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Politique / Economie - Mai 2010

Projet socialiste très gauche

En avril 2008, le Parti socialiste avait déjà produit une « Nouvelle déclaration de principes » d'une mièvrerie très prononcée par souci de rattraper le coche de l'écologie (et de rallier les écologistes), ou simplement en cherchant à mettre d'accord ses nombreux courants [1].

Deux ans plus tard, le 19 avril 2010, la Convention nationale du PS redescend sur terre avec un document de travail, le « Nouveau modèle économique, social et écologique », beaucoup moins fumeux, mais qui montre également les limites de la gauche française.

Ce document est une plutôt bonne synthèse des discours actuels sur les problèmes économiques tout en mettant toujours l'accent sur la dimension écologique. Le fait que Moscovici ait été chargé de la rédaction remplace la mièvrerie précédente par une unité intellectuelle, plus de clarté et de compétences. Mais la nécessité d'anticiper l'application d'un programme politique réaliste provoque encore la nécessité de ménager la chèvre productiviste et le chou écologique. Les déclarations sur la « société du bien-être » [en fait surtout « l'être plutôt que de l'avoir »] sont contradictoires avec les objectifs de production industrielle et de défense du pouvoir d'achat [qui se réfèrent exclusivement à l'avoir]. Cette question n'est pas encore réglée par le Parti socialiste.

La véritable incohérence de la solution socialiste consiste dans l'illusion d'avoir prise sur les événements mondiaux. Les déclarations sur la gouvernance mondiale renvoient exclusivement à une légitimation de la reprise en main de l'économie française par l'État, dont on peut douter des effets. Cela revient à un renforcement de « l'entreprise France », mais ne lui donne aucune maîtrise du marché mondial. En outre, cela correspond surtout à des politiques qui ne sont pas spécifiquement socialistes : régulations des marchés financiers ; aides aux entreprises moyennes ; suppression des niches fiscales ; agriculture et production durables (nucléaire - mais pas trop) ; coopération européenne ; mondialisation solidaire (un peu). La seule véritable différence serait simplement que ce serait les socialistes qui s'en occuperaient (ce qui pourrait être préférable).

J'ai cependant déjà constaté que face à la mondialisation et au développement des pays émergents, la solution de la gauche plus ou moins radicale (voir « Marx, Engels,... Julliard ») semble consister à vouloir ralentir la croissance des nouveaux venus et de maintenir le pouvoir d'achat des... ci-devants. Ce qui rétablit une forme de statut d'indigènes, solution décidément à la mode (voir : « Union sous-européenne »).

L'inconvénient de ces demi-mesures réside encore dans la tendance à changer les mots en croyant changer la réalité, sur fond d'antimatérialisme et d'antilibéralisme. C'est le biais classique des intellectuels : remplacer le libre échange par le « juste échange », le protectionnisme par des « écluses sociales et environnementales » (!), ou justifier le contrôle de l'état par l'idéologie des « biens communs ». Autant de mécanismes qui existent d'ailleurs déjà et qui laissent à penser qu'à partir de dorénavant, tout restera comme d'habitude. Autant de discours qui renforcent décidément l'idée que la politique consiste surtout à présenter un discours acceptable, et à jouer les mouches du coche.

Cette atmosphère consensuelle de fin de l'histoire risque de faire perdre la nécessité d'une alternance si les propositions sont récupérées par le pouvoir en place. On constate d'ailleurs que le président Sarkozy s'approprie régulièrement le discours de la gauche.

***

À titre de document historique comme base de comparaison, je suis tombé récemment sur le « Discours du 11 octobre 1940 : l'ordre nouveau » du maréchal Pétain, qui montre aussi que « plus ça change, plus c'est la même chose » dans les solutions de recours en cas de crise.

« Devant la faillite universelle de l'économie libérale, presque tous les peuples se sont engagés dans la voie d'une économie nouvelle. Nous devons nous y engager à notre tour et, par notre énergie et notre foi, regagner le temps perdu.
« Deux principes essentiels nous guideront : l'économie doit être organisée et contrôlée. La coordination par l'État des activités privées doit briser la puissance des trusts et leur pouvoir de corruption. Bien loin donc de brider l'initiative individuelle, l'économie doit la libérer de ses entraves actuelles en la subordonnant à l'intérêt national. La monnaie doit être au service de l'économie, elle doit permettre le plein essor de la production, dans la stabilité des prix et des salaires.
« Une monnaie saine est, avant tout, une monnaie qui permet de satisfaire aux besoins des hommes. Notre nouveau système monétaire ne devra donc affecter l'or qu'à la garantie des règlements extérieurs. Il mesurera la circulation intérieure aux nécessités de la production.
« Un tel système implique un double contrôle : sur le plan international, contrôle du commerce extérieur et des changes pour subordonner aux nécessités nationales l'emploi des signes monétaires sur les marchés étrangers ; sur le plan intérieur, contrôle vigilant de la consommation et des prix, afin de maîtriser le pouvoir d'achat de la monnaie, d'empêcher les dépenses excessives et d'apporter plus de justice dans la répartition des produits.
« Ce système ne porte aucune atteinte à la liberté des hommes, si ce n'est à la liberté de ceux qui spéculent, soit par intérêt personnel, soit par intérêt politique.
« Il n'est conçu qu'en fonction de l'intérêt national. Il devra, dans les dures épreuves que nous traversons, s'exercer avec une entière rigueur. »

Par cet exemple, je ne veux pas critiquer le Parti socialiste (ni le stigmatiser facilement, car je ne fonctionne pas par symboles). Mais je ne suis même pas sûr qu'à l'époque de Pétain, il était question d'admettre des écarts d'un à vingt dans les rémunérations – non qu'ils n'aient pas existé, mais plutôt qu'aujourd'hui, une telle grille risque d'être institutionnalisée par le PS pour des salaires courants.

On se dit surtout qu'une tonalité antilibérale produit à peu près le même résultat (être contre l'avoir, protectionnisme, antimondialisation, rôle de l'État, intérêt national). Il n'est pas nécessaire de supposer que les intervenants aient de mauvaises intentions ou que les experts qui rédigent ces projets ne tiennent pas compte de la connaissance disponible. Le point commun est, dans ces deux cas concrets, que la prise sur les événements du monde est quasiment nulle.

Jacques Bolo

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Notes

1. « C'est la cinquième fois, depuis 1905, que le PS redéfinit ses bases idéologiques. Ce document, qui fera l'objet d'un vote lors de la Convention nationale du 14 juin 2008, a été élaboré par une commission ad hoc où toutes les sensibilités étaient représentées. » (La nouvelle déclaration de principes du Parti socialiste, 24 avril 2008). [Retour]

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