Société - Mars 2010
Habeas corpus
La culture du chiffre imposée aux policiers pour évaluer leur pratique produit des effets pervers. Le nombre de gardes à vue a explosé depuis cinq ans. On a d'abord annoncé qu'elles avaient augmenté de 50%, mais on avait oublié les 200 000 gardes à vue routières. Elles ont donc doublé pour atteindre 800 000.
On sait que la garde à vue sert à faire pression sur les prévenus. Mais elle semble utilisée de plus en plus pour tyranniser les citoyens qui sont de plus en plus nombreux à se plaindre des méthodes de la police, et des conditions dans lesquelles la garde à vue se déroule. D'autant qu'elles frappent des personnes comme-il-faut, qui se trouvent confrontées accidentellement aux forces de l'ordre, dans des cas qui dégénèrent parfois.
Une interprétation qu'on a négligée est celle-ci. Depuis quelques années, « la sécurité » est devenue une thématique politique qui met la pression sur les policiers. Concrètement, les gardes à vue ont commencé par les petits voyous de banlieue, en visant particulièrement les Noirs et les Arabes. C'était donc forcément une atteinte aux droits humains si elles avaient lieu sur ce seul critère. Chacun le sait, et le simple fait qu'on le néglige, ou à plus forte raison qu'on l'approuve, montre l'état de la justice et de la police. De mauvaises habitudes ont été prises. Les justifications hypocrites qui en découlent ont renforcé le sentiment d'impunité de la police (ça ne marche pas que pour les voyous).
Ce genre de méthode commence aujourd'hui à déborder hors des quartiers sensibles. Et les citoyens respectables se rendent compte que les droits humains ont un intérêt (comme les politiques ont pu se rendre compte de l'importance de la présomption d'innocence au moment où les juges ont entamé leur impunité habituelle).
Il n'est pas nécessaire de réinventer la poudre. Il suffit d'appliquer les principes, si on ne veut pas régresser à une situation où ces principes n'existaient pas. On constate aujourd'hui les conséquences de ce mécanisme.
Jacques Bolo
|