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Méthodologie / Social - Juin 2010

« Évidences » et réalité des retraites

Logique médiatique

Le spécialiste des médias Daniel Schneidermann, nous fait le coup des « évidences » dans un article : « La cotonneuse évidence de la démographie », paru le 31 mai 2010, dans Libération. Cela lui permet de critiquer l'argument pour le recul de l'âge de la retraite qui dit « Puisqu'on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps ». Il se livre au passage, à son habitude, à un débinage de ses collègues journalistes, en l'occurrence Arlette Chabot interviewant Dominique Strauss-Kahn, quand elle le presse pour lui faire dire : « Je ne crois pas qu'il doive y avoir de dogme » et qu'elle met en place « le feuilleton tant souhaité 'Dominique Strauss-Kahn contre Martine Aubry' ».

Mais l'air du complot médiatique est une ficelle aussi grosse que celles que Schneidermann met effectivement au jour chez sa collègue. La révélation de ces secrets de fabrique et de polichinelle médiatiques lui a déjà valu des déconvenues à l'époque où il avait cru avoir l'aval de Bourdieu. Schneidermann pondra un bouquin pour répliquer au maître (« maître ignorant », soit dit en passant, sur les questions des médias) qui ne lui avait pas rendu justice. Ce en quoi Bourdieu avait tort, car Schneidermann fait ce qu'il peut. Mais il a aussi ses contraintes matérielles et idéologiques (qu'on peut donc critiquer).

Quand on a grandi dans les années 1970, on sait que le truc de « la critique des évidences » (ou des idées reçues) servait à discréditer les arguments d'autrui. Quand on joue à ça et qu'on se prétend critique des médias, on se discrédite définitivement (ça marche sans doute auprès des jeunes, pas auprès de ceux proche de la retraite). On constate que Schneidermann en rajoute une louche en critiquant la « critique des dogmes » de gauche par la droite. Une authentique critique des médias constaterait plutôt que la droite a compris le coup de la gauche en la matière. Si ça marche, ça marche. Est-ce que cela voudrait dire qu'il ne faudrait plus critiquer les dogmes ? On pourrait les appeler des « acquis » ? Mais si un « acquis » est « ce qui ne peut pas être remis en question », il ne faut pas s'étonner qu'on les considère comme des « dogmes ». Et si on fait semblant de s'étonner, on ne doit pas se prétendre critique des médias. Cette méthode est simplement le propre de la production idéologique qui ne vise que les convaincus, et ne fortifie pas leur sens critique.

Quand on veut masquer un désaccord sur le contenu, on critique la forme dans une parodie d'analyse logique (« dans l'absolu, chacun des membres de cette proposition pourrait pourtant être discuté ») qui vise à impressionner les gogos et à se placer dans une position de surplomb. Biais professoral de la culture de gauche. Mais un biais professoral réac, qui ne laisse pas beaucoup de légitimité à la parole de l'élève qui ose contredire le professeur. On est de gauche, mais y a des limites ! Une critique médiologique remarquerait plutôt qu'on n'est pas des élèves, mais des citoyens, qui ne sont pas le public captif de la gauche comme celui d'une classe pour un prof.

Mais Schneidermann n'est pas non plus un professeur de logique, qu'il ignore autant que Bourdieu ignore les médias. Une évidence n'est pas une « évidence entre guillemets » (c'est-à-dire une erreur). Une évidence, c'est ce dont la négation implique contradiction ! Et la prolongation de la durée de vie implique une augmentation de la durée de cotisation ou une diminution du montant de la retraite (on risque fort d'avoir les deux). La solution logiciste de Schneidermann « On pourrait aussi faire subir à la fameuse proposition la torture du syllogisme. [...] Si l'on travaille plus longtemps, alors on vivra moins longtemps. » montre les limites intellectuelles de la gauche à une régression scolastique ou simplement scolaire et adolescente.

Principe de réalité

L'escroquerie réelle des retraites est plutôt que la retraite à 65 ans elle-même ne concernait réellement que les cadres, puisque les ouvriers, dont se revendique la gauche, mourraient plus jeunes (d'où les problèmes actuels sur la pénibilité). En clair, le fameux système « mis en place à la Libération » faisait payer la retraite des riches par les pauvres. Le système a été étendu progressivement à tout le monde en jouant sur une fonction « sociale », mais en le déconnectant des cotisations (augmentations électoralistes, pensions de réversion, alignement sur les dix meilleures années, exonération des charges pour les entreprises, etc.). Avec l'augmentation réelle de la durée de vie, le système ne tient évidemment plus. La gauche n'aime notoirement pas la « logique comptable ». Mais la logique comptable, comme la démographie, se foutent qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas.

La réalité démographique subsiste : si on vivait 120 ans, 150 ans, travaillerait-on toujours de 20 à 60 ans (voire de 25 à 55). La force de la droite est ici de dire la vérité. Il y a une époque où la gauche se revendiquait de la raison contre la tradition - d'où la « critique des idées reçues » qui étaient surtout des idées périmées. Malgré la connerie du stalinisme, certaines vérités parvenaient à passer (d'où la critique du stalinisme). Aujourd'hui, la gauche dit toujours des conneries (comme la droite), mais elle semble imperméable à tout raisonnement (pour ne pas désespérer un Billancourt inexistant, parce que délocalisé !), ce qui est inquiétant. Quand elle se revendique de la logique contre la réalité, c'est le courant littéraire qui impose le surréalisme.

Tout le système des retraites actuel, comme je l'ai déjà écrit, est un gigantesque système de cavalerie de type Madoff. Dans cette affaire-ci, vu les montants engagés, la question se pose de savoir si l'escroquerie a servi à un financement occulte (et si Madoff accepte de porter le chapeau pour les bénéficiaires) ; ou s'il s'agit de simple emballement d'un système fondé sur des promesses de gains intenables (si l'argent a été réellement investi) ; ou si le système se limite au paiement des intérêts avec l'argent des nouveaux investisseurs (l'escroquerie réelle se limitant au coût de fonctionnement du train de vie de la famille Madoff), le système devant s'écrouler simplement quand il n'y a plus de nouveaux arrivants. Certaines similitudes comptables apparaissent avec la situation des retraites.

La question des retraites peut se résumer à essayer de dissimuler la fraude sous le tapis. Ce qui devrait être assez facile, puisque les escrocs sont les mêmes que les escroqués (je disais : « Les citoyens sont complices de l'illusion qu'ils ont mise en place »). Mais évidemment, dans le cas où l'on s'escroque soi-même, la logique comptable veut qu'on ne gagne rien de plus que ce qu'on met dans le pot. Mais au moins, on peut considérer aussi qu'on gagne à tous les coups (si on ne prend pas en compte le coût de fonctionnement) !

Jacques Bolo

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