Ça devait arriver ! Le Front national de la jeunesse (FNJ), organisation de jeunesse du Front national, a
participé à la campagne sur l'identité nationale, lancée par le gouvernement Sarkozy, en se revendiquant
de de Gaulle [1], qui déclarait, en 1959, selon un de ses anciens ministres, Alain Peyrefitte, dans C'était de Gaulle (1994) :
« C'est très bien qu'il y ait des Français jaunes, des Français noirs, des Français bruns. Ils montrent que
la France est ouverte à toutes les races et qu'elle a une vocation universelle. Mais à condition qu'ils
restent une petite minorité. Sinon, la France ne serait plus la France. Nous sommes quand même avant
tout un peuple européen de race blanche, de culture grecque et latine et de religion chrétienne. ».
La citation et connue, et il est normal qu'elle ressorte à ce propos. Le paradoxe est qu'elle soit citée comme
provocation, pour faire scandale, alors qu'elle revendique sa normalité, contre les illusions des
intellectuels. La suite de la citation, dont la fin est tout aussi connue, confirme l'utilisation qu'en fait le
FNJ :
« Qu'on ne se raconte pas d'histoire ! Les musulmans, vous êtes allés les voir ? Vous les avez regardés avec leurs turbans et leurs djellabas ? Vous voyez bien que ce ne sont pas des Français. Ceux qui prônent
l'intégration ont une cervelle de colibri, même s'ils sont très savants. Essayez d'intégrer de l'huile et du
vinaigre. Agitez la bouteille. Au bout d'un moment, ils se sépareront de nouveau. Les Arabes sont des
Arabes, les Français sont des Français. Vous croyez que le corps français peut absorber dix millions de
musulmans, qui demain seront vingt millions et après-demain quarante ? Si nous faisions l'intégration,
si tous les Arabes et les Berbères d'Algérie étaient considérés comme Français, comment les
empêcherez-vous de venir s'installer en métropole, alors que le niveau de vie y est tellement plus élevé ?
Mon village ne s'appellerait plus Colombey-les-Deux-Églises, mais Colombey-les-Deux-Mosquées. »
(idem, 1959).
Le fait qu'on n'ait pas accordé plus d'attention que ça à cette citation révèle bien sa normalité pour décrire
le fond de la pensée française. Le fond de la pensée de droite est une pensée essentialiste (ethnoreligieuse
quand ce n'est pas raciste) qui motive précisément aujourd'hui ce débat identitaire. Ce n'est pas que la
gauche soit très différente (voir ce mois-ci « Indentitarisme français »), mais elle se revendique d'une pensée « sociale » ou « de classe ».
La gauche s'illusionne sur elle-même, mais il est nécessaire de comprendre les conséquences du fait que
la droite ne partage pas la même théorie. L'échec politique de la gauche est simple à diagnostiquer. Comme
la droite est au pouvoir, c'est donc sa théorie correspond forcément mieux à la réalité sociologique. Car
puisque les pauvres sont majoritaires, la gauche devrait être toujours élue si la majorité de la population
n'était pas sensible à des arguments religieux, racistes, sexistes, inégalitaires. Certes, on peut considérer
que la droite arrive à convaincre certains anciens pauvres qu'ils sont promus au nom du fameux élitisme
républicain, mais on retombe donc sur le critère statistique qui devrait donner la majorité à la gauche.
Cette erreur de gauche montre qu'il est toujours nécessaire d'intégrer les facteurs autres qu'économiques,
mais tout aussi « sociaux ». C'est l'intégration de ces facteurs qui permet à la droite de se dire
« populaire » (UMP, FN). Sinon, elle se dirait élitaire, ce qu'elle est pourtant, même si c'est plutôt la
gauche qui pense l'être tout en prétendant le contraire. Au fond, le gaullisme perpétue cette tradition de
droite qui n'est républicaine que depuis qu'elle a compris que la république était essentiellement élitaire.
Ce qui se manifestait alors par le colonialisme avec quelques exceptions précisément élitaires (d'où la
« vocation universelle. Mais à condition qu'ils restent une petite minorité » de de Gaulle).
La droite traditionnelle était opposée à la république au point d'obtenir son abolition sous Pétain. Le
gaullisme a permis à la droite d'assumer la république sans rien changer à ce traditionalisme culturel
qu'incarne la citation précédente qui confond l'élitisme avec l'essentialisme. Dès la fin de la guerre, cette
idéologie était à l'oeuvre de la part de Charles de Gaulle, dans une directive au Garde des Sceaux, le 12 juin
1945 : « Sur le plan ethnique, il convient de limiter l'afflux des Méditerranéens et des Orientaux, qui ont depuis un demi-siècle profondément modifié les compositions de la population française. Sans aller
jusqu'à utiliser, comme aux États-Unis, le système rigide des quotas, il est souhaitable que la priorité
soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, Luxembourgeois, Suisses, Hollandais, Danois,
Anglais, Allemands, etc.). » (Cité par Plein Droit, n° 29-30, novembre 1995). De Gaulle perpétuait bel et bien ainsi la conception antisémite des démographes français (les « Orientaux » étant simplement les juifs avant la guerre). Et il est bien question de poursuite de l'aryanisation (« il est souhaitable
que la priorité soit accordée aux naturalisations nordiques (Belges, Luxembourgeois, Suisses,
Hollandais, Danois, Anglais, Allemands, etc. »).
Maintien de l'ordre post-colonial
La pratique a suivi l'idéologie sous le règne gaulliste, comme les grèves du début 2009 aux Antilles nous
l'ont rappelé. La mémoire sélective de l'identité française, à droite comme à gauche, avait oublié les
massacres de 1967. Les gardes mobiles envoyés de métropole avaient cassé du Nègre pour rétablir l'ordre
républicain.
On connaissait un peu mieux les massacres qui ont marqué la fin de la colonisation. La gauche considère
cette décolonisation comme normale. Mais on peut aussi interpréter cette réalité en termes du chacun chez
soi (de la part des colonisateurs comme des colonisés d'ailleurs). Il est aussi connu que l'indépendance
a été accordée d'autant plus facilement que l'argument du coût du développement égalitaire avait été
avancé, entre autres par Raymond Aron. On connaît aussi une des causes de cette décolonisation. Les
répressions brutales de l'ordre colonial, qui ont donc duré jusqu'en 1967 aux Antilles, ont brisé la
confiance dans le discours républicain de façade qui pouvait convaincre les élites locales de la vérité de
l'élitisme républicain.
Dès le 8 mai 1945, à Sétif, quand les indigènes ont utilisé des drapeaux algériens pour fêter la fin de la
guerre, ils ont été massacrés par les colons blancs anciennement pétainistes, sans que cela dérange
beaucoup de Gaulle qui était alors président du Conseil : réconciliation nationale des seuls Français de
souche oblige. On remarquera au passage qu'il n'y a pas que dans les matchs de foot ou les mariages que
les Français n'aiment pas qu'on agite des drapeaux étrangers [2]. Les évaluations de nombre de victimes indigènes vont de 1 500 (chiffre volontairement limité par les autorités françaises) à 45 000 selon les Algériens, contre 102 colons tués, 110 blessés et 10 femmes violées. Le simple fait que les évaluations soient précises dans le cas des Européens et pas dans l'autre, alors que tout le monde était sous
administration française, montre précisément le traitement que subissaient les indigènes.
Au moment de l'insurrection de 1947 à Madagascar, de Gaulle n'était plus au pouvoir, car il avait démissionné de son poste en 1946. Mais le déclenchement des émeutes est lié à l'administration coloniale des gaullistes de 1943 à 1946, mis au pouvoir par les alliés quand l'île avait été reprise aux pétainistes en 1942. Ils avaient maintenu le régime colonial caricatural qui prévalait sur l'île (corvées, coton réservé aux Blancs, monopoles...), et la répression s'est abattue sur les élites locales après les émeutes, dont le fameux mitraillage d'un wagon où étaient détenus des militants d'un parti local.
La fameuse manifestation des Algériens, appelée par le FLN, en 1961, qui s'est terminée
par un massacre, fait partie de la mémoire rituelle de la gauche, avec la répression du métro Charonne en 1962, et semble synthétiser et conclure les crimes de la colonisation [3]. Cette répression policière est habituellement attribuée au préfet Papon, qui avait eu la bonne idée de garnir préalablement son curriculum vitae d'une contribution à la déportation des juifs en 1942. Mais personne, apparemment, ne mentionne la responsabilité de de Gaulle, qui était pourtant au pouvoir, de 1958 à 1969. On peut également rappeler le sort des Harkis, abandonnés au FLN en Algérie (sans doute par anti-Colombey-les-Deux-Mosquéisme), ou ignominieusement parqués dans des réserves pendant des
décennies.
Le gaullisme dominera la vie politique jusqu'en 1981, dans une ambiance post-coloniale en ce qui concerne les anciennes populations de l'Empire français. L'actualité nous rappelle, dans Le Monde du 9 décembre 2009, le sort des « indigènes de Camargue », ces paysans indochinois recrutés en 1939 pour participer à l'effort de guerre en cultivant le riz. Ils y resteront jusqu'en 1952, logés dans des conditions déplorables et payés des salaires de misère. En 1980, ils manifesteront pour obtenir la prise en compte de leurs années de travail (esclavage moderne) dans leur retraite, mais n'obtiendront rien.
Dégradation nationale
On raconte que de Gaulle, rencontrant les résistants de Toulouse, qui se présentaient comme lieutenant, commandant, etc., de leur maquis, leur avait demandé leur « véritable » grade dans l'armée française, avant la guerre. En tant que baderne traditionnelle, seule l'armée régulière avait une valeur. C'était au moins de mauvais goût. Mais avant la guerre, de Gaulle était lui-même seulement colonel. On peut considérer, sur le principe ainsi institué, qu'il a donc usurpé le titre de général pendant toutes ces années. Comme il est également connu pour ne pas être un homme d'argent, payant sa note d'électricité quand il habitait à l'Élysée, il serait judicieux que la famille du colonel Charles André Joseph Marie de Gaulle (1890-1970) restitue les sommes indûment perçues depuis sa nomination.
Jacques Bolo
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