Le projet récent de béatification de Pie XII a évidemment suscité des interrogations et des débats. On s'interroge sur l'obstination du pape actuel, Benoît XVI, à provoquer le scandale par une attitude autistique de l'Église qu'il dirige. Le débat est connu, il concerne le rôle du pape Pie XII, accusé d'avoir été silencieux sur le génocide des juifs par les nazis. Il est défendu par ceux qui disent qu'il a agi discrètement pour sauver quelques juifs, et qu'il était impuissant devant la menace nazie de s'attaquer aussi aux chrétiens (ou plus spécifiquement aux juifs convertis).
C'est une critique un peu trop généreuse. La réalité est plutôt que le pape s'inquiétait aussi, et surtout, de contenir les progrès du communisme, contre lequel Hitler était aussi perçu comme un allié. Nous avons vu (voir « Max Scheler : L'homme du ressentiment ») qu'il existait, à la fin du XIXe siècle et au début du XXe, un fort courant catholique réactionnaire, antisémite, qui n'acceptait pas la République, la séparation de l'Église et de l'État, le socialisme, et plus généralement la modernité. Je rappelle également, dans le numéro de janvier d'Exergue, le rôle du Vatican comme origine de la théorie du complot, à la fin du XIXe siècle, dans la continuité des papes de l'époque de la Révolution française.
Un point peut concerner spécifiquement Pie XII, comme l'ont révélé Jean Marc Ticchi et Philippe Chenaux dans l'émission de France culture, « La fabrique de l'histoire » du 22 janvier 2010. On rappelle souvent que Pie XII, avant d'être pape, avait été nonce auprès de l'Allemagne de 1917 à 1929, sous-entendant qu'il aurait été germanophile et complaisant envers l'Allemagne nazie. Mais selon Ticchi et Chenaux, l'expérience qui l'aurait marqué aurait plutôt été la tentative d'intervention de son prédécesseur, Benoît XV, pour faire cesser la boucherie qu'était la Première Guerre mondiale. Il s'était alors attiré les foudres des deux camps qui voulaient continuer à se massacrer joyeusement. Ce qui peut être considéré comme un effet pervers de la séparation de l'Église et de l'État, à supposer que le pape ait jamais eu une quelconque influence sur des combats par le passé (il faudrait donc admettre qu'il ne pouvait pas faire grand-chose cette fois-ci non plus).
Mais tout ceci fait donc un peu trop la part belle à l'idée de l'autorité morale de l'Église et de son représentant romain. La réalité est beaucoup plus prosaïque. Concrètement, il existe des curés de gauche et des curés de droite. Les uns cachent les résistants, les autres permettent aux nazis de s'enfuir en Amérique du sud. Il existe sans doute des naïfs, qui croient peut-être en Dieu (ou au père Noël), qui gobent l'idéologie du droit d'asile et portent assistance aux uns et aux autres, mais ils sont certainement minoritaires. Les deux tendances ont existé au Vatican. Et le pape d'alors n'a pas choisi le camp que l'autorité morale qu'il est censé représenter aurait dû choisir. Comme il ne l'a pas choisi, il ne représente pas cette autorité morale dont on n'a aucune raison de le créditer. Comme d'habitude, c'est notre propre souhait qui construit artificiellement la fiction de cette autorité morale (ou du père Noël).
Comme aujourd'hui avec le pape Benoît XVI qui privilégie l'organisation de l'Église, ce qui s'est passé alors, c'est que Pie XII a sans doute voulu éviter l'éclatement de l'église dans ces différentes composantes partisanes. Les juifs étaient alors un problème secondaire.
Jacques Bolo
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