Dans son livre récent, De la guerre en philosophie, Bernard-Henri Lévy critique l'idéalisme de Kant en citant un philosophe, Jean-Baptiste Botul, qui se révèle être un canular de Frédéric Pagès, professeur de philosophie et chroniqueur au Canard enchaîné.
Depuis qu'Aude Ancelin, du Nouvel Obs a révélé cette gaffe dans un article du 2 février 2010, tous les médias se sont déchaînés contre BHL qui, après avoir trouvé ça drôle, commence à être sérieusement agacé, au point, sur France Inter, de trouver que « C'est en train de tourner un peu pestilentiel. Ça tourne glauque ». Encore un peu et ce sera sans doute de l'antisémitisme. BHL a tort sur ce point (c'est juste de l'acharnement contre une tête de Turc), mais il a aussi raison : c'est la guerre en philosophie. Encore que cette guerre salonnarde corresponde plutôt au film de Patrice Leconte, Ridicule (1995), où il s'agit d'humilier ses adversaires.
Il y a quelques années, me semble-t-il , j'avais moi-même lu ou entendu un compte rendu du livre de Botul sur La vie sexuelle de Kant. Il est possible que BHL ait fait pareil, sans le lire assez sérieusement (légèreté qu'il revendique) pour comprendre le canular. Mais il a voulu le citer comme un argument, et a donc mentionné l'auteur (ce qui est légitime). Par contre, le problème est son style emphatique habituel qui a laissé croire qu'il l'avait vraiment lu et croyait à son existence.
D'ailleurs, qui a lu le fameux livre de Botul ? Comme le disait Jean Fourastié, dans Faillite de l'Université (p. 115) : « N'importe quel cancre rit avec Pascal des idées du père Mersenne, n'importe lequel se gausse de ses millions d'ancêtres qui ne savaient pas que la Terre était ronde ».
Le problème est plutôt que ce genre d'usage des textes est général. Ce serait étonnant que quiconque parle seulement des textes qu'il a lus et qu'il maîtrise. BHL est ici simplement un exemple assumé de cet usage. Lui tomber dessus est un peu lâche de la part de ceux qui font pareil. Pour beaucoup, Kant est aussi virtuel que Botul.
Il faut dire que BHL est bien cette tête de Turc habituelle de la part d'universitaires, ou d'une partie du public que son personnage agace. J'ai déjà signalé qu'une des raisons est que : « en France, le rôle historique de BHL et des « nouveaux philosophes » a été de mettre un terme à la sacralisation du communisme et de l'URSS. À l'époque, même les intellectuels critiques du stalinisme ne l'ont pas digéré. » (voir « BHL au pays des soviets »). On a bien l'impression que ça continue, favorisé par la facilité d'exhumation des archives sur Internet (Derrida, Vernant,...) – ce qui est au moins une bonne chose, puisqu'on a accès aux sources, sans les contextualiser, cependant.
Mais sur le fond, le problème actuel est inexistant puisque la position du fictif Botul sur l'idéalisme kantien est assez banale. La philosophie de Kant dans son ensemble peut d'ailleurs être légitimement et académiquement considérée comme virtuelle (idéaliste). D'où la critique de BHL : « Kant [...] le prétendu sage de Königsberg, le philosophe sans vie et sans corps par excellence, dont Jean-Baptiste Botul a montré, au lendemain de la seconde guerre mondiale, dans sa série de conférences aux néo-kantiens du Paraguay, que leur héros était un faux abstrait, un pur esprit de pure apparence... ».
Ce qui me paraît contestable semble plutôt l'option anecdotique (« la vie sexuelle... ») à laquelle BHL a cédé comme argument pour remettre en cause la philosophie idéaliste. Or il se trouve que j'ai déjà réglé son compte à cette position biographiste, à propos de Michel Onfray (voir : « Onfray et le biographisme ») Cette justification psychanalysante érudite de l'attaque ad personam est un reproche général qu'on peut faire à la philosophie française. Et ceux qui attaquent BHL me semblent être aussi un peu trop obnubilés par sa personne pour être philosophes, honnêtes, ou simplement crédibles.
Jacques Bolo
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