/2009 11:44 par Seveg). Soyons encore plus brefs, on peut l'appeler « fascisme ». Les historiens disent que le terme est situé historiquement, « bonapartisme » ou « césarisme » aussi. J'utilise donc ici « fascisme » sans les connotations habituelles.
Ceci expliquerait bien des choses, comme l'opinion de Zeev Sternhell sur les origines françaises du fascisme. Mais Sternhell, sans doute trop gramscien (marxiste polarisé sur l'idéologie), semble le limiter à l'influence des intellectuels en poursuivant aussi la guéguerre que livrent les marxistes aux proudhoniens - à laquelle cède aussi Mauduit ! Mon explication du fascisme par le « césarisme napoléonien modifié Guillemin » est beaucoup plus cohérente et plus politique (sociologique) qu'historienne (ou académique/diplomatique). Et cela évite de s'éterniser sur la question de savoir si le pétainisme est un fascisme. Ce serait une meilleure explication de la « politique économique d'un type très étrange, parfois libérale par emportement, parfois souverainiste, nationaliste ou chauvine » dont parle Mauduit. On voit tout de suite la relation. Il est connu que le fascisme ou le nazisme sont des paniers de crabes à la solde de grands capitalistes où les meneurs prennent leur autonomie en régressant à l'autocratie monarchique. Le « néo-féodalisme » était d'ailleurs l'explication du fascisme par les communistes italiens de l'époque, qui étaient aux premières loges.
Kahn et Mauduit ont raison. Le fascisme est un régime de voyou, mais c'est du fascisme. Le césarisme et l'« illibéralisme », c'est du fascisme. L'origine de ces faux-fuyants est qu'on prend le fascisme pour une insulte : « Sarko = facho ! ». Le fascisme est un régime politique, comme le communisme ou le libéralisme. D'ailleurs, ce que les gens refusent dans le « libéralisme », qui en France est aussi une insulte, c'est le pouvoir des voyous déguisés en républicains (« bonapartiste » donc), comme j'ai eu l'occasion de le dire :
« Ceux qui s'opposent au libéralisme sauvage s'opposent à quelque chose comme le fait de s'en mettre plein les poches en se foutant des conséquences sur autrui (comme les patrons voyous, les corrompus, les mafieux). » (Toujours in « Feu la république »)
Car le terme « république » n'a pas la positivité qu'on lui accorde. C'est plutôt une auberge espagnole. On observe précisément que sa nature véritable est le néo-féodalisme, c'est-à-dire l'affairisme, le népotisme, la noblesse d'empire (l'« élitisme républicain »), bref : la rousseauiste « monarchie républicaine » que tout le monde reconnaît être le système français, avec une « politique économique d'un type très étrange, parfois libérale par emportement, parfois souverainiste, nationaliste ou chauvine », Mauduit dixit.
Bizarrement, le parallèle de Mauduit entre Sarkozy et Napoléon III n'insiste pas beaucoup sur le sens véritable du « populisme », comme on dit aujourd'hui, c'est-à-dire l'antisémitisme et le racisme. Sans doute est-ce parce que ce phénomène s'est vraiment développé après Napoléon III, sous la République, pour culminer dans l'affaire Dreyfus. Chez Mauduit, le populisme concerne la question sociale avec la référence bateau au boulangisme (toujours un peu ad personam). Il aurait fallu parler aussi de l'entreprise coloniale qui n'est que la généralisation du bonapartisme. Comme je le disais :
« On peut en effet, en généralisant la thèse d'Henri Guillemin considérer les Français comme complices de Napoléon dans l'entreprise de pillage de l'Europe dissimulée sous de grands idéaux. Notons d'ailleurs, outre l'admiration sans bornes vouée à Napoléon depuis cette époque, que l'Empire français était précisément identifié à la République pendant toute la période coloniale (sorte de pillage généralisé au monde entier). » (idem).
Il n'est donc pas question de Sarkozy ou de Napoléon III, mais la France profonde. Le populisme concerne l'adhésion populaire au fascisme-bonapartisme. Car chacun sait bien où est son intérêt. Ce n'était pas directement le problème de Mauduit, ou était-ce l'impensé, voire le négationnisme, qui sait bien de quoi il parle quand certains refusent la repentance. C'est précisément la faute intellectuelle, c'est-à-dire l'erreur, de l'extrême centrisme de Jean-François Kahn, qui nie explicitement le problème qu'il pose pourtant :
« Mon analyse, aujourd'hui, est du même ordre : Sarkozy n'est pas pétainiste ni, encore une fois, maurrassien, xénophobe, raciste, encore moins facho. Simplement, aucun interdit d'ordre idéologique ou éthique ne le bride, aucun principe transcendant ou aucun impératif moral ne l'affecte, aucun « surmoi » ne l'arrête. Pour conquérir et conserver le pouvoir, il est capable de tout. Absolument de tout. Exactement comme les caïds des cités. » (« Voyou de la République », Marianne, 11 août 2010).
La cause de son erreur est évidemment le culte (inversé) du chef. Le problème n'est pas de savoir si Sarkozy est « maurrassien, xénophobe, raciste ». Il suffit qu'il se serve du populisme raciste pour qu'il soit « facho ». C'est pour ça qu'on dit qu'il l'est ! Ceux qui le disent ne sont pas des extraterrestres. C'est de ça qu'ils parlent ! Il se trouve que Sarkozy manifeste même un imaginaire nazi (« croc de boucher », etc.) sans doute dû à ses mauvaises fréquentations : l'entourage de Sarkozy est bel et bien constitué d'anciens militants d'extrême droite. De même, tous les membres du Front national ne sont pas des (anciens) nazis, mais ceux-ci donnent souvent le ton en fournissant un cadre d'analyse fasciste, car c'est leur compétence réelle, et les autres reprennent cette mythologie. C'est un peu la même chose dans l'autre camp avec les anciens gauchistes qui vampirisent la gauche social démocrate. Tout ça n'est pas forcément très grave. Mais ça pollue les débats, comme le dit BHL (qui cède cependant à l'élitisme de ce discours, fasciste et léniniste, de l'avant-gardisme : « Dans la bouche d'un président de la République, les mots sont toujours plus que des mots... », déjà mentionné).
L'analyse de Kahn concernant la stratégie de Sarkozy est exacte. Sarkozy est en campagne permanente et gouverne avec les sondages. Quelque chose comme 60% ou 70% des Français sont contre la pub, contre les Roms, contre les voyous, voire les Noirs et les Arabes. En plus, ça divise la gauche. Donc, c'est bon à prendre. Le problème est peut-être qu'il ne s'est pas vraiment aperçu qu'il était déjà élu. Son job de président consiste maintenant à ne pas « diviser les Français », comme on le lui fait remarquer. J'ai dû déjà dire quelque part que c'était la principale caractéristique du Front national, avec les conséquences contre l'intérêt national qu'on pourrait envisager, et le lui reprocher, si on n'est pas soi-même contaminé par cette pensée « maurrassienne, xénophobe, raciste ». Mais nombreux sont ceux qui partagent ce « maurrassisme par incompétence » dont je parlais également.
C'est le cas de Jean-François Kahn qui se débrouille sournoisement pour transférer la faute de Sarkozy aux « caïds des cités » qui sont pourtant bien les victimes de ce genre de stigmatisation. Car si Kahn veut dire que les caïds des cités sont des voyous (ou des illégaux), il en est de même des Roms (illégaux ou voyous) visés par Sarkozy. Mais comme les Roms ont été massacrés par les nazis, cela déclenche un automatisme symbolique. Les Noirs et les Arabes sont pourtant bien discriminés en France depuis plus de trente ans. Dans leur cas, Kahn-Marianne insinue qu'ils en sont eux-mêmes responsables. Et pas les Roms ? J'ai également montré la putasserie « innommable » de Marianne à cet égard, dont le négationnisme, commun à l'imaginaire collectif, a été confirmé par le rappel des événements de la Guadeloupe, comme je le résumai alors :
« En février 2007, j'avais titré « Chasse aux Nègres à Marianne » un article sur un papier imprécatoire de Christian Godin, « Les mésaventures de l'antiracisme » (numéro du 13-19 janvier 2007 de la revue Marianne) qui envisageait des mesures répressives contre l'« antiracisme oublieux des principes républicains », de Raphael Confiant en particulier, et des populations noires en général, dans la mesure où « Il n'y a pas de raison pour que cette déraison s'arrête d'elle-même.» Ce philosophe totalitaire (hégélien notoire), mal informé historiquement, ignorait sans doute que de cette forme de rétablissement de l'ordre républicain s'était déjà manifestée en 1967 contre les Noirs antillais qu'il signalait à la répression. Je soulignais précisément que ces peuples ont aussi une histoire qui leur permet d'avoir un regard particulier sur l'histoire européenne qu'ils connaissent. La preuve est faite que nous ignorons la leur, alors qu'en l'occurrence, elle devrait être aussi la nôtre. » (« Vers le modèle antillais »)
Cette stratégie est très bien résumée par la boue raciste qui se déverse sur le net dès qu'un article traite de l'immigration, ou de la délinquance, et à plus forte raison de la délinquance d'un « immigré », généralement français, comme la plupart des Roms. C'est de cette seule fraction de l'opinion que Sarkozy tient compte. Et c'est d'elle dont Jean-François Kahn néglige l'existence. Ou plus exactement, il tient compte de la fraction qui trouve que la précédente exagère en lui fournissant un discours de substitution qui incrimine les victimes du racisme, en disant qu'ils ne font pas d'effort d'intégration. Un peu comme les Roms, qui n'en font pas du tout, puisque ce sont eux le stéréotype traditionnel du communautarisme, autant que de la stigmatisation subie.
En fait, c'est ça le truc ! On traite les « immigrés non-européens » (non-blancs) comme des Roms. Ce rejet traditionnel contre les étrangers au village instaurait un identitarisme pétainiste qui a donné le racisme ou l'antisémitisme. Le communisme d'Europe de l'Est qui ne supportait pas le particularisme des Roms les intégrait de force, comme le proposent les républicanistes et Marianne pour les immigrés en général. La fin du communisme roumain et bulgare a provoqué la marginalisation des Roms, révélant que le racisme subsistait sous le boisseau du discours universaliste, comme il subsiste sous les illusions républicaines. Leur arrivée en France depuis l'élargissement de l'Union européenne a rétabli l'ordre naturel des choses. Au point que le ministre de la Défense, Hervé Morin, plaisante de ce secret de Polichinelle que les Roms remplacent aujourd'hui les Arabes dans la stigmatisation !
« Après 50 ans de bons et loyaux services, c'est avec beaucoup d'émotion, mais il est vrai avec un certain soulagement, que les Français d'origine maghrébine ainsi que moi-même sommes très fiers de passer officiellement le relais aux Roms comme boucs émissaires et responsables de tous les maux de la France. » Hervé Morin, 29 août 2010, Université d'été du Nouveau Centre.
Et ça le fait rire, le con ! Bon, disons que c'est de l'humour juif. Comme ça, on peut même dire, pour être plus exhaustifs, que les Noirs et les Arabes avaient remplacé les juifs et les Roms. Je serais juif, je me méfierais de ce retour aux bonnes vieilles traditions. Et le fait que ce dirigeant du nouveau centre (catho) reste ministre malgré ce qu'il note très cocassement, après les ministres socialistes d'ouverture qui ont voté les pleins pouvoirs à Sarko, rappelle déjà le pétainisme.
Analyse de discours
L'analyse du discours réel de Sarkozy montre qu'il fonde surtout son intervention sur son rôle récurrent de super-ministre de l'Intérieur. Le « bonapartisme » est simplement fasciste s'il choisit systématiquement l'option autoritaire. Tout le monde le sait et tout le monde le dit, sauf évidemment ses acolytes, selon le même principe fasciste. Mais les uns et les autres et Sarkozy ont tort. Tout le monde sait qu'il vise le soutien électoraliste du FN. Ce point ne fait aucun doute, et c'est sur cette intention qu'on le juge (comme le fait Kahn). Mais l'analyse concrète de son discours montre l'étendue de la confusion de part et d'autre. Le président a d'ailleurs manifesté une obsession du consensus sur cette affaire :
« Tous les élus sont concernés, ce n'est pas une affaire d'opposition, de majorité, de gauche ou de droite, c'est une affaire d'intérêt général. [...] Il n'y a pas les caméras de gauche et les caméras de droite. [...] Et je demanderai à chacun de faire abstraction de ses appartenances partisanes pour voter des textes non pas en fonction du ministre qui le présente, mais de l'utilité de ce texte. [...] Là aussi, ce n'est pas une question partisane, une question de réflexion. [...] Ce n'est pas non plus une question de droite ou de gauche, mais une question de bons sens. [...] Là aussi, ce n'est pas une affaire de majorité, de gauche ou de droite, de président de la République ou de maire. »
On doit constater que Sarkozy a surtout fait l'unanimité contre lui. Lui et ses conseillers devraient s'interroger sur ce phénomène [2]. L'opposition, surtout internationale, se polarise sur les déclarations du président sur les Roms. C'est extrêmement bizarre comme réaction. Et cela montre que les gens n'ont pas compris ce qu'ils ont entendu ou qu'ils n'ont pas relu le discours avant de critiquer. Il est faux de dire qu'il stigmatise les immigrés ou les Roms. Au contraire, le discours de Sarkozy s'obstine à se justifier sur tous les sujets qu'il aborde. Et apparemment, cela ne suffit pas.
Sur les jeunes délinquants :
« Les violences qui ont frappé la ville de Grenoble sont le fait d'une petite minorité, certes d'une minorité qui a voulu marquer son allégeance envers les truands. [...] Tel est le cas de cette ville et de ce département, il n'y a aucune volonté de stigmatisation. [...] Je viens, on me dit : il ne faut pas stigmatiser. [...] Nous avons besoin de nous rassembler pour montrer à cette minorité qu'elle n'a aucun espoir et que nous allons agir. [...] Je parle des multirécidivistes. [...] Je faisais le point avec le ministre de l'Intérieur : imaginez que nous avons 19 000 délinquants en France qui sont plus de 50 fois mis en cause dans nos fichiers. [...] J'ajoute que nous ne pouvons pas non plus tolérer le comportement de certains jeunes qui empêchent les autres d'étudier. [...]Et tout ceci peut être mis par terre parce qu'une minorité met la pagaille sous le regard des médias qui font leur travail, attachés qu'ils sont au spectaculaire. [...] On n'a pas le droit de gâcher nos atouts par la faute d'une poignée de délinquants. [...] Nous devons nous poser les questions sans tabou, sans excès c'est vrai, sans stigmatisation, sans amalgame c'est vrai. »
Sur les Roms :
« Il ne s'agit pas de stigmatiser les Roms, en aucun cas. »
Et même :
« Les Roms qui viendraient en France pour s'installer sur des emplacements légaux sont les bienvenus. »
Je renvoie au discours dans son ensemble (ou au texte) pour ceux qui veulent travailler un peu au lieu de se limiter à des textes de seconde main, ou sur des angles d'attaque particuliers (qui ne sont pas forcément illégitimes).
Le véritable problème est l'amalgame entre les différents points de son discours. Outre la nomination du nouveau préfet, le discours traite : 1) de la guerre au grand banditisme menaçant les policiers, 2) de la déchéance de la nationalité, 3) des sanctions contre les parents de délinquants, 4) et des Roms. Entre ces différentes situations, on fait (de part et d'autre) un lien qui n'existe pas réellement [3]. Mais il faut bien admettre que le discours semble avoir procédé par association d'idées, de clichés, de symboles. La réaction contre ce discours a fait de même. Les Français ne savent pas penser. L'heureuse surprise est que les étrangers non plus. Je m'inquiétais un peu.
Le deuxième aspect du mécanisme de l'amalgame est aussi que Sarkozy veut parler de tout, précisément parce qu'il procède par association d'idées. J'avais déjà signalé ce biais dans le fameux discours de Dakar, en 2008, sur « l'homme africain qui n'était pas entré dans l'histoire ». C'est ce qu'on en avait retenu. Son auteur, Henri Guaino, avait sans doute voulu trop en faire, au point que je m'étais senti obligé de proposer des coupes pour l'alléger. De quoi je me mêle ! Mais il faudrait à l'avenir que le président se limite à un seul sujet par discours. Sinon, on voit le résultat !
Il est clair que la question de l'immigration illégale des Roms n'a rien à voir dans cette histoire de grand banditisme. C'est vrai qu'il existe des réseaux de délinquance chez les Roms (pas que chez eux). Mais la véritable question est celle des pays communistes où ils sont marginalisés. Ils profitent de l'ouverture européenne pour venir en France. Sarkozy remarque d'ailleurs, dans son discours même, qu'ils font des allers-retours pour toucher des primes (un citoyen européen peut séjourner légalement trois mois dans tout pays de l'Union sans trouver de travail, comme les traités européens le lui permettent). Sarkozy oublie de dire que ces primes existent pour grossir les statistiques des expulsions. Comme ces expulsions servent son discours électoraliste, c'est plutôt lui et son parti qui en profitent, et qui gaspillent les fonds publics uniquement pour fausser les statistiques. Avec ces moyens, on pourrait intégrer les Roms et scolariser leurs enfants, et payer des profs au lieu de payer des flics (qui, paraît-il, peuvent accumuler des miles quand ils accompagnent les expulsés en avion). Pour régler ce problème, une politique européenne spécifique serait aussi nécessaire dans les pays d'origine, pour résoudre les problèmes de l'intégration de ces pays à l'Europe, qui s'est faite un peu trop rapidement, par culpabilité à la suite de l'affaire yougoslave (voir le passage correspondant dans L'Europe sans la Turquie n'est pas l'Europe).
Démocratie
Le problème de Sarkozy, sur cette affaire, est issu de sa réputation et de ses manières. On peut dire « ses manières de voyou ». Beaucoup de Français de gauche et de droite trouvent que son comportement n'est pas très digne de sa fonction. J'ai déjà signalé que je m'en foutais et que je trouvais même ça un peu faux cul de la part de la gauche (voir « Les mots ne sont pas si importants »). Mais, quand on l'accuse de stigmatiser certains, on ne prête qu'aux riches. Kahn, a beau dire, quand ça sonne facho, c'est du facho, du facho light, mais du facho quand même (voir les fachos parlant des footballeurs). Et quand on est entouré d'une bande de fachos, même propre sur eux, il ne faut pas s'étonner si la machine à association d'idées fonctionne quand on parle des Roms (ou des juifs). Chez Kahn le premier d'ailleurs. Ce qui est plutôt étonnant est qu'on ne se préoccupe jamais des discriminations raciales, qu'on semble toujours considérer comme normales. Kahn le premier d'ailleurs.
Le fascisme se caractérise précisément par un autoritarisme qui prétend diriger un pays comme un gang, un clan (d'où le « néo-féodalisme »). Le problème du césarisme-bonapartisme-fascisme français, de droite ou de gauche, peut se formuler simplement : « Pourquoi se fatiguer à convaincre quand on a le pouvoir ? » Ce n'est pas une question de mauvaises intentions, comme on semble le croire. Sarkozy est un type qui veut agir vite, et qui entreprend tout à la fois : grand Paris, réforme des retraites, reforme de l'État et des collectivités locales, etc. Ce sont des projets ambitieux et pertinents (ceci en est même étonnant). Mais l'incapacité à déléguer et à négocier réellement est aggravée par le système français. La décentralisation elle-même a été annulée par le cumul des mandats et les pitoyables justifications qui l'accompagne. Et chaque réforme en profite pour faire passer des « cavaliers législatifs » qui l'annulent ou taclent les adversaires. J'avais envisagé (in « Fin de la politique ») la solution plus consensuelle de voter des lois seulement à la majorité qualifiée (2/3 des voix).
En outre, comme je l'ai déjà signalé à propos de la suppression de la pub et de la prime à la casse, Sarkozy semble prendre systématiquement les mauvaises décisions, et il s'obstine à choisir les mauvais responsables (il n'est pas le seul). Comme je l'ai dit aussi à propos de la « rupture », Sarkozy présente le biais classique du volontarisme (bonapartiste, fasciste, communiste, etc.) « qui consiste plutôt à brûler ses vaisseaux et jouer son va-tout ». Le fait de s'entourer de soutiens serviles charge encore la barque. On ne constate que trop cette attitude au parlement, à droite comme à gauche d'ailleurs. L'affaire récente des salles de consommation de drogue sous surveillance médicale, à propos desquelles un communiqué du Premier ministre a clos le débat le 12 août, le confirme. La république n'est pas la démocratie. Un pays n'est pas une caserne et ce n'est pas le président qui commande. C'est comme ça et pas autrement.
Jacques Bolo
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